dimanche, 28 février 2010
La répétition chez Péguy
La répétition chez Péguy n’est pas une figure de style, au sens où il ne cherche pas à produire un effet. Elle est plutôt comme un essai, de nature artisanale. J’essaie un mot, puis un autre, que je place dans le même contexte. Répétition, variation. Confrontation à un art poétique. Voici le premier vers de quatre strophes successives de la Présentation de la Beauce.
« Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau (…)
Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau (…)
Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce (…)
Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate (…) »
Le segment « nous sommes nés » n’est pas répété. Il n’est que l’introduction nécessaire à divers essais. L’adresse à la Vierge (« pour vous ») du premier vers disparaît dans les autres, au fur et à mesure que s’impose une image qui peine à entrer dans l’alexandrin : « ce plateau » qui, tout en même temps, serait « vaste » et se nommerait « Beauce ». Et qui, bien sûr, demeurerait « vôtre ». Et de surcroît serait plat. Il y a dans, cette répétition comme le rêve d’un alexandrin qui pourrait tout contenir :
« Nous sommes nés pour vous au bord de ce vaste plateau qui est votre plate Beauce »
Mais tout contenir en douze syllabes n’est pas possible, et peut-être même que ce ne serait pas souhaitable, peut-être enfin que ce ne serait pas beau. Alors Péguy recoud, rabote, répète. Et là, commence sa poésie à lui, qui nait d’un long labour (labeur) de la pensée et démontre ainsi, et marchant au pas de poésie, l’insuffisance problématique du pas de prose.

« Si les longueurs, les digressions étaient toujours un défaut, l’œuvre entière serait le produit de ce défaut, elle a passé par cette fente comme un grand vent sous une porte », écrit François Porché en avril 1941, dans son introduction aux Œuvres poétiques dans la Pléiade.
On mesure à quel point les théories de la communication appliquées à la littérature ont profondément blessé la poésie. Il n’y a pas, en poésie, d’émetteur, de récepteur, de code ni de simplicité du message. La poésie est justement ce qui permet d’échapper à ces fonctionnements rudimentaires. « Prose et poésie se servent des mêmes mots, de la même syntaxe, des mêmes formes et des mêmes sons ou timbres, mais autrement coordonnés et autrement excités. », disait Paul Valéry dans un long article nommé Poésie et Pensée Abstraite. Il ne pensait certes pas à Péguy en écrivant cela, mais sans doute à Mallarmé, cet autre poète, contemporain et pas si éloigné.
Comme elle s’appliquerait volontiers à cet essai sur la lenteur du langage et la pesanteur de chaque mot qu’est cette œuvre de Charles Péguy, inspirée au sens le plus strict du terme, et comme extraite de l'insuffisance du langage.
00:40 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : charles péguy, poèmes, poésie, littérature |
Commentaires
"Toujours, n'importe le titre,
Sans même s'enrhumer au
Dégel, ce gai siffle-litre
Crie un premier numéro"
J'avais envie de "Chansons Bas" Mallarmé
et je me demande si le poète doit se succéder à lui-même, ou continuer sans cesse d'être lui-même. Réflexion dominicale, par temps
gris, un peu plus haut près du Rhône.
Écrit par : Sylvaine | dimanche, 28 février 2010
Écrit par : Zabou | dimanche, 28 février 2010
Écrit par : Marie-Hélène | dimanche, 28 février 2010
Écrit par : Pascal | dimanche, 28 février 2010
Écrit par : nauher | dimanche, 28 février 2010
Merci pour la visite de votre crieur de journaux mallarméen. Bruits de la ville d'autrefois.
Écrit par : solko | dimanche, 28 février 2010
@ Marie Hélène : Content que vous aimiez aussi Péguy
@ Pascal : Bien sûr. Je reviens souvent à "L'argent", vous le savez.
@ Nauher : La répétition sans (ou hors de) la routine. Un art de vivre en soi.
Écrit par : solko | dimanche, 28 février 2010
Écrit par : tanguy | jeudi, 04 mars 2010
Écrit par : solko | jeudi, 04 mars 2010
Écrit par : tanguy | jeudi, 04 mars 2010
Écrit par : winamax | jeudi, 16 septembre 2010
Écrit par : Maillot foot | mardi, 08 février 2011
Écrit par : expert immobilier | vendredi, 25 février 2011
Je suis revenu tantôt sur notre jeunesse, sur la grande affaire que fut pour nous 68, repensant à celle de Péguy, à l'affaire Dreyfus et à son examen dans "Notre jeunesse", justement.
La nostalgie qu'il nous fait éprouver à l'écoute de l'air de Chérubin, dans la "Mère coupable" de Beaumarchais, c'est au fond la même que la nôtre. Parti mourir à l'assaut d'un fort pour lequel il n'était pas commandé, Chérubin c'est l'élan révolutionnaire avant qu'il ne retombe.
« C’est ce qui fait si mélancolique, dit-elle, cette romance de Chérubin. Elle marque un âge, elle date un peuple, elle date un monde qui ne retrouvera sans doute jamais dans l’histoire du monde. C’était alors une jeunesse, un peuple gonflé de sa propre sève. Plus tard viennent les réalisations. Nous déclarons tous, nous nous affirmons à nous-mêmes que rien ne vaut les réalisations. Nous savons que rien n’est profond, et grave, et sérieux comme les réalisations, comme une œuvre faite, comme l’opération même, comme une guerre faite et une victoire couronnée. Comme une conquête enregistrée. Comme une victoire acquise. Comme une victoire inscrite. Nous le savons, nous en sommes sûrs. Et nous savons aussi que nous ne retournons jamais sans une profonde mélancolie vers cet âge où l’œuvre était espérée seulement, où la fortune encore n’était pas jouée, où tout était dans le risque mais dans la promesse, où la bataille enfin n’était pas donnée. »
Œuvre complète de Charles Péguy 1874-1914 Volume 8, p 144, NRF , 1917
Mais notre assaut était beaucoup plus désespéré, il a été le dernier sursaut de "c'pays" comme on appelle désormais la France dans les discours. Au lieu de réalisations, il y a eu qu'un effondrements.
Mais au fond nous le savions. Notre enthousiasme d'alors était celui du condamné à mort qui vient d'obtenir un sursis.
Et j'associerais l'air de Chérubin à la très belle scène de la charge de brigade légère que Guy Debord place je pense dans "In girum..". Au fond lui aussi est parti à l'assaut d'un fort pour lequel il n'était pas commandé. Il s'avait qu'il n'avait pratiquement aucune chance de réussir. Mais cette chance a été jouée, cette chance a été perdue.
Et notre mélancolie en est redoublée, recreusée, encore.
Merci pour votre blog qui sonne toujours si vrai.
Écrit par : Pécheur | vendredi, 20 mai 2011
Je suis revenu tantôt sur notre jeunesse, sur la grande affaire que fut pour nous 68, repensant à celle de Péguy, à l'affaire Dreyfus et à son examen dans "Notre jeunesse", justement.
La nostalgie qu'il nous fait éprouver à l'écoute de l'air de Chérubin, dans la "Mère coupable" de Beaumarchais, c'est au fond la même que la nôtre. Parti mourir à l'assaut d'un fort pour lequel il n'était pas commandé, Chérubin c'est l'élan révolutionnaire avant qu'il ne retombe.
« C’est ce qui fait si mélancolique, dit-elle, cette romance de Chérubin. Elle marque un âge, elle date un peuple, elle date un monde qui ne retrouvera sans doute jamais dans l’histoire du monde. C’était alors une jeunesse, un peuple gonflé de sa propre sève. Plus tard viennent les réalisations. Nous déclarons tous, nous nous affirmons à nous-mêmes que rien ne vaut les réalisations. Nous savons que rien n’est profond, et grave, et sérieux comme les réalisations, comme une œuvre faite, comme l’opération même, comme une guerre faite et une victoire couronnée. Comme une conquête enregistrée. Comme une victoire acquise. Comme une victoire inscrite. Nous le savons, nous en sommes sûrs. Et nous savons aussi que nous ne retournons jamais sans une profonde mélancolie vers cet âge où l’œuvre était espérée seulement, où la fortune encore n’était pas jouée, où tout était dans le risque mais dans la promesse, où la bataille enfin n’était pas donnée. »
Œuvre complète de Charles Péguy 1874-1914 Volume 8, p 144, NRF , 1917
Mais notre assaut était beaucoup plus désespéré, il a été le dernier sursaut de "c'pays" comme on appelle désormais la France dans les discours. Au lieu de réalisations, il y a eu qu'un effondrements.
Mais au fond nous le savions. Notre enthousiasme d'alors était celui du condamné à mort qui vient d'obtenir un sursis.
Et j'associerais l'air de Chérubin à la très belle scène de la charge de brigade légère que Guy Debord place je pense dans "In girum..". Au fond lui aussi est parti à l'assaut d'un fort pour lequel il n'était pas commandé. Il s'avait qu'il n'avait pratiquement aucune chance de réussir. Mais cette chance a été jouée, cette chance a été perdue.
Et notre mélancolie en est redoublée, recreusée, encore.
Merci pour votre blog qui sonne toujours si vrai.
Écrit par : Pécheur | vendredi, 20 mai 2011
Écrit par : Relaxation | lundi, 30 mai 2011
Écrit par : acadomia | mardi, 31 mai 2011
Écrit par : detective privé | vendredi, 25 novembre 2011
Écrit par : Julie des Hauts | mardi, 24 avril 2012
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