mercredi, 03 mars 2010
Il ouvrit la porte et sortit
Il ouvrit la porte et sortit : Cela n’a l’air de rien, mais écrire une telle phrase, ce n’est pas donné à tout le monde. Cela veut dire qu’à un moment donné, vous voulez communiquer une information dont votre lecteur a besoin pour comprendre la suite de l'histoire. Tout roman est truffé d’instant comme ça, où on est obligé d’écrire des trucs sans intérêt, sans autre intérêt que de dire. Stylistiquement, franchement, quel intérêt, une phrase comme ça ? C’est comme Passe moi le sel. Descriptions, sommaires, dialogues... Les « bons romans » (qu’on les appelle) en sont pourtant remplis, de phrases de ce genre. Vous avez sans doute déjà fait l’expérience de saisir à la hâte, dans le métro, par-dessus l’épaule d’un de vos voisins en train de bouquiner, un passage ou un autre ? (Me direz que c’est souvent un roman de métro, hein, qu’il lit…) Et vous tombez sur ça :
« Elle enfila son gant en disant : » Ou bien. « Comme ils n’avaient jamais vu la mer auparavant, ils se faisaient un plaisir d’arriver ». Bon. Des trucs sans intérêt, à moins d’être plongé, vous dira-t-ton, dans le fil de la narration, comme on dit, hein… L’histoire, le suspense, la psychologie… L'intrigue. C'est tout ça qui compte...
Mon problème c’est que franchement écrire des trucs comme : « François la vit s'avancer et fut prit d’un fou-rire », j’ai du mal. Parce que ça ne m’intéresse pas, sans doute, notre monde comme il va. Je lis ça par-dessus l’épaule de ma voisine et me demande ce qu’on en a foutre de ce type de héros romanesques, qui vivent dans un monde pareil au nôtre, ouvrent des portes, vont à la mer, enfilent des pantalons, s'aiment et ne s'aiment plus, bref, nous ressemblent tragiquement. Alors qu’un roman a besoin de se passer dans un autre monde. Un monde composé, d’un autre langage et d’une autre nature. D'une autre portée. D'une autre voix. Et d'un autre souffle. Même s'il y a la mer. Et des portes. Un roman a besoin d'un autre dire. Et dans cet autre dire, cet autre phrasé, ce qui est le plus dur à formuler, c'est justement ça : voir la mer ou ouvrir une porte... Sans doute sommes-nous encore quelques-uns à croire cela.
En attendant, à feuilleter les trucs qui trainent à la Fnac, qu’est-ce qu’on ouvre comme porte, et qu’est-ce qu’on sort….
Et qu’est-ce que c’est intéressant !
20:16 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : littérature, écriture, romans |
Commentaires
Allez, j'éteins l'ordi, je vais me coucher. Charge à qui veut d'en faire un roman! Ah ah!!!
Écrit par : tanguy | mardi, 02 mars 2010
Écrit par : tanguy | mardi, 02 mars 2010
Bof.....
Écrit par : Bertrand | mercredi, 03 mars 2010
Mais un romancier qui écrit : "il ouvrit la porte et sortit" soit chez lui, il n'y a pas de portes, ou il passe dessous, soit il prend ses lecteurs pour des c... et considère que c'est important d'ouvrir une porte pour sortir, que ça, ça mérite d'être dit.
Plus sérieusement, il pourrait écrire " il sortit". Point barre.
On lit aussi : " Vers dix heures, il descendit à la cave. " Ben voyons...Pourquoi pas ? Un romancier qui considère que pour aller dans une cave il faut descendre et que c'est important de le dire à tout le monde et pour son histoire, est un romancier qui inspecte le monde d'une façon des plus originales, voyez-vous, cher Solko...
J'ai lu aussi : "le train filait à toute allure en direction du nord"
En général, quand on file, on n'a pas la nonchalance d'un lumas...
Tout ça, est une question de travail sur l'écriture.
Quand nous nous relisons(moi du moins)il arrive que nous tombions sur de telles redondances...
Quel bordel !
Amitiés
Écrit par : Bertrand | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : Sophie | mercredi, 03 mars 2010
http://www.youtube.com/watch?v=O6AwPSjqtAY#
Qu’en as tu fait
Qu’as tu fais de ta beauté
De ta silhouette élancée
Les années se ressemblent
On est de moins en moins ensemble
Qu’est ce qui t’as pris
D’afficher tant de mépris
Où sont nos bains de minuit
Tu ris quand tu t’étrangles
J’aurai si peur qu’il te ressemble
A la gare du Nord, je sors
Rendez vous qui sait
Dans une autre vie
Dans un autre monde
Rendez vous qui sait
Quand il fera nuit
Quand il fera sombre
Qu’en as tu fait
Qu’as tu fait de ta belle bouche
Ton goût pour les lieux bien louches
Le latex et les sangles
On est de moins en moins ensemble
Qu’est ce qui t’as pris
Où est ton grain de folie
Ton démon de midi
Gardes l’urne et les cendres
J’aurai si peur qu’il te ressemble
A la gare du Nord, je sors
Rendez vous qui sait
Dans une autre vie
Dans un autre monde
Rendez vous qui sait
Quand il fera nuit
Quand il fera sombre
Rendez vous qui sait
Dans une autre vie
Dans un autre monde
Rendez vous qui sait
Quand je serai gris
Quand tu seras blonde
Rendez vous qui sait
Rendez vous qui sait
Rendez vous qui sait
et, pour le fun, deux autres textes plus récents de biolay:
http://www.youtube.com/watch?v=HxPztjrgCZY#
http://www.youtube.com/watch?v=xtmVTfGJUzA&feature=related#
Écrit par : gmc | mercredi, 03 mars 2010
Je crois que tout cela est une affaire de degré. les "passerelles" sont d'autant moins visibles qu'elles mettent en lumière les temps forts. Elles sont donc, peut-être, une nécessité.
Le problème que vous posez reviendrait donc à évaluer à quel moment il y a inflation de ces "gimmicks" assurant la continuité référentielle de l'histoire avec notre monde, à quel moment c'est effectivement "trop" notre monde.
Écrit par : nauher | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : calystee | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Je crois que lorsqu'il n'y a plus que ça dans un roman (et vous posez la question de ce moment où c'est "trop notre monde"), le roman est bon à mettre au cabinet...
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : Sophie | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : Sophie | mercredi, 03 mars 2010
Heureusement qu'il reste le passage de l'Argue...
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | mercredi, 03 mars 2010
Personnellement je dois avouer que je me souviens avec beaucoup d'amusement du jour où une cliente demanda à mon libraire préféré le dernier BHL. Grand bonheur, impossible à la FNAC, dont je n'imagine pas réellement me passer (du bonheur en question, pas de la FNAC).
Ceci dit, compte tenu de son titre et de son fil rouge, je considère que ce billet appelle un lien de midi à sa Porte. Voilà qui est exagéré, comme demande implicite ;)
Écrit par : thomas p | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : Pascal | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : solko | jeudi, 04 mars 2010
Je suis( sur un point seulement) d'accord avec nauher : tout dépend de l'importance de ces passerelles dans le texte et, en les isolant, évidemment, que ça devient niais...
Quant à dire, cher Nauher, qu'un texte bien travaillé serait hermétique comme une huître et aseptisé comme des latrines finlandaises, c'est aller un peu vite en besogne...Car que dire alors de Madame Bovary, qui reste un délice de lecture alors qu'on sent bien et qu'on sait bien que chaque phrase a été ciselée au bistouri et vingt fois remaniée..
Je maintiens cependant que la plupart de ces passerelles sont inutiles et pourraient être "détournées". Quitte à changer de paragraphe et sauter une ligne, sans transition.
Écrit par : Bertrand | jeudi, 04 mars 2010
Du coup je reçois comme un beau cadeau la petite note de ce matin.
Écrit par : thomas p | jeudi, 04 mars 2010
Plutôt que d'entrer (après avoir ouvert la porte) dans le débat, où je ne dirais pas grand-chose de neuf, grand-chose que vous ne sachiez, je suis allée vers des textes. Avec pour but une sorte de micro-lecture, un regard sur "les pièces de la mécanique textuelle". Car cet autre dire que vous appelez, Solko, c'est bien (comme le dit Bertrand), le résultat de l'écriture, de la pensée certes, mais au filtre de l'écriture.
J'ai pris des textes de fiction ; volontairement aucun texte du net ; de la fiction livre papier édité.
J'ai lu le début de "L'Enterrement" de François Bon, le début de "La Gerbe d'or" d'Henri Béraud, le début du "(Le) livre de Matthias" de Philippe Nauher. Les deux premiers livres je les connais, le troisième je vais, l'ayant seulement récupéré hier soir après commande chez le libraire.
Je veux juste dire ici le bonheur à lire des textes rendus (comme on dirait d'un dessin, d'une peinture) au cordeau ; du bonheur à lire des "voix".
Je proposerai ces extraits-là (ou d'autres) si cet échange se poursuit, pièces à l'appui. Livrés au regard (exercé ou pas).
Écrit par : Michèle | jeudi, 04 mars 2010
Je n'ai nullement insinué qu'un livre travaillé serait hermétique et donc inintéressant (loin s'en faut). Je voulais simplement rappeler (mais peut-être l'ai-je mal fait) que nul roman ne peut s'abstraire des contraintes avec lesquelles il joue et que l'une d'entre elles est, bon gré mal gré, d'emprunter parfois au prosaïque certaines de ses "chevilles".
Quant à Flaubert (mais Flaubert... qui trône dans l'azur), il avait l'art de détourner la moindre "passerelle" pour faire coller le moindre temps anodin, le moindre geste "gratuit" à l'économie même de son entreprise. Il faut dire qu'il n'avait pas choisi la facilité, ayant décidé de jouer de/avec la bêtise pour en faire un monument.
Écrit par : nauher | jeudi, 04 mars 2010
Vous avez raison, il faut toujours s'appuyer sur des exemples. Mais ces trois auteurs ne font pas partie de ces écrivains "à chevilles" (ou "à passerelles" que je me permettais d'égratigner. Cela dit nous retrouverons avec plaisirs des citations des ces trois-là.
@ Bertrand : Eh, nous voilà donc d'accord ! "Quitte à changer de paragraphe et sauter une ligne, sans transition." C'est la meilleure solution, et pour l'écrivain, et pour son lecteur.
Écrit par : solko | jeudi, 04 mars 2010
Par contre, approcher un texte pour lequel l'écrivain s'est décarcassé, ça m'intéresse. Pas pour un arrêt sur beauté, qu'est-ce que ça voudrait dire, mais pour la charge. Pour la langue recomposée.
Écrit par : Michèle | jeudi, 04 mars 2010
Nauher, j'ai relu votre intervention. Oui, effectivement, c'est peut-être moi qui suis allé vite en besogne en vous faisant l'avocat des passerelles.
Et ce que vous dites de Flaubert est là évidemment très juste.
Mais c'est le propre des zones de commentaires, l'ellipse, et quand le débat est dense, évidemment...
"...que nul roman ne peut s'abstraire des contraintes avec lesquelles il joue et que l'une d'entre elles est, bon gré mal gré, d'emprunter parfois au prosaïque certaines de ses "chevilles"."
Je vous entends parfaitement sur ce sujet. Incontestable. Mais il s'agit justement de faire du prosaîque un peu moins prosaîque. Non pas de camoufler la cheville, mais de lui donner de l'originalité.
Attention, je ne dis pas que j'y parviens dans mes propres écrits...
Je discutais avec un ami (Feuilly - Marche romane) et je lui disais que le mot indispensable, la passerelle, devait surprendre, qu'elle ne soit pas qu'une clef mais qu'elle fasse corps avec le reste ...Par exemple, lui disais-je, si tu écris " l'aube était blafarde , c'est le flop complet ! Tous les lecteurss savent, avant même de lire, que tu ton aube est blafarde... "
Ce n'est qu'un tout petit exemple...
En poésie ( je pense à Brassens, évidemment) les clefs sont vraiment superbes.
je cite : Le Mécréant
Présentation de l'enjeu idéologique, du noeud gordien du poème et tout à coup :
"Sur ces entrefaits-là, trouvant dans les orties
Une soutane à ma taille, je m'en suis travesti.
Elle n'est pas belle cette balancelle ?
Je lirais volontiers les extraits proposés par Michèle.
Écrit par : Bertrand | vendredi, 05 mars 2010
quant à nos "faillites" dans ce que nous écrivons, elles font partie du "jeu". Si un jour nous arrivons à l'adéquation parfaite entre nos désirs et ce que nous couchons sur le papier, nous n'aurons peut-être plus beoin/envie d'aller plus loin. (je dis cela mais je n'y crois pas vraiment : il y a dans l'écriture tant de (dé)raison(s) que la question du style n'est pas la seule qui puisse tenir l'ensemble.)
Écrit par : nauher | vendredi, 05 mars 2010
J'inscrivais quand même ma proposition d'extraits dans une dynamique où chacun aurait proposé...
Écrit par : Michèle | vendredi, 05 mars 2010
Écrit par : Michèle | vendredi, 05 mars 2010
L'écriture, ce qui nous passionne là-dedans sans doute, c'est justement qu'elle se fait cette pâte que nous aimons malaxer, remanier,aux galbes multiples, changants, facétieux, pour qu'elle dise de plus en plus ce qu'il y a derrière elle et nous.
Gare à Pygmalion cependant ! Quoique...
Des extraits de Michèle, je ne connais, hélas, encore que de mémoire, que " l'enterrement", et que c'est des deux "que" n'sont pas jolis, justement !
Écrit par : Bertrand | vendredi, 05 mars 2010
L'écriture, ce qui nous passionne là-dedans sans doute, c'est justement qu'elle se fait cette pâte que nous aimons malaxer, remanier,aux galbes multiples, changants, facétieux, pour qu'elle dise de plus en plus ce qu'il y a derrière elle et nous.
Gare à Pygmalion cependant ! Quoique...
Des extraits de Michèle, je ne connais, hélas, encore que de mémoire, que " l'enterrement", et que c'est des deux "que" n'sont pas jolis, justement !
Écrit par : Bertrand | vendredi, 05 mars 2010
Écrit par : Solko | vendredi, 05 mars 2010
Maintenant que je suis morte, maintenant que Cécile est morte, a juste répété mon oncle Benoît, que j'ai ajouté ma pierre tombale à l'histoire de la famille, il va falloir monter là-haut, dans les brumes du Nord, passer au temps du déménagement, à ces choses dont on dit vouloir se détourner et qu'on appelle bassement matérielles, mais qui ne le sont pas tant que cela.
Ton frère, le Matthias, comme tu as l'habitude de dire, s'est entendu avec toi pour que vous fassiez le voyage et le sale boulot. Il t'aura simplement demandé si dans deux jours, c'était possible, si tu pouvais te libérer, et tu auras répondu qu'il n'y avait pas de problème. Tu ne peux rien refuser à ton frère et j'étais ta nièce. La famille, c'est sacré, et il faut se serrer les coudes. Ce sont des formules qui te vont bien.
Écrit par : Michèle | samedi, 06 mars 2010
La rue longue, le vent lui-même ne s'y sent pas à l'aise.
Les fils du téléphone, quarante au moins tellement ils ont de choses à se dire, tout du long, sur leurs poteaux comme des chandeliers. Un nuage d'oiseaux s'y abat d'un coup, centaines de petites boules noires sur le ciel argent gris de décembre, un temps le recouvrant d'un vacarme de cris. Quand ils cessent, encore le vent, on dirait qu'il hurle. Au pâtis des bâille-bec c'est l'expression par ici pour où ce matin on va, jour d'enterrement à Champ-Saint-Père, tout le village fait cortège.
La force violente du vent, sur si grand de pays étalé, le pays plat, et reste plat sous les maisons basses, de grandes cours les isolent, avec des granges, hauts monstres de tôle à se regarder de loin, en côté.
Écrit par : Michèle | samedi, 06 mars 2010
On a clos les volets de la boulangerie. Assise à côté de moi, sous le papillon du gaz mis en veilleuse, ma mère somnole. Ses mains, que le travail a polies comme un buis, retiennent la corne de son tablier.
Dix heures sonnent ; nous attendons ; la rue est déserte. Pourquoi ne suis-je pas couché ? Par la porte entr'ouverte, la lumière coule en pyramide jaune sur le trottoir. Chez nous, cependant, de l'autre côté de la cloison vitrée, les mitrons, brassant la première fournée, frappent à grands coups de pâte, les ais du pétrin ; ils poussent à pleine poitrine des "han" qui retentissent dans le silence nocturne. Par les bouches des fours, je vois fumer les brasiers rouges... Le sommeil me gagne.
- Encore un moment, dit ma mère, ton père va rentrer de Paris...
Mon père était allé voir l'Exposition et la Tour Eiffel. Je ne me rappelle ni son départ, ni son absence. Ce que je revois c'est son retour.
Un fiacre roule sur le pavé. Il s'arrête devant la "Gerbe d'or".
Écrit par : Michèle | samedi, 06 mars 2010
@ Nauher : Mon cher Nauher, voici votre Matthias, et vous voici vous-même en excellente compagnie !
Écrit par : solko | dimanche, 07 mars 2010
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