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jeudi, 18 février 2010

Un billet pour les bretons

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«C’est là la meilleure école où doivent aller les jeunes gens. Là est le défi de la mer à l’homme, la lutte où les forts deviendront très forts ». En diagonale de la vignette, le bras aux veines saillantes de ce pêcheur faisant corps avec sa corde ne démentira pas la phrase de Michelet, que je suis allé pécher dans La Mer. Ce billet de 20 francs fut la plus importante des trois coupures populaires éditées sous l’Occupation, après le 5 francs Berger et le 10 francs Mineur. Son premier alphabet est sorti des presses le 12 février 1942. Lucien Jonas cette fois-ci transporte son pinceau à Concarneau, dont on distingue au loin le beffroi, à l’entrée de la Ville-Close. Il met à l’honneur le monde de la pêche avec cet anonyme en suroît rouge et au regard bleu. Le cartouche est fait d’un agencement subtil de cordages et de filets dans lesquels s’emmêlent, dans les deux coins du bas, un poisson aux allures de corne d’abondance. En son verso, le billet célèbre le pays bigouden avec ce groupe de bretonnes traditionnelles, une église basse et son calvaire inspirés de ceux, battus par les vents là où finissent les terres, de Tronoën à la pointe de Penmarc’h.

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Un fin connaisseur de la Bretagne écrit ceci dans son recueil de souvenirs : « Quand on visite à pied le pays, une chose frappe au premier coup d’œil. Les églises paroissiales, où se fait le culte du dimanche, ne diffèrent pas essentiellement des celles des autres pays. Que si l’on parcourt la campagne, au contraire, on rencontre souvent dans une seule paroisse jusqu’à dix et quinze chapelles, petites maisonnettes n’ayant le plus souvent qu’une porte et une fenêtre, et dédiées à un saint dont on n’a jamais entendu parler dans le reste de la chrétienté. » La symbolique de ces paniers d'osier emplis de couleurs qu’on voit au premier plan va de pair, bien sûr, avec celle du calvaire, celle des poissons, et celle de ces visages aux joues rondes et joyeuses, aux lèvres rouges comme ces pommes, ces tomates et ces potirons  sur lesquels des mains aux doigts gourmands et fins se replient : il s’agit de rappeler au pays sa foi millénaire, alors qu’il traverse une épreuve à laquelle ne se peut comparer que celle qu'il subit du temps de Jeanne d’Arc : « Il me semble souvent que j’ai au fond du cœur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus » notait, toujours au début de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, et alors qu’il confessait hardiment ses premiers pas hors de Saint-Sulpice et de la foi de ses aïeux, un certain penseur athée, scientiste et rationaliste, qui ne pouvait s’empêcher, malgré tout, de demeurer breton.

mardi, 16 février 2010

Gueule Noire

Boulets de charbon : Je me souviens que l’expression m’a toujours fasciné lorsqu’enfant, je voyais débarquer cet homme sombre qui, dans un déluge de poussière et un vacarme épouvantable, renversait les uns après les autres ses sacs en toile de jute dans le charbonnier jusqu’à l’emplir totalement de leurs pierres noires et polies. Gueule noire était, certes, le bougnat. Mais une gueule noire de l’aval. En amont, il en était une autre, souterraine, plus affreuse encore selon la légende. Un piocheur de l’abime, disait-on, et pour cette vraie gueule noire, le bourgeois Zola avait été jusqu’à écrire un roman, le roman, disait-on, de la guerre sociale.

Boulets de charbon : je n’avais entendu parler que de ceux des forçats, ceux-là, qui venaient du Nord, étaient pour moi parfaitement étrangers. Plus même. Avec leurs pioches, ils descendaient non seulement dans le fond des sols, mais aussi dans le fond des siècles pour en extraire leur diamant noir.

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Gueule noire : voici donc le tirage de ce billet, le seul billet authentiquement du Nord que, dans une France occupée par la botte nazie, on commence à imprimer le 11 septembre 1941. Le peintre Lucien Jonas, qui avait longtemps vécu parmi les mineurs de Lens et les soldats de la guerre de 14-18 rendait hommage à l’un des leurs. La teinte générale du billet est bleu ardoise. Comme le berger des Pyrénées tenait ferme son bâton, celui-ci ne lâche pas le manche de son piolet, de ces mêmes mains noueuses qui ne lâcheront pas non plus le morceau : ils sont, dit le dessin, du même peuple. Oserait-on dire, encore, de celui de Michelet ? Le bonhomme, son casque et son piolet,  valaient alors 10 francs.

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Au verso, cette jeune paysanne de Lorraine. Elle brandit, elle, son piochon, tandis qu’un enfant blond tente de délacer son corsage. Toujours ce sol qu’il faut gratter, cette terre, pour extraire de son ventre un quelconque avenir. Mais là, le ton est plus vert. Dira-t-on plus féminin ? Comme lui son casque, elle son fichu. Le filigrane rappelle la célèbre tête sculptée du musée d’Orléans.

Le billet du Mineur a circulé jusqu’en juin 1949. Il fallut attendre Voltaire et les nouveaux francs dévalués pour retrouver cette valeur faciale, en 1963, et en nouveaux francs. Le mineur n’avait plus que quelques décennies à vivre pour être à son tour, après le tisseur et comme le paysan, peu à peu démonétisé. En septembre 2009, la commission régionale du Patrimoine et des Sites classait ses fosses, au titre de monument historique.

Reste ce billet, comme ses deux contemporains, le cinq francs Berger et le vingt francs Pécheur, et après le cent francs forgeron de Luc Olivier Merson, le cinq francs Docker et le vingt francs Faucheur de 1914,  l’un des rares à vraiment célébrer, si cela peut avoir du sens sur du papier monnaie de la Banque de France, le monde du travail à travers la figure du travailleur.

18:34 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : billets français, lucien jonas, littérature, germinal, société | | |

mercredi, 10 février 2010

L'Oeil du berger

La circulation de monnaie divisionnaire était constituée, avant guerre, de pièces de nickel de 5 francs et de pièces d’argent de 10 et de 20 francs. Parmi les billets, la plus petite valeur faciale était un billet de 5 francs qui datait de 1917. A la suite de la mobilisation, la Banque dut faire face à la demande croissante du public, puis à la nécessité de retirer le plus rapidement possible les marks d’occupation. Elle créa alors plusieurs billets de format très réduit, dont le plus petit de son histoire : un billet de 5 francs que Clément Serveau réalisa à Villeneuve-sur-Lot. Il était illustré du portrait d’un berger pyrénéen dans un décor de montagne. En filigrane, le profil de Bernard Palissy.

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Curieux choix : celui d’une sorte de consolation, coulant comme l'eau vive, de toute évidence. Comme s’il fallait, après le feu de la débâcle, offrir aux Français d’alors l’image d’une mélancolie révolue et localisée à l’extrême, une image faite de rondeurs dans laquelle le passé du pays affleurerait et insérerait, dans leurs poches et dans leur imaginaire, une teinte susceptible d’amortir la douleur : ce bleu et ce vert venus des champs et pesant d’une égale lumière, d’un même poids, celui des racines. Le bâton semble un appui sûr au berger qui a posé dessus ses doigts noueux. Du Séguéla et de la force tranquille, déjà. Du Mitterrand avant l’heure. L’efficacité du rustique et la promesse des bas de laines : voyez comme est dodu le ventre bleu de ce faible chiffre, le plus humble de la gamme, malgré tout majestueux. Suivez le berger.

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Pour comprendre la poésie toute particulière de ce billet-ci, il faut le retourner et observer à son verso avec quelle sureté le volume de chaque fleur fut tracé, le relief de chaque pétale profilé. Avec quelle minutie le pinceau a déposé la teinte. Et dans quel but ? Et pour quel acte déjouer ? Quel profanateur évincer ? Dans ce décor floral et mièvre, une Agenaise coiffée de sa coiffe traditionnelle, les épaules recouvertes d’un châle mordoré, veille. Veille également. Très peu de lettres, mais quelles ! La Banque de France s’y affirme seule propriétaire des lieux : ce visage luisant ni vraiment beau, ni vraiment laid, dont on ne sait trop s’il est celui de l’homme ou de la femme, ne serait-il pas en vrai son allégorie la plus provinciale ?

L’œil qui chercherait à échapper aux senteurs confinées dans ce rectangle-là ne trouve là, pour tout songe, qu’un autre rectangle bleu, celui où la loi se rappelle.

L'oeil du Berger ...

06:16 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : billets français, clément serveau, villeneuve-sur-lot | | |

mercredi, 16 décembre 2009

Jeune Paysan

« Ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie,

Loin de la terre où ils sont nés. Depuis longtemps qu'ils en rêvaient,

De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné… »

 

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Jeune paysan, 1964 : Lorsque Jean Ferrat créait La Montagne, cela faisait déjà dix ans que sa coupure était retirée de la circulation. Celui qu’on voit sur la vignette fut donc un ultime résistant avant le progressif démantèlement de l'agriculture du pays. La « date de création » de la coupure, comme il est d’usage de le dire, fut le 7 novembre 1945.  Quelques trois mois plus tôt (le 6 août et le 9 août), le bon Truman avait largué ses bombes atomiques sur Hiroshima puis sur Nagasaki. Dans les mémoires de Truman, je relève au passage cette phrase assez succulente : « Le 24 juillet à Potsdam, je signalai en passant à Staline que nous possédions une nouvelle arme dont la puissance de destruction était exceptionnelle mais le chef soviétique ne parut pas s’intéresser vraiment à cette nouvelle. Il se contenta de dire qu’il était heureux de l’apprendre et espérait que nous en ferions « bon usage contre les japonais. »

Le pays se trouve alors en plein Gouvernement Provisoire de la République Française, lequel dure depuis un an ( juin 44) et en durera encore un autre (jusqu’en janvier 46). Période que dans ses Mémoires de Guerre, De Gaulle nomma celle du Salut. Et dans le Salut le chapitre Discordances. Sous l’égide de René Pleven le ministre des finances,  on venait  de procéder entre le 4 et le 15 juin, à l’échange des billets dans plus de 34 000 guichets (banques, bureaux de poste, caisses d’épargne, perceptions) : « L’opération visait écrit De Gaulle, à révéler l’avoir de chaque français. Déjà l’administration connaissait la valeur des fortunes en biens immobiliers, rentes, actions, obligations nominatives. Il lui restait à savoir comment était répartie la masse des titres au porteur : billets et bons à court terme. Les propriétaires avaient à présenter et par là même, à déclarer leurs titres. On les leur remplacerait franc pour franc, par des nouvelles vignettes. Du coup devenaient caduques les coupures qui n’étaient pas remises aux guichets publics, celles notamment, que les Allemands avaient emportées chez eux, celles aussi que leurs possesseurs préféraient perdre plutôt que d’en avouer le total (…) Cette photographie de la matière imposable allait permettre au gouvernement d’établir sur une base solide la contribution qu’il méditait de lever.»

Pour remplacer au plus vite les coupons anglais et américains qui avaient été distribués en masse (voir video ICI ), et dont les contrefaçons se multipliaient, on confia donc à Robert Pougheon (1886-1951) , ancien directeur de l’Académie de France à Rome, la création d’une série homogène : le 500 francs Chateaubriand, le 50 francs Le Verrier, et ce Cent francs jeune paysan.

Le dessin de Poughéon symbolise d’une part le monde agricole, avec ce jeune héros aux blondes boucles  et aux joues roses, précédant une paire de bœufs, et d’autre part l’univers de la mer représenté au verso par une famille de marins dans le décor cinématographique d’un port.  L’homme assis, coiffé d’une casquette et en tricot de corps, rêve au large,  là où sont les mats des cargos. La femme en jupe et en fichu, accoudée à une amarre, regarde dans la direction opposée vers les terres en tendant un crabe à l'un de ses trois enfants nus qui jouent entre eux. Entre eux, précisément, ça n'a pas l'air d'aller très fort. Les regards des personnages ouvrent le billet en tous sens. On dirait bien que ce vieux pays, "cet antique pays que vous ne comprenez pas", disait De Gaulle à Truman, veut quitter une terre et des frontières dont, à tort ou à raison, il est las.

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 La dernière émission de ce billet de cent francs qui fut, parait-il, l’un des plus populaires de cette valeur faciale, date du 1er avril 1954. Il ne valait alors quasiment plus rien et fut remplacé par une simple pièce après son retrait.

La Banque de France ne réédita à nouveau cette valeur faciale de cent francs que le 5 mars 1959, lorsque le 10 000 AF Bonaparte fut changé en 100 NF. Pour une quarantaine d’années, le franc allait se donner l’illusion de vivre encore.

12:47 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jeune paysan, billets français, libération, de gaulle, pléven | | |

jeudi, 19 novembre 2009

La mode était aux fraises

Celui que j’ai sous les yeux est tout déconfit. Un morceau de scotch, à présent jauni, lui redonna naguère un corps entier. Rogné, fendillé, les coins pliés - pauvre hère ! Je doute qu’un collectionneur m’en concéderait plus d'un liard, ce cent francs Sully demeurant l’un des billets les plus communs sur le marché. Quant à la Banque de France elle-même... Il m’est souvent arrivé de tailler le bout de gras à propos de ces vieux francs démonétisés, images d'un siècle à présent autre, si autre. On m'évoquait à chaque fois, l'oeil comme retombant en enfance, quelque vieux tiroir à la campagne où il s'en trouvait, croyait-on, dans un coin d'un certain garage, ou bien chez une tante - la prochaine fois qu'on ira la voir... .Immanquablement, quelques jours plus tard, dans leur trésor aussi précieux que dérisoire  se trouvaient,  quelques cent francs Sully…

- Tu crois que ... ?

 

 

L’étude de ce billet fut confiée en 1933 au peintre Lucien Jonas. Le filigrane choisi fut celui qui avait déjà été utilisé pour le cent francs 1906, encore en cours de circulation : profils superposés du vieux ménage de Cérès et Mercure, fertilité des moissons et prospérité du commerce incarnant les deux sources les plus fiables de revenus. Mais les maquettes présentées au Conseil Général de la Banque de France par Lucien Jonas avaient soulevées quelques critiques à l’époque et l’émission du billet fut suspendue jusqu’en mai 1939, date de sa première émission. Il fut imprimé jusqu’en 1942. En raison de probables disparitions massives, on lui préféra alors le cent francs Descartes.

 

Au recto on voit une femme en péplum, appuyée du bras droit sur un sceptre et tendant du bras gauche une couronne de roses et de raisins que soutient un enfant à l'épaule ronde et nue. Cette couronne sert de cadre au filigrane. Derrière les deux personnages, une vue à vol d’oiseau du centre de Paris, Notre Dame en son centre. Le 16 janvier de cette année 1933, Jean Mermoz et un équipage de 5 membres avaient effectué, à bord du Type 70 Arc en ciel, un vol sans escale entre Saint-Louis (Sénégal) et Natal (Brésil) en 14 h 27 mn. Le mois suivant, les Britanniques Gayford et Nicholetts effectuaient le premier vol sans escale entre la Grande Bretagne (Cranwell) et l'Afrique du sud (Walvis Bay) en 57 heures et 25 minutes. En juillet, le premier tour du monde solo était réussi par Wiley Post (lequel devait s’abîmer en vol deux ans plus tard) sur monoplan Lockheed et 7 jours 18 h et 49 mn. Et le 30 août naissait une certaine Compagnie Air France. Ceci explique-t-il cela ?

L’engouement pour les tout récents maîtres du ciel était alors réel. Aussi, cette vue aérienne de Paris, qui  confèrait à la vignette une modernité indéniable par rapport aux coupures précédentes, fut-elle appréciée en son temps.

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Sur l’autre face le pensif Sully. Derrière lui se distingue, au milieu des champs, le village de Sully-sur-Loire et son château. L’œil est vif, bleu, déterminé. La barbe poivre et sel. La fraise – ah la fraise aux godrons immaculés est admirable ! Que n’avons-nous plus le loisir de déambuler, tels Sully ou Montaigne, le cou ainsi ceint d’un tel ornement !  De cette fraise si caractéristique, Pierre de l'Estoile, décrivant les jeunes gens du temps à la mode, écrivit :

- leurs fraises de chemises de toile d'atour empesées  et longues de demi-pied de façon qu'à voir leur tête par-dessus leur fraise, il semblait que ce fût le chef de Saint-Jean dans un plat... (1)

 

 

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Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641) fut honoré par la Banque de France avant le roi qu’il servit, puisque Henri IV n’obtint son billet qu’une décennie plus tard. De la devise de Sully « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », la France industrielle n’aura su conserver grand-chose.  D'aulcuns trouveront que sa campagne aujourd’hui sillonnée par des autoroutes payantes insulte avec éclat  l’action de cet homme qui avait en son temps aboli bon nombre de péages pour passer d’une province à l’autre.  Avec ses deux paysages fondus dans le lointain derrière les personnages, le billet établit dans un joli rapport de complémentarité l'univers de la ville et le monde de la campagne, se donnant la possibilité de passer avec un égal bonheur de la poche du plus rusé citadin à celle du plus roué paysan.
(1) Journal de l'Estoile pour le règne de Henri III, Paris, Gallimard, 1943, p 122

19:51 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : billets français, cent francs sully | | |

mardi, 03 novembre 2009

Billets rêvés

« La monnaie des pays que l’on veut connaître et comprendre en dit bien souvent plus que les peuples eux-mêmes sur leurs chefs, leurs aventures, leurs aspirations, leurs soucis, leur orgueil. La monnaie, c’est l’histoire qui court les rues, c’est un témoignage involontaire des pensées secrètes et communes, que les hommes se passent de main en main» 

 

 (Henri Béraud, Ce que j'ai vu à Rome -1929)

 

 

Rêveries autour de billets

- Charles Péguy & le premier billet de cent francs

- Les vingt-cinq francs de Flaubert

- Alfred Jarry et Léon Bloy

- Pour cinq mille balles de mythologie

- Les Chagrins de Mercure

- Arthur Rimbaud et le square de la préfecture

- Françoise Sagan et Georges Pérec

- Taille douce d'une star du muet

- Si Beauvoir m'était contée

- L'article 139

- L'empereur du faux-monnayage

- Vingt--cinq francs et des faux-monnayeurs

- Sur les quais

- Stasiuk et les zlotys de son enfance

 

 

 

04:43 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : billets français | | |

vendredi, 23 octobre 2009

Un Colbert en réserve

Colbert n’était guère aimé de la Cour de Louis XIV qui lui reprocha sa roture, sa vulgarité ainsi que son caractère froid et distant. Mme de Sévigné qui, comme Saint-Simon, n'était pas avare de ses compliments, le surnomma « Le Nord », en raison de son attitude qu'elle jugeait glaciale. Louis XIV  aurait-il été le monarque le plus puissant du monde sans le génie cet homme ? La BdF le jugea suffisamment charismatique pour lui consacrer une coupure de 500 francs le 14 janvier 1943. Malgré les 3 millions de billets imprimés, il ne fut cependant jamais mis en circulation et demeura, si on peut le dire, une effigie de l'ombre, puisque cette véritable éminence grise fut placée en réserve pour des raisons de stratégie autant économique que militaire.

 

Contrairement à la légende, Colbert (1619- 1683) n’était pas le fils d'un marchand drapier. Ses ancêtres, laboureurs à la fin de la guerre de Cent Ans, puis maçons au XVème siècle, s’étaient rapidement enrichis en devenant marchands grossistes au XVIème, puis banquiers et financiers. Ils avaient donné bon nombre d’échevins à la ville de Reims. Sous Henri IV et Louis XIII, ils étaient très liés aux marchands et banquiers lyonnais, et avaient atteint le sommet de leur pouvoir sous Louis XIV : Le grand commis de la royauté française ne fut donc pas le self made man du Grand Siècle qu'on imagina par la suite dans les préaux des écoles, mais bien plutôt un fils à papa poussé dans les allées du pouvoir par des politiques et des gens d’affaires influents, au sein desquels on retrouve Le Tellier (père de Louvois), Particelli d'Émery, Lumagne, Camus…

colbert.jpgJean Baptiste Colbert a donné son nom au colbertisme, doctrine économique prônant entre autres l’idée que la richesse d'un État est avant tout fonction de l'accumulation des métaux précieux. La toujours irrévérencieuse postérité, en ayant songé un temps à le faire figurer sur l’un des ces bouts de papier auxquels les hommes modernes, oublieux des métaux, accordent tant de valeur, fut donc à son égard assez ironique.

De 1634 à 1645, il connut une ascension fulgurante, du comptoir lyonnais banquier Mascranny, où il fréquenta le milieu de la soie, au secrétariat d’Etat à la Guerre du ministre Le Tellier.  Quelques trois ans plus tard, après un mariage qui lui rapporta 100 000 livres de dot, le jeune Colbert passa du service de Le Tellier à celui de Mazarin, sut profiter de la disgrâce de Fouquet, et petit à petit gagner les faveurs de Louis XIV. La légende voulut qu'il travaillât jusqu'à 16 heures par jour et Michelet alla jusqu’à le comparer à un « bœuf de labour », pour signifier cette puissance de travail qui dama le pion à tous les premiers de la classe du Grand Siècle.

Homme de l’épargne, homme du travail, protecteur des manufactures royales, Colbert reste aussi dans les mémoires  comme l’homme du commerce maritime et colonial, qui dota le pays d’une flotte de guerre de plus de 276 bâtiments, ainsi que celui  des Compagnies, dont celle des Indes: Voila pourquoi la coupure qui l'honore le représente la paume de la main posée sur une mappemonde. 

 

A l'autre bout du billet, l'éphèbe gracile qu'on voit danser par-devant les voiles lointaines d'une caravelle, c'est donc5e30_1.jpg le dieu Mercure, dieu, comme chacun le sait, des commerçants et des voleurs. Ah Cherbourg ! Ah Rochefort !  Tous les Dunkerquois s'en souviennent et en sont fiers, c'est lui qui en 1662 racheta leur ville aux  Anglais pour l'offrir au tout jeune Roi de France. Les astronomes lui furent par ailleurs reconnaissants d'avoir, en 1667, fondé l'Observatoire de Paris. Ceux ou celles parmi vous que saisirait - sait-on jamais - l'envie de se recueillir un instant devant les cendres de Colbert peuvent toujours se rendre à Saint-Eustache dans la bonne ville de Paris. Non loin du Forum des Halles et de sa fièvre trop commerciale, la poussière des seules jambes de l'illustre trépassé y demeure, dans la pénombre d'un sarcophage orné d'une magnifique statue dudit en prière sculpté par le sculpteur lyonnais  Coysevox.

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13:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jean baptiste colbert, billets français, politique, littérature | | |

mercredi, 21 octobre 2009

A coeur vaillant, rien d'impossible

13 juin 1940, la Banque de France lance la première impression du premier de ces billets de guerre dont le petit format permet, sur une unique feuille de papier, de tirer le plus grand nombre possible d'échantillons. C'est une coupure de 50 francs. Elle est dédiée à la mémoire de Jacques Cœur. Insolite retour du Moyen Age, en plein cœur du vingtième siècle et alors que se noue le deuxième conflit mondial du monde industriel : Au quinzième siècle, dans le Conseil de Charles VII, (le roi de la petite Jeanne) Jacques Cœur, incarne à la fois le roturier et le grand argentier. Personnage à la trouble légende, parti faire fortune sur les pistes de Syrie et du Liban, dont Michelet a dit :

« Ici il fait son fils unique archevêque de Bourges, là-bas, il marie ses nièces aux patrons des galères »

Ce Jacques Cœur devint très vite une légende, à en croire le bon clerc de François Villon, qui parle de lui dans son pauvre Testament :

 

« Le cœur dit à Villon

Ne te chagrine pas, homme

Et ne demeure pas en douleur

Si tu n'as tant eu que Jacques Cœur

Mieux vaut vivre sous tissu de bure

Pauvre, qu'avoir été seigneur

Et pourrir sous riche tombeau ».

Etrange, oui, ce personnage aux contours flous et presque anachroniques qui, en sa maison de Bourges, collectionnait des bas-reliefs représentant, en lieu et place de saints et de saintes,  tantôt une fileuse (cf verso du billet), tantôt une balayeuse, tantôt un vigneron, et dont on murmura qu'il fut sans aucun doute à l'origine de l'empoisonnement de la belle Agnès Sorel. Romanesque, oh combien ! Son cœur, précisément, Lucien Jonas l'a placé en filigrane, telle une fenêtre ouvrant de part et d'autre de la demeure, sur des boiseries chaudes ou sur un ciel laiteux. Bergère, filez votre quenouille et gardez vos blancs moutons : Le billet de juin 40 met à l'honneur le Berry, ses humbles et lointaines aïeules des héroïnes de George Sand,

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Le curieux personnage, marchand, courtisan, aventurier, n'a jamais cessé, de son vivant, de balancer entre deux devises : Le billet reproduit la première dans le rectangle rouge du recto, qui sert de reposoir à son bras :

« A vaillans (cuers) riens impossible ».

On imagine qu'en juin 1940, alors que triomphait la chanson de Lucienne Delyle ("Mon Ange, mon ange qui veillez sur moi / Mon ange, mon ange, ayez pitié d emoi..."), la formule pouvait être d'un certain réconfort, en effet...

L'autre devise reste moins célèbre sans doute. Elle résume cependant tout ce que ce quatorzième siècle fascinant et déjà bourgeois, qui paracheva l'invention du Purgatoire, contient de neuve sagesse :

« Bouche close. Neutre. Entendre dire. Faire. Taire. »

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L' opulente demeure de Jacques Cœur se profile derrière son effigie. D'une main, il porte une plume qu'on devine destinée non pas à  consigner quelque pensée de philosophe, mais plutôt à tenir l'un de ces livres de compte qui furent les véritables ancêtres du journal intime. De l'autre, il soupèse son menton, dans un geste où peuvent se lire et la hardiesse et la défiance du véritable parvenu.  Devant lui, un coffre, et un petit encrier bleu. Quelque chose du roué politique se déchiffre aussi sous ce bonnet, et dans ce geste. Nul autre que lui, parmi tous les personnages dont la Banque de France honora (ou déshonora, c'est selon) la mémoire, nul autre que lui, qui définissait la sagesse ainsi, "prêter d'une main, se payer de l'autre", nul autre mieux que lui, finalement,  ne mérita de passer de main en main, de croupir dans des bourses, d'être joué, volé, échangé, comme une putain et comme un presque roi bref, de figurer sur un billet.

 

 

La coupure circula peu de temps, de janvier 41 à juin 45. Le temps d'une guerre moderne et de toutes ses atrocités. Une guerre qui fit oublier, il est vrai, tout ce que la Guerre de Cent Ans avait eu de modestie dans l'horreur et d'amateurisme dans la technicité. C'est que du quinzième siècle de Jacques Coeur au vingtième d'Einstein, les hommes avaient su prendre le temps de peaufiner aussi bien l'art de la planche à billets que celui (qui va de pair) de la destruction massive.

19:45 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, villon, numismatique, écriture, billets français, jacques coeur | | |

lundi, 19 octobre 2009

Les politiques de la Banque de France

Les politiques dont l’effigie a figuré sur les billets de la banque de France sont nombreux ; en suivant les liens, on trouvera des commentaires sur les billets suivants :

- Le 1000 francs / 10 NF  Richelieu

- Le 5000 francs / 50 NF  Henri IV

- Le 10 000 francs / 100 NF  Napoléon Bonaparte

- Le 5 francs Bayard

- Le 100 francs Sully

- Le 50 francs Jacques Coeur

- Le 500 francs Clémenceau

- Le 500 francs Colbert

 

- Coloniser, décoloniser

- Un billet pour la paix

-

 

 

- L’œil du Berger

23:14 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anciens francs, politique | | |