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samedi, 12 novembre 2011

Eléctrico W ou le roman Oulipo

 C’est l’histoire d’un homme égaré, loin de sa femme et de son enfant ; c’est l’histoire d’un narrateur entré par effraction dans sa douleur, parce que, dit-il, «on s’ennuie à crever dans le bonheur des autres » Deux échecs croisés qui se font face et à certains moments écho, comme si échouer ou réussir sa vie ne s’appréciait vraiment que par comparaison à d’autres échecs ou réussites. Durant les neuf chapitres, les personnages se livrent à un marivaudage tragique ( A – le narrateur Vincent aime B – Irène – qui aime C – Antonio, qui ne sait, lui, qui il aime). La jalousie, la rivalité, le dépit servent ainsi de ciment à des scènes de comédie au réalisme aigre-doux. « J’ai pour ceux qui échouent une complaisance fraternelle. Leurs errances excusent mes faiblesses, et je ne déteste pas que la postérité soit si injuste envers eux.  Le tort qui leur est fait m’absout de ma propre impuissance à créer, de ma paresse et de mon inconstance. »

Si les personnages de Le Tellier ne sont pas doués pour le bonheur, disons, commun de l’existence, sans doute est-ce parce que cet écrivain conserve encore en lui une vague croyance dans le destin : celui d’Antonio ne laisse pas d’évoquer Ulysse et ses trois femmes, Pénélope, Calypso, Circé, et celui de son narrateur ressemble au fleuve OKAVANGO dont il conserve une estampe chez lui, lequel fleuve, au lieu de se jeter dans l’Océan Indien, s’ensable et s’évapore dans le désert du Kalahari. Il a beau être un fleuve puissant (le troisième d’Afrique australe), il a donc raté son but, son objectif, d’où son nom « le fleuve qui ne trouve jamais la mer ». C’est « une métaphore, explique le narrateur, de l’inachèvement, de l’adversité, du but inaccessible » (p250)

Le roman se passe à Lisbonne, en 1985. Son titre, Eléctrico W, nom fictif d’une ligne de tramway, fait référence au W de Pérec et à l’Oulipo : le long de cette ligne, un petit garçon (Antonio) et une petite fille (Canard) se rencontrèrent un jour pour vivre la promesse d’une histoire d’amour à la fois lumineuse et belle ;  cela ne durera que quelques printemps. A la fin de l’Estado Novo, vers 1974, alors que règnent à Lisbonne la dictature Salazar et les trois f (Fatima, fado, football), les obstacles vont pleuvoir sur cette promesse de bonheur, à travers la violence du père menuisier de Canard, les voyages d’Antonio, et la rendront caduque à jamais. Rien, pas même l’intrusion du narrateur qui, par jalousie ou dépit amoureux tente de le reconstruire quelques onze années plus tard, ne pourra reconstruire l’édifice brisé.

Mais Le Tellier, membre on le sait de l’Oulipo, ouvre dans son roman de nombreuses autres pistes : pourchassant d’autres lignes, d’autres courbes, Vincent, le narrateur, s’invente une liaison avec une femme qui n’existe pas (Lena) pour se venger de celle qui existe (Irène), ce qui donne lieu à des scènes de comédies au second degré assez réussies.  Il compose un roman sur le mathématicien Evariste Galois et son duel avec Pescheux d’Herbinville en 1832, qui redouble la rivalité entre Antonio et lui; il traduit par ailleurs les Contes de Montestrela, dont les citations rythment (et parfois redoublent) la progression du récit. Autre clin d’œil à l’Oulipo, le livre s’achève quelques jours après la mort d’Italo Calvino, oulipien notoire à qui Hervé Le Tellier rend ainsi hommage.

Electrico W est au final un roman dont la ligne est plus sinueuse qu’il n’y paraît de prime abord. Du récit d'un destin brisé à celui d'un autre en train de se briser,  l'étrange délai qui sépare son action (1985) de son édition (2011) semble finir par le faire sortir de lui-même jusqu'à croiser le passé de son narrateur, son enfance lyonnaise, le suicide de son père, sa relation avec son frère Paul, et cette terreur finale, si tragiquement grecque et si évidemment moderne de devenir aveugle. 

 

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12:56 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hervé le tellier, eléctrico w, lattès, littérature | | |

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