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lundi, 30 juillet 2012

Londres - lancer du poids

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Where be your gibes now, your gambols, your songs, your flashes of merriment that were wont to set the table on a roar ? Not one now to mock your own grinning ? 

23:14 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : londres 2012, jo, shakespeare, théâtre, hamlet | | |

jeudi, 14 juin 2012

La décadence de Guignol

Puisque nous parlions du père Thomas dimanche, et que nous sommes entre deux tours de législatives, voici un témoignage précieux sur le caveau Guignol du passage de l’Argue à Lyon, et de manière plus large sur la teneur polémique de l’esprit lyonnais, comme on a pu dire à l’époque. Le texte date de 1912.  

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Il y a foule au passage de l’Argue. L’affiche promet une revue. Salle étroite, au plafond bas, culotté par la fumée des pipes. Les murs s’adornent de fresques sans prétention : l’Ile-barbe, les aqueducs de Beaunant et la place du Gros-Caillou, traités d’un pinceau primitif, à la moderne, font les frais essentiels de cette décoration.

Mais le public n’a d’yeux que pour le théâtre, où « huit décors neufs et quatre-vingt personnages » affirment la munificence d’un impresario qui ne recule évidemment « devant nul sacrifice ». Les changements à vue, les jeux de lumière et les apothéoses se succèdent, ébahissent une assistance qu’on peut croire blasée par les raffinements des théâtres subventionnés et par le luxe des Kursaals.

Depetits cris de femmes chatouillées et des rires gras précisent le caractère du spectacle. Ce Guignol n’est pas pour les enfants. Que les nourrices, elles-mêmes, se gardent d’y rencontrer les militaires : il n’en faudrait pas davantage pour faire tourner leur lait.

Guignol, compère, arbore sur son cotivet un feutre provocant, et son complet marron sort évidemment de la Belle Jardinière. Son linge arrive de Londres. Sa cravate fait concurrence à celle de l’excellent dessinateur Fargeot, l’homme le mieux cravaté de Lyon, comme chacun sait. La commère, qui représente la Presse lyonnaise, est une superbe poupée rose et blonde, couverte de mousseline et de soie. Où-es-tu, brave Madelon, orgueil de nos souvenirs ? Par-dessus quels moulins as-tu jeté ton canezou, ton pet-en l’air de calicot et ton bonnet à tuyaux ? Gnafron laissant au journaliste Bibi les exubérances de la trogne, devient un ivrogne convenable, un viveur élégamment éméché, vêtu d’une impeccable redingote et coiffé d’un dix-huit reflets à la mode.

Ces trois protagonistes nous débitent les potins du jour, nous présentent le succès de l’année. Successivement nous voyons défiler les balcons fleuris, l’Armée du salut, les Ondines, les Aéroplanes, la nouvelle gare des Brotteaux, les briquets automatiques, le four crématoire, l’ermite du Mont-Cindre, M Vial de Vaise, les WC souterrains, que sais-je encore ?

Les actualités sont personnifiées par d’accortes marionnettes qui nous en débitent de vertes, avec leurs petits airs de ne pas y toucher, ne regrettant que d’être en bois et de ne pouvoir -pour cause – nous montrer leurs jambes.

Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons, sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne trésaille, où pas une fibre ne s’émeut pour dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence ; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n’ont d’ordinaire pour excuse que la verve du corps  souple et la gaîté d’un bras spirituel ; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l’humanité toute crue.

Et, sortant de là, j’ai renouvelé pour mon compte la prosopopée de Fabricius :

« O père Mourguet, ô père Thomas, qu’eussent pensé vos grandes âmes si pour votre malheur, rappelés à la vie, vous eussiez vu la scène pompeuse de ce théâtre créé par vos mains ? Dieu ! eussiez-vous dit, quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces pièces efféminées ? Que signifient ces décors, ces clinquants et ces lumières ? Ce n’est plus la Croix-Rousse, c’est Montmartre qui vous amuse ! Ce sont des rhéteurs qui vous égaient ! Les dépouilles de Guignol sont la proie des chansonniers… »

Mais ces lamentations se perdraient dans le désert. Et les deux grandes ombres s’indigneraient vainement. Qui se souvient aujourd’hui du Guignol de la rue Noire, de l’allée des Brotteaux ou du Caveau des Célestins ? du vrai Guignol guignolant que créèrent de toutes pièces, vers l’an 1845, ces deux hommes de génie auxquels on n’a point élevé de statue ? Qui se rappelle du type de canut gouailleur et bon enfant, quelque peu bambocheur, à la fois naïf et sceptique ; pratique aussi, mais serviable, et toujours joyeux, dans le bonheur comme dans l’infortune, que nos pères applaudirent en foule dans la petite baraque du pont Morand ?

Qui se rappelle ? … Mais il n’y a plus ni canuts, ni Guignol. Il n’y a plus que le café-concert.

Marrons de Lyon,  Henri Béraud, 1912

dimanche, 10 juin 2012

Le vrai crâne de Gnafron

J’avais écrit en 2009 un billet sur le personnage du Père Thomas, dont Laurent Mourguet se serait inspiré pour créer son personnage de Gnafron. Je viens de recevoir de la part de JC Neidhardt, conservateur du musée d’anatomie de Lyon à l’Université Lyon I ces quelques compléments d’informations sur le sort réservé par la postérité au squelette du père Thomas, ainsi que quatre documents iconographiques susceptibles d’intéresser le lecteur :

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musée d'anatomie, Université Lyon I, Lyon

« J'ai été très intéressé par votre article sur cette figure lyonnaise que fut le père Thomas. Je voulais revenir sur la fin de votre texte dans lequel vous parlez de son corps qui aurait été disséqué et dont le squelette aurait été préparé en vue de servir à la formation des étudiants en médecine. Je souhaitais préciser que c'était le sort habituel réservé aux malades décédés à l'hôtel-Dieu de Lyon ou à la Charité. Les familles, sans grands moyens, abandonnaient en général les corps des défunts à l'hôpital pour ne pas avoir à supporter les frais d'inhumation. Ces corps servaient ensuite à la dissection et à la répétition d'opérations, ce qui était très utile à une époque ou la rapidité et la précision du geste étaient primordiaux en raison de l'absence d'anesthésie (avant 1846). Pour ce qui est du corps du père Thomas, celui-ci a en effet été livré au scalpel mais de toute évidence le squelette entier n'a pas été traité et monté.

A mon avis, seul le crâne a été récupéré, non pas en raison de l'identité du propriétaire mais en raison d'une pathologie bien particulière observée lors de la dissection.

Pour être plus précis, nous avons entrepris cette année d'inventorier et de restaurer les crânes inscrits dans l'inventaire des collections de la Société de Médecine de Lyon, en les nettoyant tout d'abord et en retraçant à la plume les inscriptions parfois altérées figurant sur un certain nombre d'entre eux. Nous disposons d'une série de 6 crânes inventoriés E1 à E6 et catalogués comme présentant une persistance de la suture frontale moyenne. Le crâne inventorié sous le N E3 portait des inscriptions à la plume à savoir père Thomas sur l'os frontal , Père Thomas - mime, conteur populaire sur le pariétal droit et à nouveau Père Thomas sur le temporal droit. Il s'agit très probablement du crâne de Gnafron ! 

L'inventaire des collections de la Société de Médecine de Lyon a été édité en 1863 et correspond au dépôt des pièces réalisées en 1854 par ladite Société à l'école préparatoire de médecine de Lyon. Avant 1854 ces pièces étaient rassemblées au siège de la société qui se trouvait au Palais de Arts, actuellement musée des beaux arts de Lyon.

Lorsque je disais que le squelette n'avait pas été remonté après traitement, c'est parce qu'il existe une constante dans ce genre d'opération. Lorsqu'un squelette est préparé il faut pouvoir le fixer sur une potence et ils présentent donc tous un orifice sur le sommet du crâne. Celui-ci n'a pas cette marque.

Nous avons aussi entre autres curiosités les deux masques mortuaires originaux de Jacquard (l'un avec la marque d'une paralysie faciale et l'autre avec les traits reposés) et un squelette présentant un rachitisme majeur qui me cause quelques soucis dans la mesure ou je n'arrive pas à trouver de renseignements le concernant... celui d'Eugène Hullin mort à Lyon le 13 décembre 1904 à 44 ans qui exerçait la profession de chanteur des rues »

 

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photo du musée d'Anatomie, Université Lyon I

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Le Père Thomas

Le premier à évoquer le Père Thomas aura été Léon Boitel (Lyon vu de Fourvière, 1833). "C'est le Molière des ouvriers et des cuisinières, des conscrits et des bonnes d'enfants", écrit-il. Comme Laurent Mourguet, dont il fut un temps le partenaire, le père Thomas interpréta en effet bon nombre de pièces, dont rien ne demeure puisque, comme Mourguet, il était probablement illettré. Lorsque Boitel lui rend cet hommage, dans un chapitre entier de ce qui est aujourd'hui considéré comme l'un des ouvrages d'histoire locale de tout premier plan, Thomas vivait encore, pour seulement deux années. Nizier du Puispelu (Clair Tisseur) cause également de ce vieux saltimbanque qui marqua décidément ceux qui assistèrent à ses numéros de rues, dans un chapitre  de « De viris illustribus lugduni » (Les Oisivetés du Sieur Puitspelu, 1896) : et pas n'importe quel chapitre : le premier.  "De Thomas aux autres marchands d'orviétan ou aux bateleurs qui opéraient sur les places de Lyon, il y avait la distance d'Homère aux poétaillons d'aujourd'hui", remarque-t-il. Le compliment n'est pas mince.

On l'aura beaucoup répété, c'est Thomas qui aurait été l'inspirateur de Gnafron, lorsqu'il accompagnait Laurent Mourguet aux Brotteaux, dans ce qu'on appelait alors la Grande Allée. La petite histoire précise que c'est en raison des retards trop nombreux de Thomas que Mourguet eut l'idée de créer une marionnette à sa ressemblance, afin de faire patienter le public en attendant l'arrivée du compère pochard. Et lorsqu'il s'aperçut qu'il avait plus de succès avec la marionnette qu'avec l'original, il fabriqua Guignol à sa propre effigie.  

Thomas débuta sa carrière armé d'une trompette et un violon. Il chantait des chansons populaires qu'il réadaptait le plus souvent à sa sauce, et dans lesquelles il glissait des dialogues de bonnes femmes. Il s'était rendu très célèbre avec une chanson, La Bourbonnaise, que le populaire avait tourné contre la DuBarry. Lorsqu'il chantait et improvisait ainsi, il portait un habit à brandebourgs, une grosse montre et un chapeau à petites ailes, arrondi par le dessus. Il faisait également la pantomime et improvisait ses piécettes fort irrévérencieuses, si l'on en croit les témoins de l'époque. Né en 1773, Thomas eut vingt ans sous la Terreur, trente sous Napoléon, quarante sous la Restauration, et vécut ses derniers jours durant la Monarchie de Juillet : il lui fallut donc composer avec tous ces régimes, et tourner avec diplomatie ses diatribes en fonction des saisons. Splendeur et misères  de l'intermittence :

 

En quatre-vingt douze

Ah comme on se blouse !

On voyait tout rouge

Au nom de la Loi !

Mais en l’an quatorze

C’est bien autre chose

On voit tout en rose

Sous notre bon Roi.

A quelques mois de distance, Thomas chantera, raconte Puitspelu, ces couplets différents : 

Et gai, gai, le roi Louis

Est de retour en France,

Et gai, gai, le roi Louis

Est rentré dans Paris...

 

Bon, bon Napoléon

Est de retour en France

Bon, bon Napoléon

Revient dans sa maison.

 

De son vrai nom Lambert Grégoire Ladré, il était né à Givet dans les Ardennes, avait rejoint Paris avec ses parents. A dix-sept ans, il  avait commencé son métier de bateleur au Palais Royal, là même où Diderot évoque si brillamment sa rencontre avec le fameux neveu de Rameau. Avant de s'installer à Lyon, Thomas avait poussé sa roulotte en province, dans le bordelais et le clermontois.  Durant cet hiver glacial de 1835, les derniers jours de Thomas furent douloureux. Les émeutes de 1831 et 1834 avaient plongé dans la crise la fabrique et renforcé considérablement les forces de police. Bateleurs, forains, camelots et saltimbanques n'avaient plus le même droit de cité sur la voie publique. A Thomas cependant, en raison de sa notoriété et de son âge, on accorda une sorte de passe-droit : un théâtre, place Le Viste, qui tenait plus de la baraque foraine. Mais ce mois de décembre fut frigorifique. Atteint d’un catarrhe pulmonaire, Thomas prit une bronchite chronique et mourut quasiment dans la rue, comme les SDF du temps présent. On le porta à l'hôpital les pieds gelés, à l'article de la mort. Il rendit l'âme la veille de Noël 1835. Un médecin le disséqua et récupéra son squelette qui poursuivit probablement la carrière de saltimbanque de son infortuné propriétaire - si tant est vrai qu'un prolétaire ne possède que son tas d'os -  pour les besoins de l'éducation des étudiants en médecine, fils des notables de la ville qui, enfants, avaient mêlé leurs rires à ses notes de violon.

 

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photo du musée d'Anatomie, Université Lyon I

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samedi, 09 juin 2012

Ce soir, osez Cyrano

Pour une fois que le théâtre étudiant est à l’honneur dans cette ville où Maréchal et Planchon firent leur début, on se doit de le saluer. Disons le tout de suite, je ne suis pas un fan de Cyrano et je n’irai pas voir celui de Torreton la saison prochaine aux Célestins. Pour moi, Cyrano, c’est le Ben-Hur du drame romantique, l’Autant en emporte le vent de la scène parisienne.  Y règne  une tradition française du mot d’esprit que je n’aime pas, parce que (chez Rostand comme ailleurs) sa rhétorique  convenue me laisse de glace. Eh bien ça tombe bien : c’est précisément Cyrano que les étudiants du groupe OSE (organisation du spectacle étudiant) ont choisi de monter, ce qui me laissait d'autant plus libre pour juger leur création. Et j’ai passé une excellente soirée.

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L’histoire de Roxane, Christian et Cyrano sert de fil conducteur et de prétexte à un enchaînement de tableaux spectaculaires où se mêlent théâtre, combats, chants, danses. Just a gigolo, Ruby Tuesday et Laschia chio pianga trouvent ainsi leur place parmi les alexandrins de Rostand, et dans le fil tendu d’une narration de deux heures trente qu’on ne voit ainsi pas passer. Autour de Quentin Grenet, président de l’association, adaptateur et acteur jouant le personnage de Cyrano, ils sont une trentaine, bourrés d’enthousiasme et de talent, qui jouent la comédie, chantent, dansent. Les maquilleuses et costumières sont également des étudiantes  venues de Sup de Mode. Dans un bel esprit de troupe, tous honorent ainsi avec bonheur les objectifs de l’association : « créer des spectacles par et pour les étudiants lyonnais et les jouer sur des campus ou sur des grandes scènes ». Celle de la Bourse du Travail en est une. Elle était hier presque pleine, il faudrait ce soir qu’elle le soit entièrement Les bénéfices générés par les deux soirées seront reversés à l’UNAFAM, une association qui vient en aide aux familles et amis de malades psychiques. Pour ma part, je souhaite longue vie à cette production, qui mérite de survivre à ces deux jours qui l’ont vu naître.

Bourse du Travail - Salle Albert-Thomas : 205 place Guichard, Lyon 3e. 04786011 77. 

Dernière samedi 9 juin 2012 à 20 heures. De 5 à 10 euros.

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jeudi, 24 novembre 2011

Au moins, j'aurais laissé un beau cadavre

Billet invité de Patrick Verroust, à propos du spectacle de Vincent Macaigne, MC2, Grenoble.

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Vendredi soir, j'ai subi Au moins j'aurais laissé un beau cadavre. La prétention du titre me laissait espérer, mieux, qu'une bouteille de Beaujolpif.

Ce spectacle, je l'ai trouvé pute, manipulateur, profanateur. J'entends, par ce dernier terme, un acte gratuit, potache, sans signification. Vincent Macaigne pratique le théâtre de l'outrance, du bruit et de la fureur. En l’espèce, il a oublié le théâtre et la fureur pour surjouer, le rôle qui fit sa réputation, ce mec cogne. La manipulation ne se situe pas que dans le plaisir dictatorial qu'il s'octroie,  de faire lever et saluer les spectateurs « ad libitum », de les éclabousser d'eau « putride », elle consiste, surtout, à dire tout et son contraire, à se situer dans un registre trash avec de couteux clins d’œil, esthétiques. A saturer le public, à l'égarer.Sa génération est d'une époque sans repères, il en joue et en abuse. Il a le talent, particulier, de taper à côté des émotions, de faire mine de choquer, d'épater le bourgeois, tout en le caressant, mine de rien, dans le sens du poil. Il fait gueuler pour gueuler des imprécations, sinon sans queue ,du moins sans tête. Il accapare non seulement son domaine mais aussi celui des spectateurs. Pour ma part, je n'ai nul envie de me tordre le cou pour regarder les gesticulations de ses acteurs. Le spectacle est long, avec d'insupportables  longueurs, introduites malhabilement. Je sais bien que cette génération est la génération du mobile incessant, mais téléphoner les situations à  ce point est enfantile. Je me demande s'il n'y a pas une perversité à maintenir assis, les spectateurs aussi longtemps, sans objet. En fin de spectacle surgit un aquarium dans lequel il est évident que tous les protagonistes vont aller se vautrer, l'envie d'aller les y plonger, rapidement, à coup de pieds dans le cul, fut vive. Trois malheureux moutons furent introduits sur scène. Que faisaient là ces bêtes terrorisées, à  part symboliser le manque d'égard envers les spectateurs cloués à leur siège ? Un château d'Elseneur se dressa, effet sensuel et esthétique garanti, il se dégonfla, aussitôt et cela deux fois.

Actuellement, il doit y avoir un contrat entre la MC2 et les metteurs en scène, il est difficile de voir des spectacles , sans, au moins, un acteur nu. C'est, peut être l'effet des réductions budgétaires, il n'y aurait plus de costumes pour tout le monde et un nouveau métier émergerait « déshabilleuse ». Il est rare que cela ne soit pas gratuit. Je donne acte que, cette fois ci, la première scène  de nudité et de fornication avait du sens et aurait bien servi le spectacle si elle avait su surprendre en n'allant pas tomber dans la fosse  à l'attrait irrésistible. La seconde m'a paru être un acte compulsif, sans intérêt.

Le monologue de l'acteur nu, outre sa longueur, le monologue, voulait, peut être, signifier que le spectacle partait en couilles, ce dont nous étions nombreux à nous en être aperçu. Les applaudissements furent nourris, sans plus. Il est certain que dans cette période où le trash est un signe de vitalité musicale entre autre, il y a un public pour ce genre de prestation. De toute façon, il y a, toujours, un public. J'ai noté, les symboles accrochés au décor, drapeau français, européen, drapeau des croisés, faucille et marteau, hure de sanglier mais il ne me semble pas avoir vu de symboles représentant le fascisme.

Je suis un farouche défenseur de la liberté d'expression, plus précisément , de la nécessité d'apprendre à penser par soi même, et à apprendre à penser ce qu'on pense. J'ai entendu des enseignants se demander s'ils  amèneraient des élèves voir ce spectacle. Je leurs ai déconseillé d'y amener des élèves non avertis et sans repères. Ils pourraient sortir contents et satisfaits , leurs égos paumés y trouveraient justifications. Je leurs ai recommandé de les emmener voir des spectacles où l'expression est portée par une grande rigueur, dans le respect du texte, la mise en scène, le jeu des acteurs. La liberté d'expression, sans rigueur ni cohérence, n'est que flatulence liberataire  complice d'un libéralisme qui a besoin de la pauvreté de pensée pour spolier sans vergogne.

 Paradoxalement, par des chemins différents, ce spectacle rejoint des aspects du théâtre de Georges Lavaudant et d'autres en produisant un spectacle visuel et sonore à regarder sans s'attacher à tout voir et écouter. Cette création me semble se rapprocher d'une performance d'art contemporain.  Un théâtre, telle la grande salle de la Mc2 ne me semble pas appropriée à ce type de spectacle que je verrais mieux dans un grand espace où les spectateurs pourraient déambuler à leur guise, aller, venir, discuter, boire un verre, échapper à toute main mise, garder leur libre arbitre et leur droit d'aller et venir.

 Vincent Macaigne vous avez oublié la beauté de l'écriture de W Shakespeare, lisez mieux , vous vociférerez à meilleur escient.

Patrick Verroust

 

MC2, Grenoble, du jeu. 24/11/11 au ven. 25/11/11

07:22 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : théâtre, vincent macaigne, littérature, shakespeare, mc2, grenoble | | |

vendredi, 27 mai 2011

Spéléo médicale et mendicité

Hier après-midi, à l’hôpital, me suis payé bien malgré moi une petite séance de techno-spéléo à l’intérieur d’un étroit tube blanc. Une demi-heure coincé là-dedans sans bouger le moindre orteil, dans un tohu-bohu incessant. J’ai eu le temps de me réciter deux fois la tirade de Chrysale des Femmes Savantes (« C’est à vous que je parle, ma sœur… ») qu’une prof de français comme on n’en fait plus nous avait fait apprendre en classe de cinquième (ça date pas d’hier !). Une page entière du fragment « Thalia » d’Hypérion (« Et comment des mots auraient-ils apaisé la soif de mon âme… »), apprise cette fois-ci pour un spectacle monté en 1985…  Rien ne se perd, décidément, et l’imagerie médicale, ça ramone drôlement les méninges : une mémoire intacte.

A moins que ça ne soit ce sacré produit qu’ils foutent dans la viande du dedans pour faire contraste, comme ils disent. En tous cas, avec tous les textes que j’ai appris jadis, je me suis tenu en bonne compagnie dans leur tube, sans broncher, patient modèle. Comme quoi le théâtre mène à tout. A un moment donné, me sont revenus Le rat et l’huître de La Fontaine et le Grand Chêne de Brassens. Nickel. Le tout entrecoupé de Inspirez, bloquez. Inspirez, bloquez, pour ponctuer le spectacle. 

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Quand le spectacle a été fini, le cathéter retiré, le pantalon renfilé, suis resté un moment sur cette large terrasse aérée où j’allais me promener chaque soir il y encore quelques jours.  Des types se baladaient en chemise ouverte dans le dos et sur-chausses, traînant leurs pieds à perfusion. Curieux comme on passe d’un état à un autre. Il y a là de très grands malades, qui ne sortiront plus. Je me demande s’ils « tiennent » par leur volonté, ou par celle de la médecine, tant ils sont pris en charge depuis longtemps, remis, soumis à ce temps qui dure, devenus un cas entre les mains d’experts. Le pire comme le meilleur, ici.

Hier, sur la place de la Croix-Rousse, j’ai aperçu de loin, sur un banc, un homme qui était mon voisin de service hospitalier il y a peu. Avec lui,  je n’avais échangé que quelques mots, mais quelles paroles, puisque nous  avions commencé à marcher à nouveau au même moment ; on s’encourageait du regard en se croisant, « c’est bon pour le moral ». Ça m’a vraiment troublé parce que, là, sur cette place, le voilà assis en train de faire la manche au soleil avec une casquette posée devant lui, l’air intériorisé. Remis apparemment, lui aussi. Je m’attendais si peu à le trouver là, dans cette situation de surplus, que je n’ai su quoi dire ni quoi faire. J’avais dans la poche un billet de 20 euros et une pièce de 2 euros. C’est idiot, mais je me suis vu lui donner ni l’un ni l’autre, comme si ça me dérangeait que nous ne soyons soudain plus du même bord après avoir connu le même sort, et sans avoir non plus pris le temps de sympathiser assez. Bref. Ne sachant plus quelle attitude adopter, je me suis honteusement dérobé. Le « monde », qui refait son effet.

Tout ça me semble être en effet un reflet assez minutieux de l’irréalité dans laquelle la société européenne et sa schizophrénie latente nous plonge sans égards. Inégalité des conditions, égalité des sorts. Valeurs proclamés, comportements tenus. Va et vient. Face et pile. C’est sans doute pour ça que, contre toute décence commune (au sens le plus orwellien du terme) la situation du politicard Strauss-Kahn « émeut » des gens pourtant en apparence sensés, qui le plaindraient presque, dans son 630 m2. Un monde, disait Shakespeare, sorti de ses gonds. Et qui n'y est jamais retourné depuis...

09:41 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : irm, médecine, société, croix-rousse, politique, littérature, théâtre | | |

samedi, 21 mai 2011

Jean Lacornerie à la Croix-Rousse

Jean Lacornerie, le nouveau directeur du théâtre de la Croix-Rousse,  présentera  lundi 30 mai et mardi 31 mai prochains, à 20 heures, la prochaine saison. L'entrée est libre. A cette occasion, je publie ce bref entretien que j’avais eu avec lui pour le journal l’Esprit Canut, au mois de février.

jean_lacornerie_164.jpgJean Lacornerie a fait ses classes au TNS de Strasbourg auprès de Jacques Lassalle, dont il fut l’assistant de 1987 à 1990, et qu’il suivit ensuite à la Comédie Française. C’était le temps où on revisitait les classiques (Marivaux, Ibsen, Racine). Il a vécu la réouverture du théâtre du Vieux Colombier, à Paris, tout en fondant à Lyon la Cie Escuado. Depuis 2002, il a fait  du théâtre de la Renaissance à Oullins un passage obligé pour tout amoureux du théâtre musical. Successeur de Philippe Faure, il s’installe à présent en ces terres croix-roussiennes qu’il connait bien pour avoir travaillé à la Villa Gillet.  

Quel bilan faites-vous de vos années passées à Oullins ?

Un travail passionnant, qui s’est inscrit dans le long terme grâce aux liens tissés avec les spectateurs ! Ces liens étaient essentiels pour faire progresser le projet musical. Il y faut du temps. Peu à peu, le public est devenu curieux. Nous avons mélangé la discipline et le plaisir de l’invention. Neuf ans, c’est un vrai cycle qui s’achève.

Un autre débute. Quels sont vos projets pour la Croix-Rousse et ses 10 000 abonnés ?

Continuer le théâtre musical, bien sûr. Se tenir à la croisée de l’opéra, de l’opérette, de la comédie musicale américaine, du music-hall, du théâtre. Et maintenir l’identité puissante de création et de diffusion qu’y a laissée Philippe Faure. La saison prochaine, on accueillera par exemple Les Misérables d’après Hugo.

Qu’est-ce qui vous donné le goût de ce théâtre musical ?

J’ai toujours été attiré par l’opéra. J’ai été stagiaire à celui de Bruxelles, un des premiers qui s’ouvrait à la mise en scène. C’est un monde où les règles de travail sont très strictes.  Et je trouve que le va-et-vient entre théâtre et musique est un champ à explorer, où il y a beaucoup à faire. On y mélange des savoir-faire, ce qui apporte émotion et énergie, et relève vraiment au fond de la tradition populaire.

Philippe Faure avait tenu à rebaptiser Maison du peuple le théâtre de la Croix-Rousse. Ça tombe bien. L’enjeu est grand, tant la place occupée par cette scène dans la ville est vive et originale. On souhaite à Jean Lacornerie, dont la prochaine saison porte la signature, beaucoup de réussite et de succès auprès de son nouveau public. 

mercredi, 04 mai 2011

Disait-elle

Ma vieille prof de théâtre  était toujours vêtue d’un pantalon fuseau et d’un pull over à col roulé. « On peut, disait-elle, réduire le jeu d’un comédien comme tout ce que raconte la totalité  du Répertoire à deux mouvements fondamentaux : dire oui, dire non.  Pour cela, vous  disposez du regard, du geste, de la parole. Et c'est tout. »

Sur ces deux grandes tendances – le refus ou l’acquiescement-, elle nous expliquait que se greffait la gamme entière des nuances et des émotions qu’il nous faudrait jouer sur scène, et l’existence de milliers de personnages : honte, pitié, colère, désir, raisonnement…  Tout cela ne revenant in fine qu’à approuver ou réfuter ostensiblement quelque chose, du regard, du geste ou de la parole, avec une intensité plus ou moins affirmée.

Pour le reste, nous disait-elle, il n’est de secret que l’articulation. Avant de monter sur scène, elle nous faisait répéter : Gros grand grain gris creux d’orge, quand te dégros grand grain gris creux d’orgeriseras-tu ? Je me dégros grand grain gris creux d’orgeriserai quand tous les gros grand grain gris creux d’orge se dégros grand grain gris creux d’orgeriseront. Idem avec le petit pot de beurre et d’autres pis-aller.

Après ça, elle nous fichait un texte entre les mains, un monologue d’Othello, un sermon de Bossuet, une chanson de Gaston Couté, ou tout autant une liste de commissions, et il fallait se débrouiller pour lui dire oui ou non avec ce texte-là, du regard, du geste, de la parole. Sans s’occuper du reste.

Elle se tenait en fond de salle, cigarette au bec. Elle ne fumait que des Gitanes. Dans la pénombre, cela formait une lueur, un grésillement, une écoute, un peu de fumée bleue. Quelques recommandations. De compliments, jamais.

Quand elle était contente de quelqu’un, elle le lui faisait savoir en lui proposant un petit rôle. On venait en car de toute la région pour voir les spectacles qu’elle montait dans son théâtre non subventionné. Des pièces de boulevard, écrites par elle ou par son mari. Un canevas bien rôdé, des répliques à l’efficacité éprouvées durant ses cours. Du 100% maison, disait-elle. 

 

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09:17 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : théâtre, littérature, lyon | | |