Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 29 octobre 2008

Au menuisier Zimmer

« Je l'ai chez moi depuis qu'ils l'ont sorti de la clinique »

C'est un menuisier qui parle. D’un poète : Zimmer, d'Hölderlin.

La littérature est suffisamment emplie de couples masculins calqués sur le modèle négatif de la domination  (Don Juan et Sganarelle, Jacques et son maître, Rubembré et Vautrin, Puntila et son valet Matti...) pour qu’on prenne plaisir à saluer ici un couple bâti sur un autre patron,  le couple Zimmer / Hölderlin, couple réel de surcroît, qui offre un visage plus fervent, plus spirituel, plus insolite de ce qui peut naître et exister entre deux hommes qu'à priori tout oppose : le modèle du service.

En 1807, Zimmer écrit à la mère du poète :

 holderlin3.jpg« Son esprit poétique se montre toujours actif. Ainsi, il a vu chez moi le dessin d'un temple. Il m'a dit que je devrais en faire un comme cela en bois. A quoi j'ai répliqué qu'il me fallait travailler pour gagner mon pain, que je n'étais pas assez heureux pour pouvoir vivre comme lui dans le repos philosophique. Il m'a répondu aussitôt : Hélas, je suis un pauvre homme ; et dans la minute il a écrit pour moi les vers suivants, au crayon, sur une planche :

 

 

Les lignes de la vie sont diverses

Comme les routes et les contours de montagnes

Ce que nous sommes ici, un Dieu, là-bas, peut le parfaire

Avec des harmonies et l'éternelle récompense et le repos»

 

Le menuisier Zimmer confie un peu plus tard à un visiteur, toujours à propos d'Hölderlin : « C'est sa manie de savoir qui l'a rendu fou. Jamais il n'arrive à se débarrasser de tout son savoir. »

On sent que Zimmer est fier d'Hölderlin. 

Reconnaissance de l'homme d'esprit autant que reconnaissance du patriote, car revient toujours dans les discours du menuisier la joie presque enfantine de rappeler que le poète, comme lui, est de race souabe.

La tour de Zimmer à Tübingen est presque aussi célèbre que les châteaux de Ludwig II en Bavière. Ou que le château de François-René à Combourg. Et beaucoup murmurent que c'est parce que l'un des plus grands poètes allemands y a séjourné durant les 36 dernières années de sa vie, avant d'y mourir  « tout doucement, sans véritable agonie », écrira joliment la fille de Zimmer, le 7 juin 1843.

Soit... Soit... 

On comprend ce que la fille du menuisier a voulu dire. Cela dit, un poète de la « race » d'Hölderlin peut-il mourir sans connaître « une véritable agonie »? Bien malin, par ailleurs, celui qui peut dire à quel instant de sa vie sa véritable agonie a débuté...

 

Il me plait de croire que la tour dominant le Neckar abrita une sorte de miracle assez rare dans le monde des hommes pour que ce "monument" devienne digne de mémoire : un artisan menuisier recueillant, au sortir de l'asile, un poète apatride et démuni, pour l'amour de la langue et pour celui de la Terre. Quelque chose comme une œuvre vivante, unique et lumineuse :

 

Un homme, je dis de lui, quand il est bon

Et sage, que lui faut-il ? Est-il rien

Qui suffise à une âme ? Est-il épi,

Est-il grappe à point murie qui sur terre

Poussés la nourrissent ? Tel est ainsi

Le sens. L'amante est souvent un ami, l'art

Presque tout. O toi qui m’es cher, je te dirai la vérité,

De Dédale, tu as le génie, et de la forêt

( A Zimmer, traduction de Jaccottet, Pleiade - page 1024)

 

 Et comment, écrivait Hölderlin, avant ses premières graves crises,

« Et comment des mots auraient-ils apaisé la soif de mon âme ? Des mots ! J'en trouvais partout. Partout, des nuages... Je les hais comme la mort, ces misérables compromis de quelque chose et de rien. Devant l'irréel, toute mon âme se hérisse. Ce qui ne peut m'être tout, pour l'Eternité ne m'est rien. O Bellarmin ! Où trouverons-nous l'unique chose qui donne la paix ? Et quand pourrons-nous entendre une autre fois chanter notre cœur, comme aux jours radieux de l'enfance ? »

(Hypérion, fragments Thalia)

 

 

Sur son blog Certainsjours, Frasby évoquait hier par une très belle photo le poète des Odes, dont la figure est à la fois si douloureuse et si joyeuse.

12:09 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : hölderlin, poésie, zimmer, littérature, tubïngen, hypérion | | |