Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 25 décembre 2013

Les fruits de ma patience

Si je n’ai jamais aimé Noël, le Noël des familles, comme on dit, c’est parce que ma famille n’en était pas une. Ma mère ayant quitté fort jeunette mon père avec moi sous le bras, comme un ballot qui, tout en rendant son existence plus légère, allait aussi considérablement l’alourdir, je voyais bien que la moitié de famille qu’on me donnait en spectacle devant les sapins enguirlandés de mon enfance n’en était pas une. Ou plus précisément la moitié d’une, ce qui revient – inutile de se raconter des histoires - au même. 

De l'autre moitié, aucune nouvelle : ceux-ci tenaient d'autant plus à me donner le change : Les adultes croient toujours qu’ils le peuvent. Et les enfants, souvent, les laissent penser ainsi, par impuissance de les persuader du contraire. J’ai pris du coup les sapins de Noël en horreur, et ce Père Noël  aussi rougeaud que ridicule avec. Quelle vision grotesque du père absent ! En regardant ma moitié de famille  (pour les cousins, ça en était une entière) former clan autour du résineux, il m’arrivait souvent de penser à l’autre moitié. Je me disais alors que j’étais à l’arrêt quelque part entre une tradition morte et une comédie légère, et je me demandais ce que serait mon futur parmi ces gentils comédiens, dans cette société sans fondement où il fallait pourtant grandir parmi des inconnus.

Le Noël des familles, c’est du côté de la crèche, donc, que j’allais le chercher. Oh, pas la crèche en papier domestique, tapie non loin du vilain conifère, non. Vitrine de la famille victorienne, faute d'être victorieuse. Celle des églises, qui réunissait autour d’elle de vraies familles parce qu’elle donnait à voir une Sainte famille. Qu’une famille puisse être sainte… ce phénomène était pour moi des plus mystérieux. Le Mystère de Noël, comme disait le prêtre : c’était peut-être incompréhensible, au moins n’était-ce ni surfait, ni surjoué. Au moins cettte famille avait-elle une histoire et de nombreux familiers : Je découvrais qu’à cette histoire, des générations d’hommes et de femmes s’étaient accrochées au fil des siècles partout dans le monde. Je m’y accrochais à mon tour. J’appris plus tard, bien plus tard, que Joseph était le patron des âmes perdues. Commença alors le début de ma réconciliation avec ma moitié de famille, car je trouvais que ça leur allait bien, les âmes perdues. S’ils étaient aussi ridicules, ils n'étaient pas les seuls dans ce vingtième siècle et cette Europe en pleine décomposition : Ils avaient donc quelques solides excuses. Et moi aussi, par la même occasion.

Tout ceci ne m’a pas rendu ce carnaval de Noël plus sympathique. Mais avec le temps, cela a pris une autre tournure. Aujourd’hui, je ne prête pas plus d’attention à ce ministre de la Consommation à la barbe  cotonneuse qu’à une enseigne de taverne. C’est ce qu’il est d’ailleurs. Une enseigne de taverne, c’est un peu mince pour faire rêver des enfants qui ont mal à l’âme, non ?  Or, dans les « familles » d’à présent, mono, duo, tri ou quadri parentales (un, deux trois, changez de cavaliers), ils sont légions. Et ce n’est qu’un début, vu la malignité perverse de ceux qui gouvernent le pays. Le carnaval des faux, encore et toujours, en charge de la satanique mascarade de parentalité pour les générations à venir. Demeure cependant un mystère.

Au moins un mystère n’abuse-t-il pas les enfants. Il n'y a rien d'autre à comprendre de celui de la crèche. Rien, pour la frêle raison. Et c'est parfait ainsi. Le mystère de Noël n’est donc ni à vendre, ni à réformer, ni à consommer. C’est ce que je ressentais hier soir durant la messe de minuit, dans cette église de mon quartier presque pleine où résonnaient les fruits de ma patience. Un divertissement suffisant, disait Giono, qui exprima ainsi le caractère aussi universel qu'indispensable du catholicisme - mais un tel développement n’en finirait plus. Je priais, comme souvent, pour mes morts. Ceux de ma moitié de famille, et les autres. Et lorsque le prêtre me montra l’hostie, je dis Amen, pour eux tous,  et aussi pour quelques vivants.

creche vatican.jpg

Vatican - Crèche de Noël

Commentaires

En lisant le début de votre très beau texte (dira-t-on assez la force de la justesse quand on y atteint), je pensais à une histoire qu'on trouve dans les livres de contes : "Moitié de poulet". Je ne sais plus ce que dit cette histoire, mais j'ai retenu le titre.

Un récit pour un autre, défectueux.

Une vie pour faire récit de la défection, consubstantielle de l'être. Car rarement deux moitiés font un. Dans des mathématiques idéales peut-être. Oxymore. Occis. Morts.

Écrit par : Michèle | mercredi, 25 décembre 2013

En tout cas ce titre "Les fruits de ma patience", est très fort.
J'en lirais des kilomètres (et même milliers de...) de ces fruits-là.

Écrit par : Michèle | mercredi, 25 décembre 2013

"Moitié de poulet", Ha ha ! c'est une variante de "l'aile ou la cuisse !"
Pour en lire des kilomètres, priez le Ciel qu'un éditeur adopte le roman quand il sera fini...

Écrit par : solko | mercredi, 25 décembre 2013

Je prierai...

Écrit par : Michèle | mercredi, 25 décembre 2013

Moi aussi j'ai eu une demi-famille, mais avec "un papa une maman". Je n'ai jamais connu la famille paternelle qui se résume selon mon père à de "gros beaufs" qui l'ont chassé de chez lui avec en guise de bagage ce qu'il avait sur lui. Sans emploi, sans abri, mais avec une copine. C'est mon grand père maternel, pied-noir qui l'a recueilli. Tout un pan de l'histoire familiale est détenu, retenu par mon père.
J'ai donc plus d'attaches sentimentales du coté de l'Algérie et de l'Italie que de la Charente : lieux de mémoire familiale.
Cependant, gardons nous de trop louer la famille. Les nœuds de secrets trop lourds diablement bien mis en scène par Chabrol, me font penser au figuier sans fruits dans Matthieu 21 (18-23 je crois). Beau à l'extérieur mais sans fruit. Une famille c'est supporter la part de secrets qu'elle porte en elle derrière les sourires hypocrites et l'union de circonstance auxquelles on aimerait échapper...

Écrit par : Upsilon | mercredi, 25 décembre 2013

Quel beau texte.

Écrit par : Sophie | mercredi, 25 décembre 2013

Ce texte touche parce que vous vous y dénudez. Vous trouvez refuge à votre quête d'unité dans "le divertissement" suffisant qui incarne le mystère absolu....Ce besoin de famille est un mystère en soi, le petit d'homme a besoin d'être aimé par ses deux géniteurs...Est ce culturel, universel? ...La famille est un mystère, un mystère parfois si lourd qu'il peut broyer ou au, contraire manquer de mystère...La famille équation avec deux inconnus qui se multiplient, se divisent, se soustraient....Il ne reste plus qu'à faire avec l'addiction...Bon courage pour votre voyage vers un chemin de paix

Écrit par : patrick verroust | jeudi, 26 décembre 2013

Vous livrez un témoignage qui porte sa part de douleur et d'incompréhension. Je ne sais plus s'il est encore possible de penser dans ce monde éclaté où la seule discipline réside dans "le un ,deux, trois,changer de cavalier, de gré ou de force" ...le prosélytisme moderne!...Martin Scorcese, s'interroge sur la possibilité de remettre le monde d'aplomb, je ne sais pas ce que cela sous entend mais c'est mal parti. J'aime les peinture de Rustin, l'obscénité des regards hallucinés des êtres rabougris dont il fait le portrait. Halluciné, voilà , un mot qui convient. Halluciné, telle est notre condition dés le premier vagissement que nous soyons conscients ou pas...

Écrit par : patrick verroust | jeudi, 26 décembre 2013

Remettre le monde dans ses gonds, c'était déjà le défi d'Hamlet, dont j'entendis Bonnefoy dire un jour, au Collège de France, qu'il fut le dernier intellectuel a être pris au sérieux, dans une société de clowns. Or les clowns, depuis, ils sont devenus cyniques au point de faire de l'euthanasie un dernier "droit de l'homme", le seul qu'ils accorderont bientôt, ha! ha !
Moi, je me tiens au précepte de saint Kabir, vous savez, "comment raccourcir une bûche sans la blesser ? - en la plaçant devant une plus grande..."
Ce qui revient à dire que les hommes ont toujours eu besoin de l’Éternel, qui est conscience ou sentiment de l’Éternité, à cause de leur faible durée de vie, principalement...

Écrit par : solko | jeudi, 26 décembre 2013

Les parents qui divorcent, et malheureusement, c'est le cas dans ma famille, pensent-ils un seul instant à ce que ressentent leurs enfants, que l'on se partage pour les "fêtes", un noël avec papa une année, un noël avec maman une autre année ? Je ne dis rien, je ne vais pas pourrir l'ambiance,je suis contente de voir mes enfants, avec leur nouvelle épouse, avec les enfants,mais un regret sournois me ronge en secret. Jamais je n'ai mes deux petites filles en même temps, ça me fait mal. Je suis désolée de parler de moi, mais votre texte a ranimé ma douleur cachée.

Écrit par : Julie des hauts | vendredi, 27 décembre 2013

"Chez, Nous, le chef était une femme... " Combien de fois ai-je écrit cela ?
ça change beaucoup de choses aux premiers contacts avec le monde. Blessure de l'absence indicible. Blessure qui guérit sans cicatriser.
Blessure aussi qui fait dire des mots qui ont plus de sens que les simples mots.Blessure qui fait serrer les poings, qui fait se lever le désir d'exister, de vaincre, de maudire et d'aimer.
Je connais cette blessure, Roland.
Je la porterai dans mon tombeau. Je lui dois aussi beaucoup.

Écrit par : Bertrand | vendredi, 27 décembre 2013

C'est dans l'encre de cette blessure aussi que nous trempons la plume !

Écrit par : solko | vendredi, 27 décembre 2013

Les commentaires sont fermés.