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lundi, 29 novembre 2010

Joinville et la frêle mémoire de Saint-Louis

Je me demande quel effet cela fait d’être sacré roi à douze ans, comme le fut Louis IX, en cathédrale de Reims, le 29 novembre 1226. Sans doute ne pouvons-nous qu’imaginer la chose, et encore à grand peine. Pour ne pas dire pas du tout.

Que pouvait-il bien se passer dans la tête d’un gamin de 12 ans, dans la France féodale de l’époque, en train de devenir un roi chrétien ?  

Jacques le Goff date la naissance du purgatoire du règne de son grand-père, Philippe Auguste (1). Il explique que le XIIIème siècle fut celui de l’organisation, du calcul et de la cartographie, le temps où « les marchands et les fonctionnaires établirent les premiers budgets », où apparurent les premiers registres et se développa, en parallèle des comptes, une géographie de l’au-delà :

« La cartographie terrestre, réduite alors à des sortes d’idéogrammes topographiques, s’essaie au réalisme de la représentation topographique. La cartographie de l’au-delà complète cet effort d’exploration de l’espace, tout chargé de symbolisme qu’il soit encore ».

 

louiscroisade.jpg

 Joseph Lamberton, Louis IX, départ pour la 7ème croisade

Eglise Saint-Louis à Saint-Etienne

 

 


J’ai douze ans, donc, je deviens roi dans ce monde en expansion, en devenir, alors que les portes de l’Orient infidèle s’ouvre devant soi… Non, nous ne pouvons imaginer quels symboles furent ce sceptre, ce manteau, et cette couronne posée sur la tête de cet  enfant. Ni quelle époque fut la sienne où, pour dire « je ne souhaite pas votre mort », on disait : « je ne souhaite pas encore baiser vos os ».

« Je soupçonne même Saint-Louis, conclut Le Goff, roi de la croisade pénitentielle, tandis que ses officiers s’affairent à calculer et à mesurer, à bien asseoir son royaume, de songer à l’entraîner vers l’aventure eschatologique, de rêver d’être un roi des derniers temps. Et Saint-Louis pourtant écrira : Personne n’aime autant sa vie que moi la mienne. » 

Là où wikipédia nous informe que Louis IX naquit un 25 avril, Joinville, son chroniqueur, raconte  : « comme je li oÿ dire, il fu né le jour saint Marc Euvangeliste asprès Pâques » (2)

Ce qui affleure de la lecture de cette Vie de Saint-Louis par son contemporain Joinville, c’est en effet ce goût pour la vie, un goût qui n’eut d’autre possible que de porter au plus haut les aventures que lui proposait son temps, et que d’aucuns plus timorés sans doute auraient rejetées, à savoir les croisades : « il recordoit que sa mère li avoit fait aucune foiz a entendre que elle aimeroit miex que il feust mort que ce que il feist un pechié mortel » (3)


Joinville accompagne donc son roi, de onze ans son aîné, dans la septième croisade. Le récit de la bataille de Mansûra, donne lieu à un récit épique où se mêlent coups d’épées, débats théologiques, prières, bons mots, exploits guerriers, évangélisation et anecdotes. « Nous ne mangions nulz poissons en l’ost tout le caresme mez que bourbettes, et les bourbettes manjoient les gens morts, pour ce que ce sont glous poissons » (4)

C’est dans ce récit que, pour la première fois dans la littérature française sans doute, il est très longuement fait mention du « Vieil de la Montaigne, cil qui nourrit les Assacis » (5). Entre le Vieux de la Montagne et Louis IX, s'échangent des cadeaux.

C’est en second lieu le goût du roi pour la conversation. Sans doute est-ce par ce fil-là qu’il est le plus possible de retrouver les hommes de ce temps, d'entendre résonner derrière les toiles de tentes et les hautes murailles l'écho de leurs paroles ; car les hommes ont toujours aimé deviser : « Le premier vendredi de caresme manda le roy touz ses barons devant li et leur dit » ; « A ce repondi le roy » ; « il m’appela une fois et me dist » ; « et me conta le roy que … » : « il commença à rire moult clerement et me dit »… En fait, les trois quarts de l’hagiographie ne sont qu’une longue conversation échangée entre Joinville et Saint-Louis, faite de complicité, d’humeurs, d’estime, de modestie, de jovialité. 

Au fond de la cathédrale Saint-Jean de Lyon, une plaque commémorative rappelle à présent au touriste égaré que Saint-Louis, roi de France, mourut à Tunis « sur la cendre comme le dernier des pauvres » et que ses restes, accompagnés par Philippe III le Hardi « reposèrent quelques jours en cette primatiale en mai 1271 ». 

Il est aussi impossible de pénétrer les oripeaux d’un manant de ce temps-là, venu avec ferveur prier pour son roi très chrétien avant de retourner à son ordinaire laborieux, que de pénétrer le manteau d'hermine d'un roi. 

Assis sur un banc, plongé dans la ténèbre qui entoure cette plaque, j'imagine Jean de Joinville portant à Louis le Hutin en 1309 un exemplaire manuscrit de ses souvenirs sur Saint-Louis. Le volume a été égaré. Celui dont s'inspire les éditions modernes serait une copie retrouvée à Bruxelles en 1746 par le maréchal de Saxe : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Valéry en 1919. Nous qui avons bien compris que, comme l’empire romain, l’empire médiéval ne reviendra pas, il nous reste à comprendre que, du monde dans lequel nous sommes nés, ce qui ne sera pas transmis se perdra à son tour, et, non plus, ne reviendra pas. 


Nul meilleur endroit pour le mesurer qu’en la profonde mémoire portée par le silence de cette pierre et le bavardage de ces pages, dans ce coin inconfortable, désert et froid où virevolte encore, en ce jour anniversaire de son sacre, la frêle autant qu'étonnante mémoire de Saint Louis.

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(1)     Jacques Le Goff, La naissance du purgatoire 

(2)   Comme je le lui ai entendu dire, il naquit le jour de saint Marc l’évangéliste après Pâques

(3)  Il rappelait que sa mère lui avait quelquefois déclaré qu’elle aurait mieux aimé qu’il fût mort qu’il ait commis un péché mortel.

(4)  « Nous ne mangions pas de poisson dans le camp pendant tout le carême, sinon des barbotes ; et les barbotes mangeaient les gens morts, parce que ce sont des poissons voraces. »

(5)  Le Vieux de la Montagne, celui qui entretient les Assassins »

Commentaires

Merci beaucoup pour cette idée de la conversation entre Joinville et Saint-Louis dont je n'avais aucune idée et ce "les hommes ont toujours aimé deviser" et aussi de nous permettre de vous imaginer au fond de la cathédrale Saint Jean. Ce billet n'est pas un bavardage, vous le savez bien.

Écrit par : Sophie | mardi, 30 novembre 2010

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