mardi, 23 août 2011
L'Eté Crémer (rediffusion)
Il y avait eu l’été Serrault, c’était, rappelez-vous, il y a trois ans. Voici que les soirées de plus en plus écourtées de l’été Cremer commencent à étendre sous nos yeux leur poignant venin. Bruno Cremer, c’était avant tout un rythme de jeu. Au siècle de la vitesse, Cremer imposait d’un geste voluptueux, d’un regard bleu, à l’interprétation, son indispensable lenteur. Un mot, juste glissé entre deux silences. L’œil du spectateur prenait alors le temps de trainer sur le pli d’une teinture, le carreau d’une nappe, le nacré d’un coquillage posé sur une commode. Son oreille, de se souvenir d’une réplique entendue une dizaine de minutes auparavant. Son esprit, de retenir un indice. De rêver un peu. La lenteur du jeu de Cremer offrait au terne de l’écran une profondeur rare, très française : celle des scènes de théâtre de l’immédiat après-guerre, où trainaient encore quelques fantômes de Jouvet, de Dullin. Les décors superbes des Maigret m’ont toujours paru faits pour cette lenteur du jeu de Cremer. Et vice versa. On ne sait lequel était le décor de l’autre.
Je ne serai pas à Paris vendredi prochain 13 août. Sinon, j’aurais volontiers fait un détour par Saint Thomas d’Aquin, puis par le cimetière du Montparnasse. Un détour, quelques pas lents, silencieux, comme à pas lents et sans faire de bruit hommes et femmes de cette génération née dans les années 30, à laquelle une sorte d’amitié nostalgique me lie, nous quittent. Que faire ou dire de plus, songeant à eux ? Un siècle se referme très nettement à chacun de ces départs ponctuels et nous laisse orphelins – ou rescapés - de son art, de sa lenteur. Même si beaucoup d'entre eux, -je veux dire de ces gens du 20ème siècle - imaginaient à grand'peine qu'il fût possible d'aller à un train plus rapide que le leur allait, déjà, j'écris bien, de son art, de sa lenteur...
Comme il est peu probable qu’un éditeur courageux sorte de son chapeau un nouveau Simenon (Simenon ou la lenteur de l’écriture), il est peu probable que des cours de théâtre qu’on distille encore ça et là émerge un nouveau Cremer. Trop lent, trop plein, bien trop personnel aussi, le bougre, le roublard, quand le rapide, le vide, la copie, le nombre et le bruit obstruent le paysage. Une dernière remarque qui n'a échappé à personne : après Bernard Giraudeau, Philippe Faure, et tant d'autres, le crabe, décidément, se régale douloureusement...
08:07 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : cinéma, bruno cremer, actualité, maigret, simenon |
Commentaires
Écrit par : Marie-Hélène | mercredi, 11 août 2010
Écrit par : Nénette | mercredi, 11 août 2010
Écrit par : CL.ÉMENCE | mercredi, 11 août 2010
Bruno Crémer me paraissait éternel, et sa mort ramenant à la brusque réalité, je ne savais ni sa maladie, ni son âge, est un choc. Le rappel constant de notre condition.
Et ce crabe qui rôde et n'en finit pas.
Le crabe qui, en Inde, est le signe zodiacal du Cancer et correspond au solstice d'été, début du mouvement descendant du soleil.
Écrit par : Michèle | jeudi, 12 août 2010
Merci Solko, de ce parallèle entre la lenteur du jeu de l'acteur et celle de l'écrivain.
Le crabe.
En Pologne, Cancer se dit "rak", c'est-à-dire, littéralement "écrevisse".
Crabe ou écrevisse,sa cruauté est insatiable et nous avons tous quelqu'un qui nous était cher, de près ou de loin, emporté par cette cruauté
Écrit par : Bertrand | jeudi, 12 août 2010
Écrit par : Frasby | mercredi, 18 août 2010
lenteur ? retenue... intériorité.
j'adore moi aussi les Maigret pour l'atmosphère des années 50 et qui ne tient pas qu'au décor.
Écrit par : Rosa | jeudi, 19 août 2010
La disparition on ne peut plus naturelle de tous ces gens de théatre, bourrés de talent, remplis de discernement et d'amour, est presque une disparition dans la brume du sigle " Made In France ", disparition qui m'a inspirée " UN BEAU CAMION " : http://funambublog.hautetfort.com/
Écrit par : maudub | dimanche, 22 août 2010
Écrit par : Voyageuse | lundi, 23 août 2010
votre billet sur Cremer-Maigret est d'une grande justesse, tant sur l'acteur que sur ce que représentent les adaptations des romans de Simenon, grand écrivain s'il en fut... Vous avez bien raison de souligner ce que, dans cette incarnation du cher Jules par Cremer, la lenteur, les silences, cette nonchalance grave avaient d'éclat et qu'à l'ère des films d'action et d'effets spéciaux ces particularités sonnent comme des anachronismes.
Simenon détestait l'interprétation de Jean Richard (à juste titre). Je crois qu'il n'était pas convaincu par celle de Gabin (et je le comprends). En fait, il pensait que son Maigret idéal serait Bernard Blier (ce qui peut étonner, à première vue, mais son interprétation dans "Buffet froid" suggère que l'écrivain n'avait peut-être pas tort). Peu importe : nous avions Cremer ; il nous restera Cremer et son phrasé.Comme un refuge...
Puisque l'été fut assassin, pensons aussi que Philippe Avron est mort en plein festival d'Avignon, alors qu'il jouait Shakespeare. Cette disparition n'a pas fait grand bruit mais nul de ceux qui vous lisent, cher Solko, ne s'en étonneront...
Écrit par : nauher | mercredi, 25 août 2010
Avec le décès de Philippe Avron, vous m'apprenez une bien triste nouvelle, voyez, j'étais passé à travers. La scène se dépeuple vraiment peu à peu, sentiment curieux d'un lent déclin et d'une relève qui ne se fait pas, ou ailleurs. A bientôt.
Écrit par : solko | mercredi, 25 août 2010
http://brigetoun.blogspot.com/search/label/festival%202010
http://www.philippeavron.com/
http://2.bp.blogspot.com/_wYNuLlRMLMg/TFRcutIx7LI/AAAAAAAAAxg/ViDyMQo6LWI/s1600/P+Avron107.jpg
Écrit par : Michèle | jeudi, 26 août 2010
Illustrator fait décidément des merveilles :)
Écrit par : Michèle | mardi, 23 août 2011
Écrit par : Sophie K. | mardi, 23 août 2011
Pour que Cremer puisse donner tout sa mesure, il aurait fallu une histoire vive, le laisser inventer.
Écrit par : patrick verroust | mardi, 23 août 2011
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