lundi, 21 mai 2012
Jean-Antoine Meyrieu
Etiennette l’avait mis bas au commencement de l’automne, l’année même que naquit l’Aiglon. On sait que ce dernier vint au monde au forceps et que Marie-Louise n’eut pas d’autre enfant. Tel ne fut pas le cas d’Etiennette qui, à sa naissance, avait déjà agnelé d’une fille (Michelle), d’un garçon (Jean-Claude). Après lui s’étaient annoncés Jean-Louis, Jean-Pierre, Jean-Marie, Claudine, Jean-François, Jean-Etienne et puis un autre Jean-Marie, pour remplacer le premier, qui s’était noyé vif dans une boutasse à quatre ans. Et cela aurait pu continuer si leur père à tous, Jean-Claude, n’avait fini par s’effondrer net d’un lâcher du cœur en poussant sa charrue, non loin de la Chivas, un soir de septembre 1824, laissant la bonne Etiennette au repos. Etait survenue l’hécatombe de 1825 (Michelle qui n’avait que dix-neuf ans, Jean-Claude qui n’en avait que dix-sept, Jean-Etienne qui n’en avait que deux). Sur un coup de colère, Jean Antoine avait décidé de laisser Aveyze pour s’installer à la ville. Il s’était rendu chez un tisseur des Grandes Terres, un pelaud comme lui et tous les siens, qui avait déserté Saint-Symphorien à pieds jusqu’à Lyon vingt-cinq ans avant lui, pensant faire fortune à la nouvelle que le Premier Consul était venu jusqu’en Bellecour pour y poser la première pierre de la reconstruction des façades abattues naguère sur l’ordre de la Convention. C’est avec des chemins comme ça que s’écrivit l’histoire de France.
Louis FROISSARD (1815-1860). La Place des Minimes à Trion
Sur le chemin des Grandes Terres, qui prenait au-dessus des Minimes à Trion et se répandait jusqu’au Point du Jour, s’étaient amassés des immeubles en pisé où s'entassaient les frais débarqués des campagnes venus rejoindre la Grande Fabrique renaissante. Presque deux cents gars pour un peu plus de cent-dix filles, tous placés chez des maîtres pour ouvrager. Tous savaient compter, déchiffrer et signer leur nom. Ils avaient entre cinq et sept ans pour apprendre tout le reste. Des unis, des jacquards, des velours, en tout presque cent soixante métiers battaient là, non loin de la chapelle de Fourvière où trônait la Vierge Noire qu'ils allaient prier le dimanche. Avec son maître, Jean Antoine avait traversé les guerres du tarif de 1831, celles pour la République de 1834. Tous ces combats pour la survie lui avait appris la grande vanité des causeurs, et qu’il ne pourrait compter que sur ses bras et sur sa tête à lui. Et qu'il lui faudrait passer longtemps à croiser du fil. C'est ce qu’il avait expliqué aux cadets venus d'Aveyze qui l’avaient rejoint l’un après l’autre. Tous croiseraient le fil désormais, loin du labour des aïeux. Et d’Etiennette qui, souvent, songeait à eux.
17:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : trion, jean antoine meyrieu, lyon, littérature, canuts |
Commentaires
Quelle joie de découvrir ce texte! Merci Solko!
Écrit par : Sarah. S. | lundi, 21 mai 2012
On a toujours si bien su croiser les fils, à Lyon et ailleurs en France. Savoir faire séculaire, longtemps envié, piétiné en moins d'un siècle...
Écrit par : Sarah. S. | lundi, 21 mai 2012
Très joli texte, qui réveille ma mémoire...
Mon arrière-arrière-grand père possédait une manufacture - ce qui fait de moi une arrière petite-fille d'exploiteur, désolée ! ;)
Elle s'appelait "Schulz frères & Béraud", et je sais que certaines des réalisations faites par les croiseurs de fils de ses ateliers furent prestigieuses, notamment un manteau de cour réalisé en 1853, et offert par la ville de Lyon pour le mariage de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie. Je n'ai pas eu la chance de visiter le Musée des Tissus de Lyon, il faudra un jour que je le fasse. J'ai gardé un numéro hors-série des Dossiers de l'Art sur la soierie lyonnaise, que de merveilles sont sorties des doigts patients de tous ces tisseurs...
Écrit par : Sophie K. | mardi, 22 mai 2012
Nom d'un rat! Te voilà démasquée, ah ah ah ! Me disait ben aussi que traînaient parfois d'insupportables relents fascisants dans certains de tes commentaires!
Écrit par : solko | mardi, 22 mai 2012
Voui. Bonne pour le peloton. :D
Écrit par : Sophie K. | mardi, 22 mai 2012
Le Musée des Tissus de Lyon est rempli de merveilles (très belles pièces italiennes Renaissance en particulier), et les expositions temporaires sont toujours passionnantes.
Et n'hésitez-pas à faire un tour par l'Atelier Municipal de Passementerie, rue Richan, la visite est vraiment très instructive, et on y est très bien reçu!
Écrit par : Sarah. S. | mardi, 22 mai 2012
Le best off en matière de visite d'atelier demeurant l'atelier Mathelon (sur demande car fermé parce pas aux normes européennes),lui aussi lié à Soieries vivantes.
Écrit par : solko | mardi, 22 mai 2012
@Solko oui hélas il aurait été trop coûteux et compliqué de le faire mettre aux normes...
Et si l'on veut voir des merveilles d'aujourd'hui, il y a l'atelier-boutique de M. Ludovic de la Calle, à Saint-Georges.
Écrit par : Sarah. S. | mardi, 22 mai 2012
Noté, merci ! :)
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 23 mai 2012
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