mardi, 27 avril 2010
Bloy, Serge & Jules Bonnot
Le 27 avril 1912 mourait Jules Bonnot. Il y a de cela 98 ans Selon la légende, Bonnot avait été un temps le chauffeur privé de Sir Arthur Conan Doyle. Plus prosaïquement, il fut l’amant de l’épouse de Thollon, l'humble gardien du cimetière de la Guillotière à Lyon, et un petit malfrat de province avant de devenir le grand Bonnot, chef de la bande de la rue Ordener, révélée au grand public par le casse de la Société Générale à bord d’une mythique Delaunay Belleville verte et noire de 12 CV, modèle 1910, le 21 décembre 1911. La bande à Bonnot : Rien n’est plus ridicule que cette chanson de Joe Dassin, qui traine encore sur You Tube ou Daily Motions, rien de plus niais non plus que ce navet, les Brigades du Tigre, avec Clovis Cornillac et Jacques Gamblin.
Non…
Pour se souvenir de Bonnot, il faut lire ou relire les Mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge, journaliste à l’Anarchie qui fut assimilé par la police à sa bande et, pour l’avoir connu, aimé et protégé, qui fut condamné à cinq ans fermes, qu’il passa à la Santé puis à Melun, dans des conditions proprement épouvantables : isolement cellulaire la nuit, travail forcé le jour.. Voici le récit sommaire de la mort de Bonnot que fait Victor Serge dans ses magnifiques mémoires d’un Révolutionnaire récemment réédités par Laffont dans la collection Bouquins, avant le long récit du procès de la bande.
« Bonnot, surpris chez un petit commerçant, à Ivry, engageait dans une chambre obscure un corps à corps avec le sous-chef de la Sureté, Jouin, l’abattait de plusieurs balles de browning lâchées à bout portant, faisant un instant le mort sur le même plancher, puis enjambait une fenêtre et disparaissait. Rejoint à Choisy-le-Roy, il soutint un siège d’une journée entière en se défendant à coups de pistolet, écrivit dans les intervalles de la fusillade une lettre innocentant ses camarades, se coucha entre deux matelas pour se défendre encore contre l’assaut final, fut tué ou se tua, on ne sait pas au juste. »
Peut-être faut-il aussi jeter un œil dans le journal de Léon Bloy (Le Pèlerin de l’Absolu), qui relate ainsi l’événement en date du 29 avril :
« L’événement qui remplit toutes les feuilles et toutes les cervelles, c’est la capture et la mort de l’anarchiste Bonnot, chef d’une bande qui terrifiait Paris et la province depuis des semaines : vols, cambriolages, assassinats. En remontant jusqu’à Ravachol, je peux dire que je n’ai rien vu de plus ignoble, de plus totalement immonde en fait de panique et d’effervescence bourgeoise.
Le misérable s’était réfugié dans une bicoque, à Choisy-le-Roi. Une multitude armée a fait le siège de cette forteresse défendue par un seul homme qui s’est battu jusqu’à la fin, quoique blessé, et qu’on n’a pu réduire qu’avec une bombe de dynamite posée par un héros (!) qui a opéré en se couvrant d’une charrette à foin et cuirassé de matelas.
Les journaux ne parlent que d’héroïsme. Tout le monde a été héroïque, excepté Bonnot. La population entière, au mépris des lois ou règlements de police, avait pris les armes et tiraillait en s’abritant. Quand on a pu arriver jusqu’à lui, Bonnot agonisant se défendait encore et il a fallu l’achever.
Glorieuse victoire de dix mille contre un. Le pays est dans l’allégresse et plusieurs salauds seront décorés.
Heureusement Dieu ne juge pas comme les hommes. Les bourgeois infâmes et tremblant pour leurs tripes qui ont pris part à la chasse, en amateurs, étaient pour la plupart, j’aime à le croire, de ces honorables propriétaires qui vivent et s’engraissent de l’abstinence ou de la famine des pauvres, chacun d’eux ayant à rendre compte, quand il crèvera, du désespoir ou de la mort d’un grand nombre d’indigents. Protégés par toutes les lois, leur infamie est sans aucun risque. Sans Dieu, comme Bonnot, ils ont l’hypocrisie et l’argent qui manquèrent à ce malheureux. J’avoue que toute ma sympathie est acquise au désespéré donnant sa vie pour leur faire peur et je pense que Dieu les jugera plus durement.
Cette brillante affaire avait nécessairement excité la curiosité la plus généreuse. Ayant duré plusieurs heures, des autos sans nombre avaient eu le temps d’arriver de Paris, amenant de nobles spectateurs impatients de voir et de savourer l’extermination d’un pauvre diable. Le comble de l’infamie a été la présence, dans les autos, d’une autre armée de photographes accourus, comme il convient, pour donner aux journaux tous les aspects désirables de la bataille »
21:27 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jules bonnot, victor serge, léon bloy, littérature, anarchie |
Commentaires
Je ne connaissais pas ces lignes de Bloy. Merci pour ce billet, Solko.
Écrit par : Le Photon | mardi, 27 avril 2010
"La prise de Bonnot fut un spectacle lamentable, du fait du préfet de police Lépine, imbécile et prétentieux, qui avait convoqué, pour cette opération, plusieurs centaines de gardiens de la paix armés jusqu'aux dents. (...) Après deux heures et demi de siège, il n'y avait encore aucun résultat.
La foule commençait à murmurer et Bonnot, seul contre tous, en devenait sympathique.
Il fallut faire appel à la troupe."
Léon Daudet
"Paris vécu"
1929
Écrit par : Hervé | mardi, 27 avril 2010
Merci, Solko, de rappeler les termes de cette curée qui, dans une moindre mesure, m'en rappelle une autre, porte de Clignancourt, le 2 novembre 1979.
Quand le pouvoir se passe des tribunaux, condamne à mort et exécute la sentence.
Écrit par : Bertrand | mardi, 27 avril 2010
Cela me rappelle le début de l'odyssée de la bande à Baader. Celle-ci commença par des incendies de grands magasins en 1967 (dans une époque de contestation assez vive en Allemagne) qui ne firent aucune victime et pour lesquels Baader écopa de 3 ans ferme et s'acheva en 1977 dans des circonstances fort troubles. Au-delà des possibles instrumentalisations (à la manière des Brigades Rouges italiennes) par des services secrets, je retiendrai qu'il est des délits et des crimes dont la symbolique nécessite que l'Etat soit impitoyable. Il l'est beaucoup moins pour certains de ses serviteurs zélés (barbouzes, collabos recyclés...) spécialisés dans les basses besognes.
Écrit par : nauher | mardi, 27 avril 2010
" je retiendrai qu'il est des délits et des crimes dont la symbolique nécessite que l'Etat soit impitoyable."
On ne pourrait mieux dire s'agissant de Jean-Marc Rouillan, 24 ans d'enfermement à ce jour, et comme je le dis souvent, plus lourdement condamné qu'Albert Speer, bras droit d'Hitler, pour crimes contre l'humanité.
Écrit par : Bertrand | mardi, 27 avril 2010
L'ennemi public numéro 1, quellle que soit l'époque, participe de la création du mythe collectif. Tout bras droit qu'il est, ALbert Speer n'est qu'un second rôle par rapport à Hitler. Il n'est donc pas, au même titre que Bonnot ou Rouillan, un "ennemi public n° 1". N'est-ce pas de cela qu'il s'agit ?
Écrit par : solko | mardi, 27 avril 2010
Il s'agit de cela et aussi de l'absence totale de la mondre éthique humaine en matière de justice
Quand Speer a été jugé, le danger, l'immoralité, le crime étaient derrière, vaincus...Il a été jugé par des vainqueurs.
Quand J.M. Rouillan a été jugé, comme Bonnot ou Mesrine assassinés,le danger résidait dans leur projet.
Ils ont été "jugés"par des gens qui se proposaient de ne pas être vaincus. Condamnés par la peur.
Elle est là, la grosse différence.
Écrit par : Bertrand | mercredi, 28 avril 2010
Exact
Écrit par : solko | mercredi, 28 avril 2010
Il n'a pas une vilaine bobine.
"les aspects désirables de la bataille", une bien belle formule du moustachu!
Écrit par : tanguy | jeudi, 29 avril 2010
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