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jeudi, 14 juin 2012

La décadence de Guignol

Puisque nous parlions du père Thomas dimanche, et que nous sommes entre deux tours de législatives, voici un témoignage précieux sur le caveau Guignol du passage de l’Argue à Lyon, et de manière plus large sur la teneur polémique de l’esprit lyonnais, comme on a pu dire à l’époque. Le texte date de 1912.  

passage-de-l'argue.jpg

Il y a foule au passage de l’Argue. L’affiche promet une revue. Salle étroite, au plafond bas, culotté par la fumée des pipes. Les murs s’adornent de fresques sans prétention : l’Ile-barbe, les aqueducs de Beaunant et la place du Gros-Caillou, traités d’un pinceau primitif, à la moderne, font les frais essentiels de cette décoration.

Mais le public n’a d’yeux que pour le théâtre, où « huit décors neufs et quatre-vingt personnages » affirment la munificence d’un impresario qui ne recule évidemment « devant nul sacrifice ». Les changements à vue, les jeux de lumière et les apothéoses se succèdent, ébahissent une assistance qu’on peut croire blasée par les raffinements des théâtres subventionnés et par le luxe des Kursaals.

Depetits cris de femmes chatouillées et des rires gras précisent le caractère du spectacle. Ce Guignol n’est pas pour les enfants. Que les nourrices, elles-mêmes, se gardent d’y rencontrer les militaires : il n’en faudrait pas davantage pour faire tourner leur lait.

Guignol, compère, arbore sur son cotivet un feutre provocant, et son complet marron sort évidemment de la Belle Jardinière. Son linge arrive de Londres. Sa cravate fait concurrence à celle de l’excellent dessinateur Fargeot, l’homme le mieux cravaté de Lyon, comme chacun sait. La commère, qui représente la Presse lyonnaise, est une superbe poupée rose et blonde, couverte de mousseline et de soie. Où-es-tu, brave Madelon, orgueil de nos souvenirs ? Par-dessus quels moulins as-tu jeté ton canezou, ton pet-en l’air de calicot et ton bonnet à tuyaux ? Gnafron laissant au journaliste Bibi les exubérances de la trogne, devient un ivrogne convenable, un viveur élégamment éméché, vêtu d’une impeccable redingote et coiffé d’un dix-huit reflets à la mode.

Ces trois protagonistes nous débitent les potins du jour, nous présentent le succès de l’année. Successivement nous voyons défiler les balcons fleuris, l’Armée du salut, les Ondines, les Aéroplanes, la nouvelle gare des Brotteaux, les briquets automatiques, le four crématoire, l’ermite du Mont-Cindre, M Vial de Vaise, les WC souterrains, que sais-je encore ?

Les actualités sont personnifiées par d’accortes marionnettes qui nous en débitent de vertes, avec leurs petits airs de ne pas y toucher, ne regrettant que d’être en bois et de ne pouvoir -pour cause – nous montrer leurs jambes.

Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons, sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne trésaille, où pas une fibre ne s’émeut pour dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence ; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n’ont d’ordinaire pour excuse que la verve du corps  souple et la gaîté d’un bras spirituel ; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l’humanité toute crue.

Et, sortant de là, j’ai renouvelé pour mon compte la prosopopée de Fabricius :

« O père Mourguet, ô père Thomas, qu’eussent pensé vos grandes âmes si pour votre malheur, rappelés à la vie, vous eussiez vu la scène pompeuse de ce théâtre créé par vos mains ? Dieu ! eussiez-vous dit, quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces pièces efféminées ? Que signifient ces décors, ces clinquants et ces lumières ? Ce n’est plus la Croix-Rousse, c’est Montmartre qui vous amuse ! Ce sont des rhéteurs qui vous égaient ! Les dépouilles de Guignol sont la proie des chansonniers… »

Mais ces lamentations se perdraient dans le désert. Et les deux grandes ombres s’indigneraient vainement. Qui se souvient aujourd’hui du Guignol de la rue Noire, de l’allée des Brotteaux ou du Caveau des Célestins ? du vrai Guignol guignolant que créèrent de toutes pièces, vers l’an 1845, ces deux hommes de génie auxquels on n’a point élevé de statue ? Qui se rappelle du type de canut gouailleur et bon enfant, quelque peu bambocheur, à la fois naïf et sceptique ; pratique aussi, mais serviable, et toujours joyeux, dans le bonheur comme dans l’infortune, que nos pères applaudirent en foule dans la petite baraque du pont Morand ?

Qui se rappelle ? … Mais il n’y a plus ni canuts, ni Guignol. Il n’y a plus que le café-concert.

Marrons de Lyon,  Henri Béraud, 1912

dimanche, 05 octobre 2008

Du déménagement, de l'art de la marionnette et de la tradition

On fêtait hier, salle Rameau à Lyon, les deux cents ans de Guignol. Pour l'occasion, la presque totalité des théâtres de Guignol lyonnais s'étaient donné fier et joyeux rendez-vous (La Compagnie des Zonzons, le Théâtre la Maison de Guignol, la Compagnie Art Toupan, la Compagnie Carton Pâte, le Guignol du Parc de la Tête d'or, la Compagnie Daniel Streble, Les Gones à Mourguet, les Compagnons de Guignol), bref, cela en faisait du monde, en chair comme en os & en bois comme en tissu, nom d'un rat, un sacré paquet de beau monde réuni par la centenaire Société des Amis de Lyon et de Guignol et son président Gérard TRUCHET. On doit à ce dernier l'adaptation d'une des plus célèbres pièces de Mourguet,  Le Déménagement, dixième du recueil ONOFRIO. Adaptation que je salue avec respect, car le texte recopié par Onofrio l'étant en langage lyonnais, il fallait le couper tout en gardant les repères les plus connus du public, actualiser sans trahir, avec humour, insolence et tact. C'était difficile : TRUCHET L'A FAIT ! Il a même su utiliser le canevas recomposé par ses soins du Déménagement pour glisser quelques extraits d'autres pièces, Le Pot de Confitures, notamment, dans un bel effet de mise en abime. A un moment donné, je me croyais vraiment, comme dans une gravure de Giranne, au caf'conc' du passage de l'Argue plongé au temps du Second Empire, quand le bourgeois allait écouter les fantaisies des descendants de Laurent. J'étais pourtant au fond de la salle Rameau, un samedi de 2007, l'an II du temps Sarko.

Extraits, saisis au vol :  A propos de Gérard Collomb : "Faut passer par son cabinet pour voir le Maire de Lyon, mais pour l'instant, c'est occupé". Un peu plus tard "Faut boire du vin de Brindas quand on ne peut pas aller du ventre". On cause, c'est vrai, beaucoup de bardanes (1). On en balance même sur le public, en trimballant joyeusement des matelas d'un logis à l'aulauren10.jpgtre. Cela, c'est pour la tradition. On vanne aussi l'euro, François Fillon, la mairesse du cinquième... La modernité de ce néo-Déménagement, alors qu'on évoque un peu partout les problèmes d'un chacun pour se loger, saute par ailleurs aux yeux.

Trouver un toit : Il y a dans la farce comme dans la comédie (lesquelles ne se soucient - ainsi disent les vilains pédants de l'Université - que du Bas Corporel) quelque chose qui tient à la fois de l'éternel et de l'universel : les besoins de boire, de manger, de rire et de s'aimer. Voilà pourquoi, dans la mise en scène de Christophe JAILLET, Guignol est si jeune. JAILLET, qui est un excellent marionnettiste, à l'aise dans sa gaine comme dans ses baskets, entouré de ses acolytes, Stéphanie Lefort, Daniel Streble, FLorence Vallin, Armand Pelletier, Patrick Bianchi, Thierry Fillon,Jean Marie Perre, Claire Maxime, Gaston Richard, Yvette Thibault-Verrier et, bien sûr, Gérard Truchet, viennent saluer à la fin sur l'air des "P'tits canuts", (Girier & Chavat / Hermand Brun) invitant tout le public à reprendre en choeur un chant d'anniversaire à l'honneur du papa Mourguet (voir le buste ci-dessus). Et cela marche. Hymne aux marionnettistes, hymne à Guignol, hymne à l'art de la marionnette ("un théâtre qui fait mal aux bras", lit-on dans la programmation des "Zonzons")dont on se souvient soudain, tout penaud, que l'origine est sacrée.

A propos du Guignol de la Belle Epoque, Henri Béraud écrivait ceci : "Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne tressaille, ou pas une fibre ne s'émeut pour nous dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n'ont d'ordinaire pour excuse que la verve du corps souple et la gaité d'un bras spirituel; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l'humanité toute crue."

Comment dire mieux ?

Voici, pour conclure, le monologue d'ouverture de Guignol, celui de Mourguet, dans la fantaisie initiale de Laurent Mourguet. En photo, les marionnettes de ce dernier (collection Gadagne)

 

 

 

trio.jpg

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09:47 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : guignol, gérard truchet, christophe jaillet | | |

vendredi, 26 septembre 2008

Tantôt pour Guignol

Les festivités autour du bicentenaire de Guignol sont multiformes. A cette occasion, la salle Rameau se met au goût du jour en accueillant le samedi 4 octobre 2008  des marionnettistes et des marionnettes de tous les théâtres Guignol de Lyon. On jouera Le Déménagement, l'une des pièces fétiches de Mourguet, ré-actualisée par Gérard Truchet et mise en scène par Christophe Jaillet. Les représentations auront lieu à 15 h et à 20 h.30.

En photo, Guignol, Gnafron, Madelon (musée Gadagne) Voici le monologue d'ouverture de Guignol, celui de Mourguet, dans la fantaisie initiale :

GUIGNOL -seul. — Ah l Guignol, Guignol… Le guignon te porsuit d'une manière bien rébarbarative (1). J'ai beau me virer d'un flanc et de l'autre, tout va de traviole chez moi... J'ai ben changé quarante fois d'état, je peux riussir à rien… J'ai commencé par être canut comme mon père…. Comme il me disait souvent dans sa chanson :

trio.jpg« Le plus cannant des métiers,

« C'est l'état de talle, taffe,

« Le plus cannant des métiers,

« C’est l'état de taffetatier (2) »

Je boulottais tout petitement sur ma banquette. Mais voilà qu'un jour que j’allais au magasin - je demeurais en ce temps-là aux Pierres-Plantées -  je descendais la Grande-Cote avec mes galoches, sur ces grandes cadettes (3) qu'ils appellent des trétoirs… voilà qu'en arrivant vers la rue Neyret, je mets le pied sur quéque chose de gras qu'un marpropre avait oublié sur le trottoir... Je glisse... patatrouf !... les quatre fers en l'air... et ma pièce dans le ruisseau… Quand je me relève, ils étaient là un tas de grands gognands qui ricanaient autour de moi... Y en avait un qui baliait la place avec son chapeau... un qui me disait : « M'sieu, vs’ avez cassé le verre de votre montre?» l'autre répondait : «Laisse donc, te vois bon qu'il veut aller ce soir au thiàtre, il prend un billet de parterre»… Je me suis retenu de ne pas leur cogner le melon... Enfin, je me ramasse; je ramasse ma pièce dans le ruissiau, une pièce d'une couleur tendre, gorge de pigeon... ça lui avait changé la nuance... Je la porte au magasin, ils n'ont pas voulu la prendre... Y avait le premier commis, un petit faraud qui fait ses embarras avec un morceau de vitre dans l'oeil... qui me dit : Une pièce tachée! J’aime mieux des trous à une pièce que des taches ! — Ah bon! que j'ai dit, je veux bien... — J'ai pris des grandes ciseaux, j'ai coupé les taches tout autour... C'est égal, il a pas voulu la garder… Puis il m'a dit : — Vous vous moquez de moi, Mossieu Guignol, ne revenez plus demander d'ouvrage à la maison... et dépêchez-vous de vous en aller, mon cher, car vous ne sentez pas bon... — J'aurais bien voulu le voir, lui, s'il était tombé dedans, s'il aurait senti l'eau de Colonne... Je suis rentré à la maison; J’étais tout sale; Madelon m'a agonisé de sottises : — Te voilà! t'es toujours le même! T’es allé boire avec tes pillandes (4), te t’es battu!... — Elle m'a appelé sac à vin, pilier de cabaret, ivrogne du Pipelu (5) Elle m'a tout dit; enfin... on n'en dit pas plus à la vogue de Bron (6)… La moutarde m'a monté au nez ; je lui ai donné une gifle, elle m'a sauté aux yeux ; nous nous sommes battus, nous avons cassé tout le ménage. C't histoire-là m'a dégoûté de l'état…Je me suis dit : Je vergetais là depuis cinq ans sans rien gagner... y faut faire un peu de commerce... Je me suis mis revendeur de gages (7)dans la rue Trois-Massacres (8) .. Mais j'ai mal débuté... J'ai acheté le mobilier d'un canut qui avait déménagé à la lune . . . Le propriétaire avait un ban de loyer… il a suivi son mobilier... Le commissaire est venu chez moi... il m'a flanqué à la cave... J'ai passé une nuit avec Gaspard (9)… Mon vieux, que je me suis dit après ça, faut changer de plan... T'as entrepris quéque chose de trop conséquent... t'as voulu cracher plus haut que ta casquette…  Y faut faire le commerce plus en petit… Y avait un de mes amis qui avait une partie d'éventails à vendre... je l'ai achetée... et je les criais sur le pont… Mais j’avais mal choisi mon m'ment... C'était à la Noël... j’avais beau crier : « Jolis éventails à trois sous ! Le plus beau cadeau qu'on peut faire à un enfant pour le Jour de l’An ! » . . . Personne en achetait, et encore on me riait au nez. Après ça, je me suis fait marchand de melons... Pour le coup, c'était bien au bon m'ment... c'était au mois de jeuliet . . . Mais quand le guignon n'en veut à un homme, il le lâche pas… C'était l'année du choléra (10).. et les médecins défendaient le melon... J'ai été obligé de manger mon fonds... toute ma marchandise y a passé . . . Eh ben! ça n'a pas arrangé mes affaires... au contraire, ça les a tout à fait dérangées... J'ai déposé mon bilan..." ça a fait du bruit… la justice est venue sur les lieux avec les papiers nécessaires... et elle a dit : V’la une affaire qui ne sent pas bonne... C'est égal, les créanciers ont eu bon nez, ils n'ont point réclamé de dividende. J'ai pas eu plus de chance dans mes autres entreprises… Y a bien un quéqu'un qui m'avait conseillé de me faire avocat... parce qu'il disait que j'avais un joli organe... Mais y en a d'autres qui m'ont dit que, pour cette chose- là, je trouverais trop de concurrence. Ah ! j’ai eu, par exemple, un joli m'ment... je m'étais fait médecin margnétiseur (11), et ma femme Madelon somnambule... C'était un de mes amis, qui avait travaillé chez un Physicien, qui m'avait donné des leçons... Madelon guérissait toutes les maladies... On n'avait qu'à lui apporter quéque chose de la personne... sa veste, ses cheveux, quoi que ce soit, enfin... Elle disait sa maladie et ce qui fallait lui faire… Les écus roulaient chez nous comme les pierres au Gourguillon... et tous les jours y avait cinq ou six fiacres à notre porte... C'est que Madelon était d'une force!... Et pour le déplacement des essences.'... c'était le même ami qui m'avait appris ça... Elle y voyait par le bout du doigt, elle y voyait par l'estomac, de partout, enfin... Elle lisait le journal, rien qu'en s'asseyant dessus... Eh ben ! nous avons fini par avoir un accident... Y avait une jeunesse qui était malade de la poitrine; Madelon l'a conseillée de s'ouvrir une carpe sur l'estomac et de s'asseoir sur un poêle bien chaud, jusqu’à ce que la carpe soye cuite... Elle a prétendu que ça lui avait fait mal... ça nous a ôté la confiance... Les fiacres sont plus venus, les écus non plus. .. Nous avions fait bombance pendant le bon temps, acheté un beau mobilier… y fallait payer ça ... Tout a été fricassé. Du depuis, je n'ai fait que vivoter… je suis revenu à ma canuserie... mais l'ouvrage ne va pas… Le propriétaire m'est sur les reins pour son loyer. Je lui dois neuf termes... Il est venu hier... il va revenir aujourd'hui... Je sais plus où donner de la tête..."



[1] Corruption comique de l’adjectif « rébarbative »

[2] Ouvrier fabriquant du taffetas (étoffe de soie fine). Les taffetatiers lyonnais appartiennent à la corporation plus large des canuts.

[3] Une cadette est une large dalle qui, avant l’invention des trottoirs, était placée contre la façade des maisons afin d’en éloigner les eaux de pluie. Le développement des trottoirs à Lyon, mot écorché par Guignol, s’opère de 1830 à 1848, sous les mandats des maires  Prunelle et Terme.

[4] Pillandre : vieille guenille ; Vaurien, canaille

[5] L’ancien quartier du Puits-pelu, vers l’actuelle rue du Palais Grillet, où s’entassent à l’époque les cabarets .

[6] A la vogue de Bron, on pouvait s’injurier librement.

[7] On appelait jadis à Lyon revendeur de gages, les marchands de vieux meubles, probablement parce que ces industriels avaient l'usage de prêter sur gages aux pauvres gens.

[8] Rue des trois massacres : rue Tramassac, dans le vieux Lyon.

[9] Dans les caves de l’Hôtel-de-Ville, peuplées de rats, où l’on enfermait les prisonniers gardés à vue. Le rat Gaspard finit par être une sorte de personnage populaire.

[10] 1832 ;

[11] Corruption comique pour magnétiseur.

 

13:11 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : théâtre, guignol, lyon, actualité, le déménagement | | |

lundi, 28 janvier 2008

Au juge Onofrio

On croit se douter d'après des rapports de police que Guignol naquit le 24 octobre 1808, dans un café de la rue Noire, à Lyo71d2e0e8b42407e64d5fe395ecf4e2bf.jpgn. C'est pourquoi la ville de Colomb et d'Aulas s'apprête à célébrer le bicentenaire de l'illustre  marionnette à gaine. Cela dit, cette date de naissance est purement arbitraire  (Guignol serait-il donc balance ?), car nul ne sait avec précision quand au juste l'accent canant de son créateur Laurent Mourguet (1769-1844) se fit entendre sous sa robe pour la première fois entre Rhône et Saône. De même les premières pièces de Guignol sont-elles définitivement perdues. Il fallut attendre 1860 pour voir réuni en deux volumes un premier répertoire lyonnais de Guignol, grâce à la patience d'un spectateur averti qui, au sortir du théâtre, recopiait de mémoire les répliques qui fusaient. Guignol, à priori, n'aime pas les juges; eh bien c'est à un juge du nom d'Onofrio qu'il doit pourtant la survie éditoriale de ses premiers textes. Du texte original, vraiment ? Le sel de la Gaule abondait en trop grande part, confesse le juge Onofrio (1814-1892) dans la préface de l'édition de son premier théâtre de Guignol(Scheuring, Lyon, 1865) aussi, en digne borjois, a-t-il jugé bon d'en retirer tout ce qui lui paraissait trop licencieux. A quoi ressemblait ce premier théâtre de 1808 ? Impossible à dire. Il se peut bien que ce bi-centenaire, par conséquent, soit celui d'une légende. Qu'importe.

Au ca20d1b563a1cda699af953f5b66ca388.jpgontraire de Mourguet, dont le visage était rond  ( voir croquis ci-contre) le visage d'Onofrio était sec. Le juge Onofrio fut à la fois une bénédiction et une malédiction pour Guignol : si d'un côté il tirait en effet de l'oubli le répertoire initial, dont le premier Déménagement, d'un autre, il en transformait vilainement l'esprit. On peut se demander légitimement ce que serait devenu par exemple Rabelais si le sel de la Gaule résidant en ses écrits était passé, lui aussi, par le tamis de la bienséance bourgeoise du dix-neuvième siècle. En migrant du cabaret du Premier Empire au salon du Second, nul doute que Guignol, qui était fort vindicatif, dut apprendre à n'être que pittoresque. Qui était fort ordurier dut se contenter de n'être qu'un peu grossier. N'empêche. Comme Boudu, sauvé des eaux, l'existence protéiforme de la marionnette pouvait prendre un nouvel essor grâce au juge Onofrio, dont le patronyme est désormais attaché à celui de Guignol et de Gnafron, pour le meilleur comme pour le pire. Extrait de la complainte des mal-logés, des mal-orientés, mais bon-buveurs et bon-vivants:

 

 

Guignol : Pourquoi paierais-tu pas à déjeuner ?

Gnafron : Pourquoi ? C'est que je suis comme toi. Nos goussets sont deux frères bessons. J'ai ben vendu hier quatre paire de grolles, qu'on m'avait donné à ressemeler, mais personne m'a jamais donné de pécuniaux. Ah vois-tu! C'est pas le Pérou que d'être cordonnier.

Guignol : T'as raison ! La savaterie et la canuserie, ça donne pas gras à boire ! Il faut qu'on trouve un autre état. Père Gnafron, nous avons manqué not-vocation : nous avons de vrais organes pour chanter des opéraux.

Gnafron : C'est vrai, Chignol. Te ferais un joli ténor. Et moi, avec ma basse-taille, je te soutiendrais par derrière.  (Ils massacrent un air d'opéra)


14:45 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guignol, théâtre, onofrio, lyon, mourguet, marionnette | | |