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jeudi, 11 février 2010

Un vers à la craie

J’avais pris la résolution d’être poète.

Poète à la craie, il va sans dire,

Poète des rues, si vous préférez.

Un matin d’avril – avril est un mois parfait pour ça-

Je séchais donc les laids cours

Et sur le trottoir de Bellecour

J’écrivis d’un trait :

« Combien m’achetez-vous ce bel alexandrin ? »

Rien.

Rien, forcément, quand j’y songe à nouveau

Et pourtant, sincèrement,

Je forçais le destin.

Mais le destin a parfois le corps sec.

Ce n’est qu’à la fin du jour

-Une journée, qu’on trouvait ça long à l’époque, n’est-ce pas ?-

Qu’une femme – et je revois encore son sourire,

Son galurin, son nez de clown,

Son imper vert -

S’arrêta devant mon unique vers, lequel n’avait pas d’autre tour

Dans son sac ni de trou dans sa

Culotte, étant pair, et,

Après l’avoir vraiment balayé du regard

Ne laissa rien qu’une enveloppe

Que j’ouvris, peu après son départ.

C’était un mois d’avril de l’an septante-trois

Comme quelques-uns diraient encor par ici

Si l'on était encore en ces temps-là :

« J’espère que tu ne triches pas.

Que tu n’es pas un imposteur ».

Et dans l’enveloppe, CECI.

07:57 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : corneille, littérature, place bellecour, poésie | | |

Commentaires

Un Corneille ! C'est Pascal A. qui eût été content...

Votre poème est très beau, Solko, et si je plaisante c'est pour tromper l'émotion, la gorge serrée.

Parce que vous ne trichez pas, n'êtes pas un imposteur.

Écrit par : Michèle | jeudi, 11 février 2010

La beauté de ces mots "Poète à la craie"...

Au début de "Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?" (1941), Béraud évoquant un voisin de ses parents (le père Gidrol, allant sur ses quatre-vingt-dix ans "Nonante moins trois" disait-il), écrit :
"C'était un de ces petits vieux à bancs..."

Écrit par : Michèle | jeudi, 11 février 2010

Je vous découvre et c'est avec plaisir que j'ai voyagé d'articles récents à de plus anciens, notamment sur les Corneille, Pascal et autres figures que nous tenions bien au chaud dans nos poches.Votre poète à la craie, il me semble en avoir rencontré beaucoup du temps où je vivais en ville. Quelle innocence!

Écrit par : Zoë Lucider | jeudi, 11 février 2010

Cher Solko,
Vous avez dû être un bel enfant frivole, à voir comme vous savez le rester.

Merci pour ce petit poème à la craie.

Écrit par : tanguy | jeudi, 11 février 2010

Très beau moment de lecture. Bravo.

Écrit par : Christian Cottet-Emard | vendredi, 12 février 2010

Merci Michèle de votre commentaire. "Les vieux à bancs", oui, l'expression a marqué plusieurs lecteurs. Parce que l'emploi de ce "à" est une tournure orale qui porte une mémoire populaire en partie enfuie. J'aime beaucoup me servir de ce tour.

Écrit par : solko | vendredi, 12 février 2010

@ Zoé Lucider : Vous avez donc la chance de ne plus vivre en ville ? (de ne plus vivre en vile ...). C'est vous qui nous indiquerez le chemin de l'innocence, donc.

Écrit par : solko | vendredi, 12 février 2010

@ Tanguy : Croyez-le si vous le voulez, ce que je raconte là a bel et bien été vécue, il y a fort longtemps. Et m'a marqué pour toujours. Il y avait dans l'enveloppe aussi un dessin.

@ Christian Cottet-Emard : Merci de le dire.

Écrit par : solko | vendredi, 12 février 2010

Nous n'avons pas douté un instant de l'authenticité de ce vers à la craie et de l'écho qu'il reçut. Nous n'avons pas vu le sourire, mais retenons la bouleversante apostrophe, qui, par la beauté du poème, se fixe en nous aussi sûrement que dans le cœur du poète de dix-sept ans.

Écrit par : Michèle | vendredi, 12 février 2010

Si chaque alexandrin était payé ce prix-là, l'épopée ferait retour.

Écrit par : Pascal A. | samedi, 13 février 2010

@ Pascal : C'est qu'il en est de l'alexandrin comme du sel dans la soupe : point trop n'en faut, disaient les vieux.

Écrit par : solko | samedi, 13 février 2010

Je vous crois sans trop de peine, Solko. Bonne soirée (et de même à Pascal et Michèle!)

Écrit par : tanguy | lundi, 15 février 2010

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