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samedi, 04 juillet 2009

Lisbeth

Il ferait chaud. Plus chaud encore qu’aujourd’hui. La bouteille de whisky serait sous la banquette. Lisbeth me soufflerait à l’oreille : c’est avec ça que plus d’un a combattu la page blanche... Dans un coin de la librairie, une vieille Remington, devant un panneau de vieilles affiches. Attirés par les soldes, les clients flâneraient dans les rayons, mais très peu  achèteraient. Nous obligeant juste à les suivre du regard, c’est si vite piqué, un bouquin… Quand j’étais étudiante, me dirait Lisbeth …  Oui, je sais bien, moi itou : la fauche…

           

Dehors, les perches des bus roulant à l’électricité ; leur klaxons, comme des dindons, et puis ce glissement très spécial des pneus sur l’asphalte. On vend plus rien, me souffle Lisbeth à l’oreille. Encore un whisky ? 

 

 Dans les années soixante,  la librairie marchait bien. L’ancien propriétaire, je te dis que ça…  J’arrive même plus à payer une femme de ménage. Y’a tellement de poussière à l’étage, moi-même, j’achèterais pas les livres que je vends…ça, qui fend le cœur, hein ?

 

T’as pas eté voir ? Juste, je jette un coup d’œil là-haut. Plein d’éditions originales à 20 %. Des volumes avec envoi. Je dis non de la tête.

C’est pas la peine, je fais.

Lisbeth est peut-être une des dernières à cloper dans sa boutique. La fumée va avec les livres, c’est son arrangement à elle. Elle a pas tort. La fumée a toujours été bien avec les livres. Jadis, un écrivain qui fumait pas était un hygiéniste ou un économiste, et donc tout le contraire d’un écrivain, garanti. Un client âgé demande la biographie d’un peintre. A côté de lui, se tient une femme très maigre, cramponnée des deux mains aux brides d’un large sac qui touche presque le sol. Anorexie, ça. Lisbeth opine. Elle dit rien, son mari demande toujours des trucs impossibles et de toutes façons,  les rares fois où j’avais en boutique ce qu’il voulait, il n’a pas acheté.

 

Je trempe les lèvres dans mon whisky. Je les regarde qui s’en vont, ce couple, curieux. Ils ont le même dos. Lui à cause de l’âge, elle à cause de la maladie. Une chemise flottante et une robe à motifs qui recouvrent les omoplates saillantes comme les statues de l’ile de Pâques.

 

Lisbeth rallume encore une clope. C’est gentil d’être passé, dit-elle.

Je n’ose rien lui dire. Je regarde la moquette, ça et là, qui ne tient plus sur le plancher. Râpée. Les étagères où les livres, même eux, dirait-on, s’ennuient à porter les siècles anciens qui n’intéressent plus le chaland. Il parait que cette librairie date de l’Empire. Le premier… Tout ça sent le sapin.

Tu viendras aider pour l’inventaire ?

J’opine.

 

Il fera chaud. Livre par livre, nous cocherons des listes. Ce sera l’occasion de faire le ménage. Juste un chouya. Comme chaque année. Je me retourne avant de passer l’angle de la rue.

Lisbeth est déjà retournée à sa banquette. La bouteille est juste dessous.  

A suivre : Lisbeth II :

19:29 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : librairie, whisky, bouquinistes | | |

Commentaires

J'aime beaucoup. C'est un très beau thème.
Lisbeth aurait t-elle un chien ? (genre un cocker d'un roux blond vénitien qui dormirait par exemple à ses pieds près de la
caisse ? Un vieux chien qui aurait mal au coeur ou au dos mais qui aurait l'air content quand même)
Lisbeth serait elle la dernière, qui vous regardant éteindre la clop avant d'entrer dans le magasin vous dirait :
"Vous êtes pas obligée d'éteindre votre cigarette".
Lisbeth serait elle une de ces franches (du collier) sans collier qui soigne son client en fonction du livre qu'il achète ?
Questions...

Écrit par : frasby | samedi, 04 juillet 2009

Texte superbe, vraiment! On s'y croirait. Même qu'on se demande si elle n'existe pas un peu, cette librairie. Et cette nostalgie des choses qui s'en vont petit à petit...

Les livres... Des fois j'ai l'impression que notre vie entière tourne autour d'eux. En acheter, en lire, essayer d'en écrire, en acheter encore. Et ici en vendre. C'est toujours pareil, finalement. Ils sont au centre de tout.

Écrit par : Feuilly | samedi, 04 juillet 2009

@ Frasby : Un cocker ou un épagneul, ça se pourrait bien, oui. Franche du collier assurément. Mais n'en concluez rien. Lisbeth est aussi un mélange. Avez-vous connu l'ancienne librairie "L'imaginaire", devenue à présent "A plus d'un titre", sur le quai de Bondy ?

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

@ Feuilly :
au centre de tout, oui. En même temps, un centre qui s'éloigne. Ou se recompose ailleurs, en marge, autrement. Le livre n'est plus le même objet, n'a plus la même valeur que dans les années soixante ou soixante-dix, c'est certain. Ne parlons pas des années trente. A Lyon, la plupart des librairies "historiques" ont fermé durant ces trente dernières années.

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

Un cocker. (Avec des yeux de cocker).
Franche du collier ça me plaît assez et vraiment je ne me permettrai sûrement pas d'en conclure la moindre petite chose.
Oui, j'ai connu l'ancienne librairie "l'imaginaire"... (même au delà de l'imaginaire ;-)
Puis-je vous demander pourquoi cette question ?

Écrit par : frasby | dimanche, 05 juillet 2009

J'ai lu ce texte la nuit dernière. Saisie. Par son côté fantastique. Par la prégnance de l'image de cette librairie qu'il laissait en moi.
Ce matin je la vois encore sans que j'aie à relire.
Lisbeth et sa clope. La bouteille de whisky sous la banquette. Les éditions originales sous la poussière au premier. Le couple sorti de nulle part, aux dos portant leur poids de vie.
La visite régulière, discrète et secrète ; l'inventaire à faire.
Eternelles listes fantômes.

Écrit par : Michèle | dimanche, 05 juillet 2009

@ Frasby :
Parce que j'ai fait plusieurs inventaires à "l'Imaginaire"; tout simplement.
(au sens propre et au sens figuré, toute écriture étant "un inventaire de l'imaginaire")

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

@ Michèle : Le fantastique du quotidien, alors...

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

Oui, bien sûr.

Je crois que c'est le côté insoutenable, en tout cas inacceptable, qui m'a donné ce sentiment d'irréalité.

Et puis les modes et temps des verbes sont un sacré moteur pour l'imagination. Dans votre texte, l'enchaînement rapide du présent du conditionnel, puis des présent et futur de l'indicatif.

Écrit par : Michèle | dimanche, 05 juillet 2009

@ Michèle :
il y a bien quelque chose d'irréel à les voir disparaître les unes après les autres, ces librairies à taille humaine, à sentir l'impuissance à les retenir. Un truc à vous faire détester les "fnac" et autres centres de dstribution qui monopolisent ce qui n'est plus qu'un marché, en massifiant les goûts et les habitudes de leurs abonnés, sous l'oeil vigilant de caméras de surveillance et de hauts gardes à front bas et chemises blanches

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

Les vraies "petites" librairies disparaissent. J'ai découvert il y a peu, que la "mienne", celle que j'affectionne, avait maintenant un site Internet sur lequel on peut commander ses livres. Quelle ne fut ma déception en l'apprenant!

Votre billet me remémore un livre merveilleux, une correspondance entre une américaine (plutôt fauchée, amoureuse de la littérature anglaise) à la recherche de livres introuvables et un libraire londonien, comme on n'en fait plus, capable de satisfaire ses demandes. C'est délicieux :
84 Charing Cross Road de Hélène Hanff.

Écrit par : Ambre | dimanche, 05 juillet 2009

En tout cas j'aime beaucoup le style de ce court récit. De ce fragment, cette tranche de vie. Il me plairait qu'il y en ait d'autres de la même eau, ou celui-là développé. Ce premier étage, quelles éditions originales.

Serais curieuse de lire (à défaut de faire) un inventaire de librairie, une vraie librairie, comme Les Cahiers de Colette ou A plus d'un titre, ou 84 Charing Cross Road...

Écrit par : Michèle | dimanche, 05 juillet 2009

@ Ambre :
Ah merci du renseignement. Hélène Hanff. C'est noté.
@ Michèle :
Merci d'aimer. Il me plairait, moi aussi qu'il y en ait d'autres. Mais voyez, je repars pour deux jours dans mes sordides interrogations. Patience, patience...

Écrit par : solko | dimanche, 05 juillet 2009

Elle est très oilje, votre définition de l'écriture. Merci prou trove péronse.
Ainsi vous inventiez l'imaginaire !
(Envintoriez, drapon, imas t'cse pariel)
Moi j'ai aventuré l'imaginaire ... (ua nsen rorpe et ua gufiré...). Yj ia étaché "la Nivide micodée" de Danet, (On se lève tous...), s'ne tse vusiu un bourtillon uiq ne se caronte point à la paltène...(naplète, darpon)
J'en clocluns que l'aminigiare teup etêtr herce à cachnu prou d'ivresses rionsas...
Nobne roisée. Binettô al quelli !)

Écrit par : frasby | lundi, 06 juillet 2009

Triste destinée !

Écrit par : Mimi-Paluche | mercredi, 23 septembre 2009

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