mercredi, 25 mai 2011
Organes
Notre conscience, bien sûr, avec ça toujours que nous ouvrons les yeux sur la lumière du monde, chatoyante, éclatante, aveuglante, reconnaissons les formes que nous prenons, au fil de l’éphémère, toi, moi, les autres, de proches en lointains, par les routes et les villes, les êtres qu’on y trouve, apparences. Ce prétexte...
Nos organes, nous qui si fermement nous croyions l’ovale d’un visage, la courbe d’un nez, la pénétration d’un regard : foie, cœur, poumons, cervelle, bien plus essentiels, chacun de ces bons potes tapis aux hameaux les plus vifs, eux et les subalternes, viscères et glandes de peu, eux tous que nous promenons en laisse dans le sac sans y songer plus que ça ; sont la race et l'espèce, le domicile fixe, pourtant, la demeure natale, la boite postale indécrottable.
D’eux l’éloignement stérile, vers eux le retour de Troie. D’eux, ni trop locataires, ni trop propriétaires, eux que nous n’appelons jamais nous. En ce lien, l’être et l’avoir hésitent, rapport tenu autant que légitime, acquis et jamais clairement décrété, comme une langue innée dont ne subsisterait que la mémoire de l’avoir chantée. Mes organes et moi ; lequel tient l’autre, consiste en l’autre, là, dans ce flux qui passe et dure de soi hier à soi demain, ce soi que nous aimons, et qui reste notre seul bien, lieu-clôt sur quel cadastre qui ne sera jamais notarié ?
Je suis moi dit cet être en contemplant son visage dans un miroir, quand son visage n’est que le signe qu’il ne comprend jamais, pas davantage que son nom, le mot qu’il prononce dans l’incertain de sa conscience.
Organes : en leur tissu, l'ultime quête de ces mots qui depuis le mythe cherchent à murmurer qui nous sommes ; lequel peut-on m’ôter, me greffer, me troquer contre un autre sans risquer de rompre le souffle de cette ressemblance, de cette imitation, de cette identité ? A partir de la privation duquel cesserai-je d’être moi ? Mais qui affirmera sans rire à l’agent de police : « Je suis ce foie, ce poumon, ce cœur, ce cerveau, cette rate ? »
06:58 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, médecine, identité |
Commentaires
Et la "voix" de l'écrivain, "organe de l'invisible" ... qui s'ingénie à capter les obscurs courants d'énergie qui circulent dans le corps (humain et social).
Qu'est-ce que la voix ? interroge saint Augustin.
"Là où il n'y a rien à comprendre, c'est une sonorité vide. La voix sans parole frappe l'oreille, elle n'édifie pas le cœur".
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
Dans les organes, il n'y a que le coeur qui a droit de cité puisqu'il symbolise les sentiments. Le reste n'est que viande infâme, productrice de sécrétions douteuses.
Les Egyptiens eux-mêmes enlevaient les organes avant de momifier. Pour des raisons pratiques, sans doute, mais aussi symboliques. Il s'agissait de conserver l'apparence extérieure en trichant sur le contenu intérieur.
Écrit par : Feuilly | mercredi, 25 mai 2011
@ Feuilly : Ah oui, mais pas de momie complète sans ses vases canopes à portée... :0)
Ce que vous appelez "viande infâme" (viande non réputée, mais justement peut-être pas assez respectée, comme le suggère Solko) m'émerveille par la complexité de son mécanisme. Évidemment, son aspect effraie (nous aimerions tellement être de purs esprits !), mais je crois qu'il n'y a pas de plus bel hommage à la vie que de l'accepter dans son entier, avec tout ce qui la (et nous) constitue, même sous ses aspects que nous jugeons peu esthétiques, triviaux et parfois gênants. Eh oui, nous sommes mortels, périssables, et nous nous périmons...
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 25 mai 2011
J'expose en fait la manière dont culturellement ces choses-là sont perçues.
Écrit par : Feuilly | mercredi, 25 mai 2011
@ Sophie K et Feuilly : Ma dentiste m'a dit un jour qu'elle parlait à ses organes. Je ne plaisante pas. Elle s'adresse à eux régulièrement, pour les choyer, dit-elle...
Imaginez un peu cela : conversation matinale avec ma rate ou mon pancréas.
Sujet d'un beau billet, si cela vous inspire.
Écrit par : solko | mercredi, 25 mai 2011
Je me demande ce que doit être la vie d'un médecin légiste, la perception qu'il a de son corps, lui qui sait comment c'est constitué, articulé, attaché, emboîté, à l'intérieur.
Et la vie de ceux qui, dans les morgues, apprêtent les cadavres.
Comme Sophie K. je m'émerveille devant la machine complexe qui pour certains ne se dérègle pas pendant plusieurs décennies. Quant à la viande, elle n'est répugnante que pour autant qu'elle abrite un être répugnant :)
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
Vous savez que j'ai écrit, lorsque par intermittence - il y a longtemps - j'ai exercé cette profession, "gardien d'amphithéâtre", un long récit sur cette question. Le seul écrivain qui, à ma connaissance, parle de dissection et établit un lien entre la littérature et l'intérieur du corps, c'est jean Reverzy (plusieurs récits dans les ouvres complètes chez Flammarion). Si j'avais du courage, ou plutôt si je croyais encore aux éditeurs, je tenterais quelque chose pour ce récit dans mes tiroirs (voir le neveu de personne). Merci de votre clin d'oeil.
Et des compliments que vous me faites à la suite du billet "convalescent".
Infâme, oui, c'est souvent un synonyme de répugnant.
Écrit par : solko | mercredi, 25 mai 2011
@ Feuilly : Mille excuses, je n'avais pas compris. :0)
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 25 mai 2011
C'est marrant l'écho qu'a eu en moi le terme "d'infâme" (sans renommée ; non réputé, rappelle Sophie). J'ai glissé vers "répugnant", qui, emprunté au latin 'repugnans, repugnantis', a un premier sens de "contradictoire", "être incompatible avec", puis prend au XVIIIe siècle sa valeur actuelle de "qui inspire un dégoût physique".
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
@Solko : Votre texte (thème) me fait penser à un extrait du film "Le décalogue" de K. Kiéslowski... Je crois que c'est au chapitre "Tu ne convoiteras pas les biens d'autrui", où il est question de timbre et de rein, (c'est terrible),l'avez vous vu ?
@Michèle : J'aurais rêvé que Pierre Schaeffer fasse don de ses oreilles à Saint Augustin, (même cinq minutes) il en aurait été émerveillé ou peut-être très perturbé jusqu'au vertige et (peut être ?) que toute sa pensée (sa parole) se serait mise à... Vaciller(?)... Enfin, quand je dis ça,je dis rien, un léger tremblement dans les cordes vocales, presque inaudible... (J'ajoute un petit bonjour en passant :)
Écrit par : frasby | mercredi, 25 mai 2011
Je n'ai pas vu, non. Mais je trouve cette idée de convoiter les organes des autres une belle invention de la modernité et un sujet littéraire, à mi chemin entre le Réel et le Surnaturel, totalement fantastique.
Un don d'oreilles à Saint-Augustin, même chose.
Écrit par : solko | mercredi, 25 mai 2011
Les réflexions de Solko qui même, s'il ne peut pas déployer ses ailes comme il le voudrait reste un homme de plume, les commentaires qu'elles suscitent révèlent,billet après billet notre rapport au corps dont on néglige l'importance pour la qualité de nos réflexions, notre objectivité à géométrie variable. Ce débat prend source dans la ville où fut publié Gargantua. Ce détail fait sourire.
je ne parle pas à mes organes, je n'ai pas les foies pour en faire une crise et mes poumons ne m'inspirent rien tant qu'ils ne font pas expirer , il sera trop tard pour vous faire part de mes sensations que je n'aurais pas le cœur de vous abreuver. Je serai tenir ma langue.
Mon échelle de sensation est curieuse. Je peux me sentir bien et même mieux. Je peux avoir mal,sentir ce mal disparaître et même mieux. il m'arrive de produire des calculs. On produit ce qu'on peut. telle est ma façon d'apporter ma pierre à l'humanité souffrante. En consultation chez mon médecin soignant (on dit médecin soignant, pour distinguer cette estimable confrérie de l’espèce des Diafoirus), je peux dire que j'ai un nouveau calcul parce que je ne ressens rien, apparemment, mais qu'il y a un changement d'état. Inversement, je peux affirmer le calcul éliminé , grâce à un soulagement d'une douleur non perçue.Notre corps nous parle de mille et une manière.Nous sommes les rejetons d'une civilisation un tantinet masochiste. Les moines qui évangélisaient avaient fait vœu d'ignorance selon Rabelais, même si les clercs apprirent les savoirs et les débats théologiques en leurs murs? Il fallait être travailleur et ne pas craindre le bucher. Il en reste des traces dans nos rapports à nous mêmes.
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 25 mai 2011
"Le soulagement d'une douleur non perçue" : bravo pour ce paradoxe qui n'est pas aussi paradoxal que ça et n'est donc ni un mauvais calcul ni une mauvaise opération. Montaigne, qui avait la gravelle, a lui aussi beaucoup parlé de ses organes dans ses essais, vous m'y faites pensé. Je retrouve ces deux citations de lui :
"L'opiniâtreté de mes pierres, spécialement en la verge, m'a parfois jeté en longues suppressions d'urine, de trois, de quatre jours : et si avant en la mort, que c'eût été folie d'espérer l'éviter, voire désirer, vu les cruels efforts que cet état m'apporte." (Livre III, chapitre IV, page 1308).
"mais est-il rien doux, au prix de cette soudaine mutation ; quand d'une douleur extrème, je viens par le vidange de ma pierre, à recouvrer, comme d'un éclair, la belle lumière de la santé" (Livre III, chapitre XIII, page 1702).
Et dans son Journal, il évoque une "pierre" : "force sable, et après une grosse pierre, dure, longue et unie, qui arresta cinq ou six heures au passage de la verge" (23 décembre 1580 à Rome)
Écrit par : solko | mercredi, 25 mai 2011
@ Frasby : Oui, je mecpronds:)
Mais vous vasez, je m'en vasi, par le michen des éloites de rem, lasuer riseu Kloso et, rus Tercains roujs, escoutailler votre Électrophone et tous les légers bremtlements dans les dorces covales, que vous voudrez bien me faire netdrene :)
Je vous salue et vous embrasse, Brysfa, chère emia.
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
@Solko : Ce verbe "convoiter, (ojutonas sel agrones) est un très beau sujet (réel) de fiction, je crois que ce film de Kieslowski vous plairait, les péchés capitaux vus par Kieslowski c'est quelque chose de très puissant, (au juset de l'hamunéti, roive même dans le chantrant) vous devriez trouver cela facilement à la bibliothèque, j'insisterai (presque) à vous le conseiller.
Sinon j'ai repensé à un livre des années 20 de Maurice Renard,"Les mains d'Orlac", adapté au cinéma, ou l'histoire d'un pianiste qui a eu un accident et on lui greffe les mains d'un assassin... (glagla), je n'en dirai pas plus mais c'est terrible...
@Michèle: très beau minche que luice des eloites de rems, la "symphonie pour un homme seul" de Pierre Schaeffer, (que je ne peux pas diffuser en entier sur tercisan oujrs), paroriut beni riafe nu derlô d'etfef aux oirelles et à l'ispret de Tanis Agistunu, tuto taunat que le icr dans le ilfm "El cive-sonclu" (d'après le morna de Grameurite Rudas)... Au corps défendant de Tanis Agistunu, à sno équope les snos negrésitrés n'exaisetint sap, même pas le crimosillon, ni le gamne-siqued, ni le maicné. Les bremtlements dans les dorces covales snot frigales masi je xuev beni sysaere de vosu les riafe netdrene, vosu vasez beni uqe ej en xupe reni sovu fureser. Je vous embrasse, chimèle, evca mno émitia.
Écrit par : frasby | vendredi, 27 mai 2011
"Le reste n'est que viande infâme, productrice de sécrétions douteuses."
Pour en dire un peu plus sur d'où vient ce regard qu'évoque Feuilly (et je viens d'entendre un écrivain faire allusion au dernier livre de Guillebaud) :
http://www.lavie.fr/culture/livres/jean-claude-guillebaud-l-homme-une-experience-ratee-04-03-2011-14605_30.php
@ Frasby : le gors de mes ganemengets étant sépas, je vais ovair un upe lups de stemp prou rivener "rile-vatrailler" sur Nertacis Rujos et(re)rile "Le Veci-Cluson" de Darus. Ej suvo sembarse.
Écrit par : Michèle | dimanche, 29 mai 2011
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