vendredi, 04 novembre 2011
Il y a Limonov et Limonov
Qu’est-ce que le fils d’Hélène Carrère d’Encausse trouve donc à Limonov ? Ce que le bourgeois qui allait à la Belle Epoque s’encanailler chez Bruant, ou celui des années soixante qui bouquinait du Genet dans les chiottes devait trouver aussi : une sorte d’encrapulement mental assez malsain, d’excitation sordide à s’imaginer autrement qu’en héritier confortablement installé, une façon de jeter en imaginaire de véhéments défis à cette loi du milieu dont on sait, par ailleurs, qu’on ne pourra que la suivre, la suivre et la suivre encore jusqu’au Renaudot faute de mieux… Faute de mieux, puisque la deuxième sélection du Goncourt l’a bouté, Emmanuel, à cause de ce Limonov galeux, toujours aussi infréquentable : « mais qu’est-ce qu’Emmanuel est allé faire dans cette galère », susurra Didier Decoin. Et les gens de chez Drouot, pour punir le rejeton d’être allé s’enticher de cette « sale bête » couronnèrent Jenni et son roman (aussi sage que lointain de Paris) sur la décolonisation, qui ne casse pas trois pattes à un canard mais au moins ne mange pas de pain
J’étais cet après midi dans un Centre de distribution d’objets culturels indéterminés, à laisser vaquer mon œil dans ce naufragé du Goncourt échoué chez Théophraste. « J’ai du mal à choisir entre deux versions de ce romanesque : le terrorisme et le réseau de résistance. Carlos et Jean Moulin. » Bon. Le dilemme d’Emmanuel Carrère vaut-il celui de Rodrigue, je ne sais, mais je commence à m’ennuyer. Pourquoi appelle-t-on cela un roman ? Autrefois, on disait biographie. Et on attendait la mort des gens avant de les encercueiller ainsi dans de graves caisses en papier.
Après l’autofiction, voici donc l’ère de la biofiction, au ton aussi chiche que chic, puisqu’on l’insinue, cette bio, romancée. Mais toute bio ne l’est-elle pas, maquillée en roman ? C’est même me laissais-je dire depuis toujours ce qui fait l’intérêt des biographies, enfin passons. Et puis, qu’en sais-je, moi, pauvre lecteur provincial, si ce que Carrère raconte pages 52, 126 et 316 s’est bien passé ou non ?
Le narrateur déclare qu’à propos de son héros, salaud ou héros, « il a suspendu son jugement » S’il a suspendu son jugement, on peut aussi suspendre le nôtre, mais alors à quoi bon lire ce livre qui n’est au fond guère plus qu’un long reportage, ou un long article, à votre guise, du Nouvel Obs.
Oui, à quoi bon ce livre ?
Edward Limonov (le vrai) a atteint la moyenne d’âge des écrivains français (entre 60 et 65 ans), cette moyenne qu’il dénonçait en 1986 dans sa nouvelle, Salade niçoise. Il est devenu respectable à son tour, une version russe de tous ces « pépés et mémés », à qui (je continue à le citer) « appartient le papier». Emmanuel Carrère avoue dans l’un de ses chapitres l’avoir découvert dans les affaires de sa mère, grâce à un exemplaire dédicacé du Poète russe préfère les grands nègres. Il aurait alors ressenti une véritable jalousie de plume à la lecture des lignes du démon qui savait, lui, écrire le Réel. Cette fascination, toujours, du fils à papa inhibé par sa maman, devant le mauvais garçon qui vit lui sa libido au grand air. C’est bien connu, rien ne plait plus au bourgeois que d’être traité de pisse-froid ou d’impuissant par le prolo. La ritournelle existait déjà au temps de Bruant. Suffisant pour faire un livre aujourd’hui ? Apparemment, oui, aux dires de la critique. Pourtant, Carrère n’a pas de plume, et Limonov, le démon qu’il aurait aimé être, en a peu aussi : tiens, petit exercice, lequel a écrit cette phrase, et lequel cette autre, et, de celle produite par l’original et de celle produite par la copie, laquelle est la meilleure ?
« Kasparov devient une sorte de François Bayrou »
« Le capitaliste Bernard Tapie ressemble à Simone Signoret jeune »
18:28 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : emmanuel carrère, limonov, prix renaudot, littérature, actualité |
Commentaires
Écrit par : Natacha S. | vendredi, 04 novembre 2011
Écrit par : solko | vendredi, 04 novembre 2011
Écrit par : Natacha S. | vendredi, 04 novembre 2011
Écrit par : solko | vendredi, 04 novembre 2011
d'ailleurs un vieil adage dit qu'on ne sait reconnaitre que ce que l'on porte en soi; peut-être votre remarque est-elle simplement une manifestation de la peur que vous inspire votre propre violence. personnellement, je trouve solko plutot soft dans son approche des choses, comme quoi...me vient une pensée à ce sujet qui parlerait d'un truc comme l'espoir des désespérés, en plus fun bien entendu..mais, suis fainéant ce soir, dsl.
soit dit en passant, on peut parler d'une voix douce et être chargé de violence couvant sous la cendre.
Écrit par : gmc | samedi, 05 novembre 2011
Votre écriture, de la plus belle eau, est un véritable dissolvant des bouillies écrivaillonnes. L'ouvrage, objet de votre ire,se retrouve escamoté,sortie des rayons avant, même, d'y être entré.Son auteur est renvoyé dans les jupes de sa mère. Il en encaisse le d'Encausse, il n'a pas la carrure pour faire carrière, excepté celle d'usurpateur héréditaire.Vous le suspendez. La question de le lire ou non ne se pose pas, le plaisir de rire à votre critique suffit. Quant à Jenni et son roman, un de vos (dévot?) lecteur qui l'aurait acheté avant de vous lire, l'utilisera comme cale d'un meuble branlant, il aura,ainsi, le sentiment d'avoir acheté un ouvrage de bonne épaisseur!
Écrit par : patrick verroust | samedi, 05 novembre 2011
Écrit par : solko | samedi, 05 novembre 2011
Anecdote mon cher Solko : pendant ces vacances nous avons vidé l'appartement de ma belle-mère. C'est toujours intéressant de vider la maison d'un mort, tant de choses se révèlent. Dans un carton qui portait la mention "livres anciens à conserver" il y avait "La gerbe d'or".
Je lirai ce "vieux lyonnais" pour comparer avec notre gloire récente !
Pour celui de Carrère, je passe : le Goncourt m'a suffi. Il est vrai que des grands Goncourt il doit en être primé un par décennie... au mieux...
Écrit par : Rosa | samedi, 05 novembre 2011
Écrit par : solko | samedi, 05 novembre 2011
Vos chroniques, Solko, ont cette vertu première de donner envie de lire les livres en question.
Sans votre chronique sur le dernier roman de Lardreau, je n'en aurais sans doute pas engagé tout de suite une deuxième lecture.
Nul doute que je vais lire "Limonov", d'autant que j'en ai lu une très bonne critique de Jean-Claude Lebrun et tout cela me met en appétit. Depuis le temps aussi que je veux lire Emmanuel Carrère, sans que je l'aie jamais fait...
Écrit par : Michèle | samedi, 05 novembre 2011
Écrit par : solko | samedi, 05 novembre 2011
Mais Carrère, bon sang, je vais aller voir ça de près.
Écrit par : Michèle | samedi, 05 novembre 2011
http://pauledel.blog.lemonde.fr/2011/11/03/roger-vercel-prix-goncourt-a-dinan/
Écrit par : gmc | samedi, 05 novembre 2011
Écrit par : solko | samedi, 05 novembre 2011
Seule étrangeté (inquiétante étrangeté, devrais-je dire) : la première page de "L'Adversaire". A lire absolument tant elle est dérangeante. A la fois sublime (et je suis sans ironie) et pathétique (parce que s'y murmure une terrible violence potentielle qui donne l'impression d'être dans un moment écrit d'analyse psy...), oui, pathétique, parce que la tension retombe aussitôt et l'on se dit à la fin du livre (et pour les autres, c'est la même chose) : much ado about nothing.
Écrit par : nauher | dimanche, 06 novembre 2011
Écrit par : jeanF | mardi, 19 juin 2012
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