dimanche, 20 décembre 2009
Du merveilleux chrétien
J’ai entendu et lu tellement d’âneries ça et là à propos de la polémique autour des propos de Nadine Morano que j’en reste stupéfait. Peut-on descendre plus bas dans l’esprit et dans le débat que certains de ses contradicteurs, s'élevant au niveau d'elle-même, sont descendus à cette occasion ?
Parler en verlan et porter une casquette à l’envers, mon dieu, c’est vrai que c’est extraordinaire, ça ! Un signe de liberté et de culture, que c’est très poétique et très intelligent, très courageux, très cultivé, en un mot très moderne. Ecrire La Colline Inspirée ça, c’est ignoble, crapuleux, ordurier. Et puis nous en sommes tous capables, pas vrai ? Mais jusqu’où va-t-on aller dans la plus profonde imbécilité à marcher ainsi la tête en bas ?
Occasion de se plonger dans la lecture de La Colline Inspirée. Et sur La colline Inspirée de Barrès, j'ai senti souffler un peu de la poésie de la lande de Lessay de Barbey d'Aurevilly.
« J’ai surpris la poésie au moment où elle s’élève comme une brume des terres solides du réel » (1)
Un peu de la Touraine balzacienne un peu de ce merveilleux chrétien qui souffle depuis le moyen-âge sur la folie Tristan comme sur la folie Joinville. A propos de La Colline Inspirée, Albert Thibaudet a eu ce mot : « un rendez-vous de mythes assagis ». Et puis Barrès, continue-t-il, « aura été le dernier faiseur de mythes. La littérature directe et pressée d’aujourd’hui tourne le dos au climat indulgent qu’exigent les mythes (…) Barrès a été un créateur de mythes parce qu’il vivait dans les mythes circulait en eux simplement et intelligemment. Il y vivait et y circulait à la française, sans gène sans obscurité, sans emphase, sans duperie » (2)
La littérature est ce pays où chaque auteur est nécessaire. Chaque. Je parle, ici, de la littérature, tel que le mot s’est entendu durant plusieurs siècles, dans ce vieux continent dont chacun de nos je est l’héritier. C'est à dire d'un levier puissant et efficace, le seul, depuis la dévastation des villes et des paysages, capable de nous tirer hors de cette atroce contemporanéité et de la fierté maladive que nous avons d'en être les piètres et multiples locataires.
De la lande de Lessay (relisez L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly qui ne parlait pas en verlan) à la colline de Sion (relisez La Colline Inspirée de Barrès qui ne portait pas sa casquette à l'envers), une poésie, tout aussi vivifiante, digne et élevée qu'une autre, souffle. Il n'est besoin ni de la confondre avec le Réel, car le foutu Réel dans lequel nous sommes est tout, mais vraiment tout, sauf poétique ! Ni de la magnifier. Ni de la piétiner. Mais de l'entendre. Et de cesser de dire ou d'écrire n'importe quoi à son sujet. Car le merveilleux chrétien est un registre comme un autre, qui comme les autres, possède ses chefs-d'oeuvre.

(1) La Colline Inspirée, I - 4
(2) Réflexions sur la littérature, Thibaudet, p 1254 - Quarto Gallimard
17:39 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : littérature, barrès, casquette, verlan, morano |
Commentaires
Je déplore avec vous Solko, la dévastation des villes et celle des paysages; nous n'en sommes qu'au début hélas, je le crains !
"Passons passons puisque tout passe,
Je me retournerai souvent.
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit, parmi le vent..."
Écrit par : Agaric | dimanche, 20 décembre 2009
et tel qu'il s'entend aujourd'hui encore me semble-t-il : relève de la littérature une écriture qui répond à une nécessité d'écrire, une écriture qui manifeste une certaine conscience de son temps, qui met en question les stabilités installées, qui déplace les attentes d'un lecteur, qui est lucide sur les moyens qu'elle met en oeuvre, qui déconcerte, qui vient là où les discours installés n'arrivent plus à dire le monde.
J'ai apprécié la "définition" que vous en donnez dans Marche romane lorsque vous dites :
"Le meilleur moment de la lecture est la relecture. C'est alors seulement qu'on peut parler de littérature véritable et non pas de littérature de consommation au sens propre du terme (consommer = détruire par l'usage). Je lis, je relis, je n'épuise ni le texte, ni ses références, ni moi-même. Et la lecture devient alors la meilleure école d'écriture".
Nous avons aujourd'hui encore une littérature qui porte quelque chose de fort, de grave et de chaud, qui dérange, qui éloigne (de l'atroce contemporanéité) et "qui aide à penser, dans le profond temps des livres, le court temps où nous nous débattons."
Le drame, c'est que notre époque n'en fasse pas un bien premier.
En 1990, Danièle Sallenave (Le Don des Morts) écrivait :
"Les livres n'avaient pas vraiment fait leur entrée chez nous. Il faudrait pour cela qu'on soit allé davantage, c'est-à-dire plus longtemps à l'école, et ce temps-là vint. Dans toutes les familles comme la mienne, s'il vint, il dura cinquante ans ; et la parenthèse se referma. L'étau de la nécessité s'était desserré ; on avait du loisir, et les livres auraient dû établir leur règne. Ils commencèrent de le faire, mais d'autres plaisirs étaient venus qui furent partout préférés. Le peuple avait eu le livre avec le pain - selon le souhait de Péguy. Il eut bientôt plus que du pain et bien moins que des livres : un poste de radio, puis de télévision. A peine ouvert, l'horizon se bouchait ; je décris naturellement ce qui s'est passé dans les familles des gens ordinaires."
Écrit par : Michèle | dimanche, 20 décembre 2009
Je ne connais rien au Merveilleux chrétien et ce sera une excellente occasion de changer cela. J'ai le tome 1 dans la collection Bouquins, des Romans et Voyages de Barrès. Or c'est dans le tome 2 qu'il y a "La Colline Inspirée", que j'achèterai donc, ce tome 2.
Quant à Barbey d'Aurevilly, j'ai lu et aimé d'autres textes de lui ; je ne connais pas "L'Ensorcelée", que je lirai aussi.
Écrit par : Michèle bis | dimanche, 20 décembre 2009
Travaillant il y a quelques années, sur un roman contemporain "Quatre soldats" (Mingarelli), je recherchais depuis quand, dans le roman français on parlait de la guerre, de l'engagement militaire autrement que par des récits de victoires ou d'exploits, de communiqués officiels, etc. Fabrice à Waterloo, La Semaine sainte d'Aragon, Georges Courteline, Céline...
Et dans ma recherche, je rencontrais cette idée que les trois livres du "Roman de l'énergie nationale" de Barrès étaient, qu'on le veuille ou non, un monument précieux de notre histoire littéraire : "Les Déracinés", "L'Appel au soldat", "Leurs figures" étaient les premiers exemples en France du roman politique moderne.
Roman politique, roman de formation où l'on voit, entre autres choses, pourquoi et comment un étudiant du nom de François Sturel est amené à s'engager dans le mouvement boulangiste. La description précise d'un appareil et d'un mouvement politiques deviennent le sujet d'un roman. Dans "L'Appel au soldat", Barrès écrivain, déboulonne la statue équestre d'un sauveur de la France, contre Barrès partisan.
C'est ainsi, (a-t-on dit), qu'il y a "une intelligence du roman, une lumière du roman" au rebours, s'il le faut, des idées de l'auteur.
C'est ainsi que se diraient moins d'âneries s'il y avait une meilleure connaissance de la littérature.
Écrit par : Michèle ter | dimanche, 20 décembre 2009
L'existence même d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale est inique. Dans la droite ligne d'un gouvernement qui détruit tous les acquis du Conseil National de la Résistance, qui précipite les gens de ce pays dans une paupérisation absolue et totale.
Mener campagne avec des débats sur l'identité nationale est une honte pour notre pays.
Fait partie d'un pays celui qui y vit.
Qu'il y travaille et y paie des impôts, on le lui souhaite. Tout le monde ne trouve pas du travail et ne paie pas des impôts. C'est bien là, en premier lieu, le problème.
Écrit par : Michèle Pambrun | lundi, 21 décembre 2009
Pourriez-vous nous en donner un résumé ?
Merci.
Écrit par : Marie | lundi, 21 décembre 2009
Bref, merci de ce billet... je ne connais pas encore Barrès, lui et moi n'avons pas été présentés, mais Barbey, mais la lande de Lessay, mais 'L'Ensorcelée', quelle plume ! Un merveilleux à en faire frissonner les échines !
Écrit par : Zabou | lundi, 21 décembre 2009
A tous les niveaux de la société j’ai bien peur que le communautarisme le plus insidieux (et donc le plus malfaisant) ait gagné la partie sur la conception républicaine de la citoyenneté. Ce ministère en est la preuve. Ceci, parce que le communautarisme se plie et se moule parfaitement dans ce qu’attend l’idéologie libérale et libertaire qui détient le pouvoir un peu partout dans le monde. Y compris dans certains pays musulmans. Y compris en France, hélas. Mais je me refuse à développer ce thème parce que tout le monde va s’engouffrer dedans.
Ce blog essaie d’être un blog de polémique « littéraire » et non pas « politique » (si ces deux mots ont encore un sens à l’époque actuelle… Allons, soyons optimistes et disons-nous que, tout "café du commerce" mis à part, ils en ont un.)
L’instrumentalisation du fait littéraire par le fait politicien est la gangrène que je dénonce ici. Signe d’une complète acculturation des gens, à commencer par le personnel politique, majorité et opposition confondues, qui ne veulent plus voir dans les grands textes que des slogans manipulatoires à jeter en pâture à l’opinion. Signe d’une adéquation du mot à la chose sidérante. Saussure au secours ! Signe d’un appauvrissement généralisé de la conception qu’on se fait du langage, désormais purement réservé à de la communication et à du marketing électoraliste (Voyez l’Ensemble nous pouvons de l’un et le Yes we can de l’autre)
Cette instrumentalisation du fait littéraire, des gens de droite, d’extrême-droite, de gauche, d’extrême gauche s’y sont livrés impunément durant des décennies, se sont vautrés dedans comme des phoques. Aucun parti n’est innocent, et ce depuis longtemps. Elle aussi est responsable de la perte du sentiment républicain (au sens noble). Car la littérature, avant de servir le fait identitaire et le communautarisme comme une simple casquette (principe, encore une fois, du slogan), était ce que nous avions en commun. Quand je dis nous, je ne dis pas les Français, je dis les hommes. Que des auteurs (Lamartine, Hugo, Barrès…) aient pu être, dans la tradition de l’homme de Lettres du XIXème, à la fois des écrivains et des hommes politiques, n’arrange pas les choses, surtout quand on souhaite qu’elles soient encore plus confuses dans l’esprit de la majorité des gens, qui ne liront bientôt plus qu’un livre par mois (il faut voir lesquels).
Écrit par : solko | lundi, 21 décembre 2009
Bien à vous.
Écrit par : Solko | lundi, 21 décembre 2009
"Leurs Figures" est le 3e volet de ce qui fut au départ conçu par Barrès comme "un grand roman populaire sur la vie publique en France."
Un ensemble romanesque de plus d'un millier de pages dans l'édition originale qui raconte les aventures de sept jeunes lorrains à Paris et confrontés aux réalités de la vie et de l'histoire contemporaine.
Le 1er volet "Les Déracinés" fut publié en 1897, en feuilleton d'abord dans La Revue de Paris, puis en volume chez Fasquelle.
Les deux autres volets, remaniés, furent publiés,"L'Appel au soldat", en 1900 et "Leurs Figures" en 1902.
"Leurs Figures", c'est la dénonciation du parlementarisme comme "système de chantage", la dénonciation du scandale de Panama.
Dès les premières pages, le ton est donné avec l'apprentissage par l'un des personnages, l'un des sept lorrains, Georges Suret-Lefort, élu député de la Meuse, des moeurs du Parlement :
" Suret-Lefort qui savait, pour s'en être fait des succès dans les réunions publiques, que les concussionnaires abondent au Palais-Bourbon, fut tout de même interloqué d'apprendre petit à petit, et des membres de la majorité, que les fournitures de la guerre, les conventions avec les grandes compagnies, la conversion des obligations tunisiennes, les rachats de chemin de fer et la construction du réseau de l'Etat étaient des 'affaires'. "
Je pense que vous devez pouvoir trouver en bibliothèque les deux volumes de l'édition Romans et Voyages de Maurice Barrès, dans la collection Bouquins chez Laffont, avec préface et notes qui donnent tous les éclairages nécessaires.
Écrit par : Michèle Pambrun | lundi, 21 décembre 2009
Écrit par : solko | lundi, 21 décembre 2009
Faites, faites.
Les fleurs de Tarbes sont bienvenues, ici.
Écrit par : solko | lundi, 21 décembre 2009
Lisons donc Barrès pour pouvoir regarder en face ses lignes les plus immondes, mais aussi ses perles : vénitiennes, tolédanes, et ne pas le laisser à l'imbécillité extrémiste (de droite comme de gauche) qui en fait, selon les besoins de la cause, un affidé ou un épouvantail.
Écrit par : nauher | lundi, 21 décembre 2009
Vous vous laissez emporter, là.
Amicalement
Écrit par : Michèle | lundi, 21 décembre 2009
Écrit par : solko | lundi, 21 décembre 2009
Vous savez bien que non, je n'ai pas de la littérature contemporaine une connaissance aussi précise!! C'est même le moins qu'on puisse dire. Je manque de modalisateurs, parfois, (souvent) vous avez raison.
Écrit par : solko | lundi, 21 décembre 2009
Écrit par : Albert T. | lundi, 21 décembre 2009
Le merveilleux n'a pas d'église
Il rayonne en acoustique
Dans le plus profond des silences
Que n'atteint pas la multitude
Des bruits ensorcelés
Le merveilleux s'écrit
De lui-même en palimpseste
Encre sympathique au demeurant
Rentré de ses pérégrinations
Et autres odyssées
Du merveilleux nul ne voit
Que son parfum familier
De transparente élégance
Qui séduit sans déroger
Le passant assis en sourire
Écrit par : gmc | mardi, 22 décembre 2009
Cela me parait une maxime acceptable en la circonstance. Etant entendu que Barrès, lorsqu'on lit sa Colline inspirée, est encore vivant et n'a rien à craindre des zombies qui lui font dire (en verlan ou en français tout aussi indigent) ce qu'on leur a dit de dire.
Votre billet est plein de verve.
Écrit par : tanguy | mardi, 22 décembre 2009
Écrit par : solko | mercredi, 23 décembre 2009
J'ai acquis hier la colline inspirée de Barrès, suite à votre billet en fait. Ainsi que Colline de Giono. Merci.
A bientôt.
Écrit par : tanguy | lundi, 28 décembre 2009
Écrit par : solko | lundi, 28 décembre 2009
Écrit par : pier paolo | mercredi, 30 décembre 2009
En fait je ne suis pas encore dans ces collines, toujours dans mes illusions, un peu délaissées ces derniers temps.
Mais je vais venir m'y promener, celle de Barrès sans doute pour commencer. Dès que j'aurais quitté les toilettes à froufrous de mes comtesses - enfin celles de notre cher Honoré.
Bonne fin d'année à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse et surtout bons préparatifs pour votre causerie - me rappelle un essai de Stevenson d'ailleurs.
Écrit par : tanguy | mercredi, 30 décembre 2009
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