Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 07 février 2017

Plus léger que l'air

Une porte claque. Qu’est-ce qui est « plus léger que l’air » ? Le spectateur ne le comprend qu’à la fin. C’est cet élément impalpable qui, comme un avion en plein vol, ne supporte ni la fausse manœuvre ni le moindre égarement. Égarée, le personnage de Faila ( 84 ans) l’est passablement, et le récit  tenu de cet égarement, sans cesse interrompu,  constitue tout l’enjeu de la mise en scène. Jean Lacornerie offre ainsi à Elizabeth Macocco l’occasion de développer un jeu saisissant, de briller parmi son public, puis de s’éteindre peu à peu devant lui. En nous conduisant à petits pas dans cette adaptation exigeante d‘un roman de Federico Jeanmaire, elle nous entraine dans l’intimité, la perspicacité et la démence d‘une femme solitaire de la bonne bourgeoisie de Buenos Aires. Devenue pour trois jours et trois nuits seulement une sorte de Schéhérazade en robe de chambre, elle instaure avec le public un rapport de force dans un jeu fondé sur le caché/révélé (portes et fenêtres closes), et la reconduction incessante de la suite de l’histoire. Elle est sur ce point aidée par Quentin Gibelin (Santi), qui lui sert à la fois de miroir inversé et d‘alter ego égaré. Une belle et bonne heure de théâtre que ce monologue, à voir et entendre au studio du théâtre de la Croix-Rousse, jusqu’au samedi 18 février

jeudi, 26 janvier 2017

Victor F de Laurent Gutmann

La première originalité du spectacle est qu’on ne sait au fond quand il débute : devant un grand rideau vert, Victor F (Éric Petitjean) se tient assis sur une chaise à l’entrée du public. Jambes croisées, il le contemple, qui prend le temps d‘arriver, de s’installer, de déposer sacs et manteaux. Il s’impatiente, zyeute de temps en temps sa montre, boit une gorgée d’eau et en conférencier pressé lance soudain : « Bon c’était prévu à 20 heures… » L’entrée de l’ami aveugle, Henri (Serge Wolf) lance sur le champ la première scène : le comédien raconte alors les premiers chapitres du récit de Mary Shelley qui servent d‘exposition, et je laisse au spectateur le soin de découvrir par quel facétieux procédé le récit cadre est ainsi mis en scène. Le ton est donné : L’adaptation de Laurent Gutmann écartera toute tonalité gothique pour laisser place à l’humour et à la citation décalée : on note, pêle-mêle, l’Aigle noir de Barbara ou Elephant Man de David Linch. Mais le parti pris humoristique n’ôte rien à la teneur métaphysique du roman, il n’est qu’un moyen ingénieux pour transposer, en l’épurant, l’interrogation qui parcourt toute la prose de Shelley du siècle romantique au nôtre, post moderne.

« L’homme avait plus de chance que moi », lance le monstre (Luc Schiltz) à peine né un peu plus tard, en écoutant le récit de la Genèse : Adam fut créé par un être certes sévère, mais capable au moins de le reconnaître comme fils. Tandis que lui ne fut créé que par un homme et sera donc voué à une solitude existentielle sans recours. La tentation /tentative de Frankenstein se propose ainsi comme une réduplication sur le mode burlesque d‘un acte originel qu’il aurait fallu ne jamais imiter, car il se révèle par essence inimitable. Mais nous nous découvrons nous, hélas, des animaux diablement mimétiques…  

Comme le souligne Laurent Gutmann, la faute principale de Frankenstein ne fut pas de se prendre pour Dieu, mais celle, qui en découle, de ne pouvoir en assumer les conséquences en reconnaissant sa créature à son image. Le nouvel Adam ne lui reprochera donc pas d’être né de lui, mais « de ne pas le reconnaître comme son fils, de ne pas assumer ses responsabilités de père », dit-il.

Cette lecture qui interpelle évidemment sur un plan théologique résonne aussi sur un plan politique et sociétal, à l’heure où les expériences sur le vivant et les projets transhumanistes postulent la « fabrication » d‘êtres voués à un orphelinat en quelque sorte consubstantiel à leur nature scientifique ; réincarné sous un masque qui prend le contrepied de Boris Karloff, ce nouvel Adam de Gutmann affirme ainsi haut et fort le caractère monstrueux de notre époque en nous rappelant que le bourreau vient toujours en souriant, et toujours pour piétiner l’amour.

Plastiquement, la mise en scène est très agréable, vive et pleine de surprises, comme cette représentation de la « Souveraine Nature » de Shelley sous la forme mi féérique mi ironique d‘une gigantesque carte postale helvétique. Les choix musicaux accompagnent le propos et forment un subtil contraste, entre le romantisme du lied Ständchen de Schubert et le rythme de la marimba de Sway. Dans le premier se murmure l‘impossibilité d’aimer et d’être aimé à laquelle Frankenstein a outrageusement condamné sa créature, dans le second s’affirme un  ironique contre-pied entre la fabrication du monstre en laboratoire et la conception d‘un enfant par les voies naturelles. Un spectacle subtil pour la raison et plaisant à l'oeil, à déguster à la Croix-Rousse jusqu’au 3 février. 

 

Victor F 
Mary Shelley / Laurent Gutmann
du 25 janvier au 03 février | 1h30

Théâtre de la Croix Rousse, LYON 04

jeudi, 19 janvier 2017

Fin de partie (reprise)

Le mot juste, juste le mot. Tel est le parti pris de la direction d'acteurs revendiqué par Sandrine Bauer. Le mot, le souffle, le silence. Du coup, le texte de Beckett se donne à entendre dans une plénitude qui étonne, surprend, captive.  Hamm, l'infirme aveugle et tyrannique (Arnaud Chabert), n'existe que dans son phrasé, à l'articulation ample et déhanchée; Clov (Jacques Pabst), le fils souffre-douleur, tient tout entier dans une gamme d'expressions alliant le clownesque lunaire à la trivialité mélancolique et résignée; tous deux lâchent mot à mot ce texte qui semble en devenir incertain, puisqu'autour d'eux comme en eux, « tout est déjà fini ». La vacillante et insuffisante existence du moi de chacun détermine l'absurde nécessité de leur relation qui se déroule et se répète cruellement. Le plaisir du mot articulé, soufflé, respiré se suffit alors à lui-même, fait corps, sinon sens.

Les parents de Hamm, Nagg (André Sanfratello ) et Nell (Sandrine Bauer ), anticipant la Winnie de Oh les Beaux Jours, s'éteignent à petits feux, chacun dans une poubelle. Ils constituent là comme un passé sans mémoire qui se redirait une fois de plus, tel un arrière plan vocal qui tarde à disparaître, et dont les deux autres dépendent. Tous deux, au contraire des deux autres, lâchent en effet des paroles heureuses, des paroles issues des beaux jours et du vieux style, tragiquement audibles dans le huis-clos glacé qui s'apprête à les engloutir.   

Tout le théâtre de Beckett interroge la présence réelle de l'homme de l'après guerre à lui-même, après la catastrophe, figé dans l'absence de Dieu. C'est cette interrogation sur la présence réelle des personnages que la scénographie quasi polaire d'André Sanfratello restitue à sa façon. Le lieu et ses ressources, sa hauteur, sa profondeur, ses hors-champs, sont efficacement intégrés à la mise en plateau. Ce Fin de Partie  constitue ainsi une valeur sure pour débuter cette nouvelle année à l'Espace 44, rue Burdeau. Le Royal Court Théâtre, au sein duquel Roger Blin monta en 1957 la première de la pièce en français, était à peine plus grand que lui. C'est que l'espace restreint sied au langage de Beckett, à ce langage qui ne cesse d'osciller de la retraction à la délivrance. Un petit joyau à voir (ou revoir) du 19 au 29 janvier.

 

unnamed.jpg

Crédit Photo Malo Lacroix / J-S Pourre

FIN DE PARTIE de SAMUEL BECKETT
PRODUCTION ESPACE 44

DU 19 AU 29 JANVIER

Vendredi, samedi | 20h30 Mercredi, Jeudi | 19H30

 

23:20 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : beckett, espace44, sanfratello, fin de partie, lyon, croix-rousse, théâtre | | |

jeudi, 25 décembre 2014

Les origines de la représentation

Certains voudraient voir disparaître les crèches de Noël des espaces publics. Ce sont rarement des adeptes d’une autre religion, bouddhistes, juifs ou musulmans, non. Mais le plus souvent des laïcards fervents , adeptes de la diversité et de l’égalitarisme, qui se satisferaient de voir partout fleurir synagogues, temples et mosquées en nombre égal aux églises pour enfin, comme ils le font partout, poser leur  signe sacré ( =)  entre tous ces édifices, comme ils le posent entre toutes les différences qui s’imposent à leur esprit borné, au prix d’un arbitraire dont ils n’ont plus cure depuis longtemps.

La crèche est pourtant, si on veut bien s’en souvenir, l’ultime trace du renouveau théâtral en France lequel, au contraire de ce qu’en disent les humanistes qui le situent au XVIe siècle dans l’imitation du théâtre antique, se produisit dès le Xe avec les mystères religieux dont le plus populaire, celui de la Nativité, se figea au fil du siècle en une représentation de santons dont la crèche est, si l’on veut, le fossile parvenu jusqu’à nous. C’est toute l’Histoire Sainte qui était alors représentée, et c’est d’elle que le théâtre français est né.  Faut-il, au nom de la laïcité, interdire les trois coups dans les théâtres, qui représentaient en ce temps-là un salut au Père, au Fils et au Saint Esprit ? Bannir le mot marionnette du dictionnaire, sous prétexte qu’il descend de la Vierge de ces mystères médiévaux, la petite Marie, la marionnette ?

C’est bien le projet insensé de ceux qui, d’année en année, déposent des plaintes contre les crèches publiques. La religion catholique est essentiellement théâtrale, au sens le plus noble du terme, dans chacun de ses rites – la consécration de l’hostie qui est son cœur étant le plus beau. C’est sa spécificité, d’aucuns diraient son Génie. Ceux qui n’entendent rien à cette théâtralité catholique, parce qu’elle ne leur a pas été enseignée ou expliquée, sont tout prêts à trouver normal, (l’ère du normal est dévastatrice, pire qu’un pesticide de l’esprit) l’argument des laïcards, imbibés qu’ils sont de cette idéologie de l’égalité des traitements, du nivellement par l’arithmétique et des théories fumeuses du tout se vaut.  Ils ne voient pas l’avenir uniquement technologique que ces bons laïcards, réducteurs de symboles, chasseurs de paraboles et adeptes du langage binaire leur préparent, occupant sans vergogne tout l’espace public de leurs valeurs en toc et de leur théâtre de contrefaçon.

 

 La magie du moment de Noël, ce n’est ainsi ni les cadeaux, ni les sapins, ni les lumières ni la consommation, mais la représentation – au sens le plus strict – du mystère le plus sacré, celui de la Nativité. Et cette représentation, n’en déplaise à ceux qui voudraient que le monde commençât avec eux, est en France, depuis le Xe siècle, merveilleusement catholique

 

joseph-marie-et-jesus-pc190073.jpg

les premières marionnettes

 

dimanche, 22 juin 2014

La culture sauce hollandaise

 «La culture, ça fait partie de la République et le rôle du chef de l'Etat, c'est de défendre toujours et encore la culture. Je le ferai, y compris dans ces moments où il y a un certain nombre de professions qui s'inquiètent pour leur avenir. (...)Ma responsabilité, c'est de faire en sorte que la culture prenne toute sa place en France et que la France rayonne partout dans le monde grâce à la culture. »

François Hollande, samedi 21 juin à la fête de la musique, Institut du monde arabe à Paris

Première contre vérité : « la culture fait partie de la République. » Quel aveu ! Non, la République est un élément de la culture si l’on veut, en tant que système d’organisation politique du monde, au même titre que n’importe quel autre système politique. Imagine-t-on un roi dire que la culture « fait partie de son royaume » ? La culture n’a pas commencé avec la République, Dieu merci, et surtout pas la culture française, qui rayonna sur l’Europe aux XVIIème et XVIIIème siècle, et qui sans aucun doute lui survivra puisqu’elle est présente dans toutes les sociétés humaines, et de tous temps. Elle n’a donc pas à être vassalisée et instrumentalisée pour la cause républicaine, surtout quand cette cause se révèle aussi piètre que sous un tel gouvernement, traître aux intérêts et aux idéaux de son propre pays de surcroît. Je rajouterai que ni la République, ni la culture n’ont de même à être sacralisés.

La responsabilité du Chef de l’Etat : le Chef de l’Etat surtout quand il est partisan, sectaire et derechef inculte comme celui-ci, s’il pouvait se mêler le moins possible de la culture, on lui en saurait gré. Le rôle du chef de l’Etat n’est donc pas de défendre la culture, à moins de réduire cette dernière à la propagande de sa propre idéologie. Son rôle serait plutôt de participer à sa diffusion, en se montrant lui-même sous un jour moins partisan, précisément, plus ouvert aux différences et respectueux des réelles diversités parmi lesquelles nous comptons la Tradition. On en revient sans cesse au novlangue d’Orwell : Le mot culture, dans la bouche d’un tel homme, signifie tout autre chose. Appelons ça secteur économique en crise, si l’on veut, ou mélasse idéologique à bout de souffle

Méfions-nous par ailleurs des gens qui évoquent leur responsabilité ou leur devoir à propos de tout et de n’importe quoi. Il faut quand même une sacrée dose imbécillité, quand on s’appelle monsieur 3%, qu’on vient de brader Alstom aux Américains, après avoir imposé les cours en anglais à l’université, pour affirmer sans la moindre conscience de son propre ridicule, que la culture va « prendre toute sa place en France » grâce à son action personnelle. Quant au rayonnement de la France, on prend peur à se dire que c’est avec la sous culture du PS et de la promotion Voltaire que ces gens prétendent l’étendre partout. Car ces gens-là sont bel et bien une insulte à l’esprit et à la raison qu’ils prétendent incarner.

dimanche, 15 juin 2014

Le match France Honduras menacé

Contre toute attente, la plupart des footballeurs des équipes engagées dans le Mondial se sont déclarées en grève ininterrompue, afin de protester contre les mesures prises par le gouvernement, visant à remettre en cause leur statut d’intermittents. Un joueur, en effet, n’appartenant financièrement à aucun club, se trouve contraint d’accumuler des heures de jeu au fil des mois et des championnats. Entre chaque match, il doit donc se déclarer au chômage et y toucher de quoi survivre. Or, si cette réforme scélérate aboutissait, le nombre d’heures de jeu exigé par les assurances chômage pour valider un dossier de prise en charge deviendrait si élevé, que pour espérer un modeste SMIC, un footballeur moyen devrait jouer quatre à six matches par semaines, ce qui le transformerait en gladiateur, voire mercenaire du spectacle, ce qui est proprement inenvisageable dans une démocratie éclairée, même si des esprits chagrin continuent à affirmer que le football n'est qu'un divertissement mineur, dont après tout on pourrait bien se passer.

Quand on voit pendant ce temps, parader à Avignon des directeurs de compagnies théâtrales subventionnées par le Qatar et les oligarques russes, compagnies dont les acteurs embauchés à l’année touchent des salaires pouvant s’élever jusqu’à plusieurs millions d’euros par an -le tout pour intervenir dans deux ou trois créations par saison-, on se dit que la vénération pour l’art théâtral et le mépris pour le sport est proprement invraisemblable dans ce pays ! Certes, les Concours Tragiques occupaient dans la Grèce antique un moment important dans l’année, mais je tiens à rappeler la place conjointe des Jeux olympiques dans la patrie d’Homère et de Socrate. Enfin quoi, tout pour la tête, rien pour le corps ? Cela veut dire quoi, ces auteurs dramatiques honorés comme des dieux vivants sur Terre, quand les directeurs de clubs et les entraîneurs en sont réduits pour survivre à vendre jusqu’à leurs boutons de culottes et manifester à poil ? 

avignon,brésil,mondial,football,théâtre,satire,littérature,palais des papes,France Honduras

Intermittents  footballeurs nus, manifestants à poil dans les rues du Brésil

Sur une chaîne d’informations non stop, on voit ainsi des troupes de comédiens multi millionnaires répéter dans la Cour du Palais des Papes, cernés par des caméras comme s’ils étaient des ministres. Les metteurs en scène sont acclamés tels des dieux, de salles de presse en salles de presse. On se presse pour recueillir la plus humble déclaration quant à leur dernière création.  La moindre de leur intention de jeu est reprise en boucle sur tous les écrans et répercutée par tous les gratuits de France, comme s’il s’agissait d’une affaire d’Etat. Le théâtre bénéficie d’une telle couverture médiatique par rapport au football, étonnez-vous que l’art dramatique suscite une tel engouement dans les classes populaires !

Et pourtant ! La belle affaire, honnêtement, de savoir s’il faut tirer Shakespeare davantage du côté comique ou dramatique,  si la diérèse doit permettre de relancer le souffle ou de contraindre au soupir dans l’alexandrin racinien, si les salles proposant des pièces consacrées à la critique du pouvoir et à l’exposé du fonctionnement de sa propagande doivent être ouvertes aux – de 12 ans ! Pendant ce temps là, nous, pauvres footeux, essuyons de concert le dédain des directeurs de chaîne et celui des élus politiques.  Ras le bol de l’élitisme !  La culture, ça suffit, y'a le sport aussi ! Voilà pourquoi, las de discriminations si vives et si incessantes, nous entamons une grève de la faim illimitée, et ce jusqu’à ce que mort s’en suive.  

lundi, 05 mai 2014

Graal, merveilles et déconvenues

J’ai eu l’occasion de voir dernièrement le Perceval de Florence Delay et Jacques Roubaud, monté par Christian Schiaretti au TNP, que je n’ai pas du tout aimé. Aussi, plutôt que de me demander si cela tenait de la faiblesse de l'adaptation pour le moins immodeste ou des effets trop visiblement distanciés par rapport à la matière médiévale et chrétienne de la mise en scène, je suis revenu au texte et me suis replongé dans le premier tome de cet incroyable Livre du Graal, « dont le format n’excelle pas la paume » (1), et qui tisse avec subtilité le lien entre l’Histoire Sainte et la légende arthurienne, en se revendiquant à la fois de l' évangile apocryphe, de l’hagiographie et du roman de chevalerie.

Son premier volume, Le Joseph d’Arimathie, s’offre comme ordonné par la manifestation même de la Sainte Trinité (« d’une chose trois et de trois une »). Son auteur, qui demeure anonyme et se donne comme « le plus pécheur des pécheurs » (p 4), coud un lien inédit entre un objet trivial et prosaïque, « l’écuelle où le Fils de Dieu avait mangé » (p 23) et le Graal d’origine celtique, dont Chrétien de Troyes s’était inspiré avant lui. Ce lien, c’est la Passion qui l’opère puisque l’écuelle ordinaire - en recueillant le sang du Christ, un sang versé par amour pour la destruction de la mort- devient au fil des paragraphes une relique et un symbole eucharistique.

Le transfert de l’une (l'écuelle) à l’autre (le symbole) trouve sa matérialité dramatique dans l’odyssée merveilleuse que Joseph  accomplit avec son fils Joséphé, de Béthanie et Sarras en Terre Sainte vers l’Angleterre. Voyage qui n’est pas sans rappeler d’autres voyages mythiques : - celui qui mena Enée de Troie à Lavinium, en ce sens que comme l’un fondait Rome, l’autre fonda la Chrétienté – mais aussi celui de Moïse et de son peuple élu à travers la mer Rouge, par son aspect miraculeux, la traversée des « chevaliers » se faisant sur le pan de la chemise de Joséphé, qui ne cesse de s’élargir au fur et à mesure que les compagnons de voyage s’y pressent.  «Si lor avint si bien que ançois que li jours apparut, furent il tout arrivé en la Grant Bretaigne, et virent la terre et le païs qui tous estoit puéplés de sarrazins et de mescreans » (ce que Gérard Gros, le traducteur traduit par : « leur grande chance voulut qu’avant le point du jour ils avaient tous accosté en Grande Bretagne, et découvrirent le territoire, le pays entièrement peuplé de Sarrasins et de mécréants » - p 419). Une voix aussitôt assure à Joséphé que la Grande Bretagne est promise à son lignage « pour l’accroître et la faire prospérer par un peuple qui tiendra mieux parole que le peuple actuel. », à condition qu’il y propage « le nom de Jésus-Christ et la vérité de l’Evangile » partout où il ira. Aventure qu’il est impossible de mener à bien sans la force du Graal lui-même, qui multiplie les pains et œuvre comme un cœur commun : « Cele nuit jut li pueples en un bois, es fuelles et es ramees qui furent el bois meïsmes. Au matin, quant li jours aparut, et ils furent venu devant le saint Graal, la oùil orent faites lor proiieres et lor orisons, si se misent en lor chemin, et errerent tant qu’il vinrent a ore de prime au chastel de Galafort » (Le peuple, cette nuit-là, coucha dans un bois, à même les feuilles et les ramées. Au matin, quand le jour fut levé, ils vinrent devant le saint Graal faire leurs prières et leurs oraisons, puis ils se mirent en route et cheminèrent pour atteindre à l’heure de prime le château de Galafort ». (p 428)

Le livre du Graal comprend trois tomes dans la Pléiade : je n’en suis nullement spécialiste. Mais à retrouver le tissu médiéval du commencement de ces aventures – tissu duquel notre rationalité nous prive de sentir grand-chose,à mon avis - j’ai compris pourquoi je n’avais pas aimé cette mise en scène et peut-être même -au-delà d’elle- ce texte prétentieux de Delay de Roubaud : par leurs choix et leurs prises de position a posteriori, tous deux gomment la force spirituelle et le propos sacré de l'oeuvre initiale pour n'en garder que la trame visuelle et verser vers le feuilleton - voire la bande dessinée parfois assez grossière, comme dans le dernier tableau du Perceval qui sert de bande annonce à la suite censée venir l'an prochain (2). Par leurs anachronismes, ils transpirent de ce souci constant de distanciation critique toute moderne, de cette volonté, au fond, de se croire plus malin que la merveille plutôt que de se laisser envoûter par son charme, sa poésie, sa tradition historique, et de servir son enchantement..  

graal,roubaud,delay,perceval le gallois,tnp,tns,joseph d'arimathie,joséphé,littérature,moyen-âge,eucharisite,jesus-christ,angleterre,odyssée,christianisme

Joseph d'Arimathie et le saint-Graal

 

(1)Livre du Graal tome 1, Pléiade, page 6. Toutes les pages citées dans le billet renvoient à ce même volume et au premier récit, Joseph d'Arimathie.

 (2) La totalité des mises en scènes du Graal fiction va courir encore sur de nombreuses années puisque nous n'en sommes qu'à la quatrième pièce sur une dizaine, coproduites par le TNP et le TNS

lundi, 24 mars 2014

Le courage de monsieur Py

Pas de festival à Avignon en cas de victoire du FN ? Si le FN gagne à Avignon, le festival n'aurait « aucune autre solution » que de « partir »

«Je ne me vois pas travaillant avec une mairie Front National. Cela me semble tout à fait inimaginable» , a ajouté le directeur du festival, Olivier Py.

Monsieur Py ne se voit pas!  Pauvre chou ! C'est en raison de ce genre d'affirmations, stupides, compassées, émasculées, et qui donnent de la culture une image clanique, désuète et presque totalitaire que, si j'étais en Avignon, je voterais dimanche pour le Front National. Car enfin, le festival d'Avignon est -il la propriété de monsieur Py ? N'est-il pas la propriété de tous les Avignonnais, celle de tous les contribuables ? C'est quoi, ce Py qui s'effarouche ? Un intellectuel ? Un artiste ? Ha ha ha ! Monsieur Py est très in. C'est un créateur courageux. Il veut garder les mains propres. Choupinou.

Je ne me vois pas, dit ce bellâtre narcissique. C'est ça, le théâtre public ? C'est ça, depuis longtemps, hélas, la relation des intellectuels de la DRAC avec le peuple. Il faut dire que ça fait longtemps que le peuple boycotte les travées du théâtre que font ces gens...

Quand je pense à Vilar et au théâtre populaire...

olivier py,avignon,front national,théâtre,

 Olivier Py, artiste, directeur, fonctionnaire...

@ Corinne Bellaiche 

15:47 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : olivier py, avignon, front national, théâtre | | |

dimanche, 16 mars 2014

Quand on parle du Loup

Une mise en scène de Nino d’Introna, c’est avant tout une succession d’images, qui se construisent et se déconstruisent devant le spectateur, pour laisser place à une autre, et ainsi de suite : le tout devenant le  fil conducteur d’une histoire racontée. C’est la raison principale pour laquelle nous aimons ses spectacles. Il pratique un théâtre magnifiquement visuel, de création en création plus épuré.

Certes, il vous dira que le détour par le visuel est la façon la plus simple et la plus signifiante de s’adresser à son premier public, les enfants. Mais il sait bien aussi que la ruse de la théâtralité est toute là : l'émotion doit naître du visuel. C'est l'artifice le plus juste et le plus universel dont dispose un homme de théâtre pour raconter une histoire aux gens de tous âges, de toutes générations. N’était-ce pas le conseil d’Ariane Mnouchkine à Philippe Caubère : « parle leur comme s‘ils avaient sept ans. » ? 

Cette année, Nino d’Introna a choisi de parler du loup, de raconter le Petit Chaperon Rouge. Le propos est de décliner les deux versions du conte (celle de Perrault et celle de Grimm) selon les différentes interprétations d’une même chanson, le fameux My Way, qui devient une sorte d’unité de lieu, de temps, d’action.  

 My way, -entendez mon chemin, mon destin-, du point de vue du Petit Chaperon Rouge, c’est en effet le devoir écouter sa mère, dont les conseils sont souvent indigestes, d’assister sa grand-mère dans sa dépendance (thème très à la mode), d’affronter enfin le loup qui tente et séduit, de danser avec lui. Du point de vue du loup, c'est d'être à la hauteur de la peur qu’il inspire, et de porter la solitude qui découle d'elle. Du point de vue de la mère et de la grand mère, c'est d'assumer cette fonction parentale de plus en plus malmenée, la transmission.  En constituant une thématique commune aux personnages, My Way, - mon chemin, celui à quoi je dois me tenir sans m’égarer– est bien le centre de gravité de l’action.

My Way, c’est aussi le décor retenu, un chemin en Z qui est tout autant  scénique (lieu de l’action) que métaphorique (chemin de la vie).  My Way, c’est enfin la solitude finale à laquelle chaque personnage, chaperon, loup, grand-mère, est subtilement rendu à la fin : « Cette histoire raconte la répétition intergénérationnelle. Je me dis que peut-être la mère a déjà vécu la même peur, la grand-mère aussi, que c’est une transmission de prudence que chacune fera à son tour à sa propre fille, pour mettre en vigilance l’enfance contre les dangers de la vie. Il est inimaginable que l’homme puisse vivre sans la peur », explique Nino d’Introna.

 

Cette lecture personnelle du metteur en scène se construit harmonieusement à partir des dénouements divergents de Perrault et des Grimm (chez l’un la petite fille est mangée, chez les autres elle est sauvée par le chasseur qui ouvre le ventre du loup) : les deux sont en effet  interprétés, ce qui apporte au spectacle à la fois la distanciation indispensable du récit (ah le subjonctif imparfait et le futur de choir de Perrault !), et l’immersion dans le premier degré de la dramaturgie (le rideau de scène devenu loup, par exemple). Le classicisme du conte, aussi immuable qu'universel, s’exprime ainsi dans une forme à la fois jubilatoire, légère et émouvante qui fait mouche. Hier soir, le spectacle a été ovationné. 

petit chaperon rouge,quand on parle du loup,théâtre,tng,maxime cella,angélique heller,hélène pierre,grimm,perrault,conte,mythe,légende,my way

© Cyrille Sabatier

 

Quand on parle du Loup, TNG - du 15 au 22 mars

Une création de Nino d'Introna,

avec Maxime Cella, Angélique Heller, Hélène Pierre