lundi, 23 mai 2011
Laplaper
Achèvement brusque de l’aube : déjà moite, comme l’aurait décrété ce vilain mai-ci. En mastiquant une chips rance, il reluqua d’un œil morne la salopette bleue de la journaliste de LCI. Un tsunami japonais, un printemps arabe, une guerre civile ivoirienne, des frappes en Lybie, un Ben Laden à la mer, un Stauss-Kahn au placard, à présent la Palme d’or, and so, and so…
Ma vie, pensait-il, ma vie… Quelle info décisive, pour captiver vif un jour neuf, un jour de plus de sa vie ? Pour avaler le défilé d’une autre semaine, le cortège de tout un mois, tout l’an. Jusqu’à quand, tout l’an ?
Au 71 Broadway Street, la fortune d’Anne Sinclair, la quéquette de Dominique ? Las, déjà, de leurs frasques, pas dignes même d’un Second Empire. S’en ficher d’eux, comme ils s’en foutent bien de nos pommes, la bonne consigne.
Fifille Aubry récitant « que la France souffre », « que la politique n’est pas une carrière » et « qu’elle prendra ses responsabilités » ? Telle son Delors de père jadis, 94, les responsabilités en héritage, déjà l’autre siècle.
Ce que ça tourne, dis, ce que ça tourne. Tu ne dis rien ?
Un volcan au nom imprononçable, vomissant un panache de cendres ? On ne décroche pas de l’écorce terrestre comme ça, décidément. Craque d’un côté, crache de l’autre. Vrombit. Un nuage islandais, déjà l’an dernier. Et celui de Fukushima, combien de fois silencieux, circulé sur leurs têtes, en boucle, depuis ? Disent plus.
A Madrid, les djeunes campant à leur tour sur une place, tels ceux de Tunis et du Caire quelques semaines auparavant ? Bon courage, les Ibères ! Plus frondeurs que les Grecs ? Serait suffisant pour enflammer l’Europe consumériste, ces campements ? Voire… L’homme, un animal simplement mimétique. Comme des chats, se méfier.
Tandis que, les résultats de Cannes déclamés, l’écran se passionne pour ceux de Roland Garros… Ah, ah ! Noah, leur personnalité encore préférée combien d’années après ! Pfff… Même le regard bleu batracien de Jean Michel Aulas, ne comprenant pas pourquoi les virages étaient si durs avec Claude Puel à Gerland, ne le déridait plus. Même plus : à cet instant précis, tout juste songeait-il que Picard, c’est bien meilleur que Carte d’Or pour la glace au chocolat, mais que rien ne vaut quand même Häagen Dazs. L’Europe glacée.
Maintenant, un bon café.
Son regard chuta en plein dans la litière du chat, tout sauf nickel. Une grosse crotte parmi les grains blancs et bleus. Il fendit sèchement un brin de sopalin, s’accroupit pour ramasser l’excrément du félin gris dansant la queue raide, d’un coussin sur l’autre. Lui jaillit en mémoire le commencement de la deuxième partie d’Ulysse, ce dialogue entre Bloom et sa chatte pour une affaire de rognons ou de bol de lait. A la vitesse de l’embolie. Qui disait quoi, déjà ? Chercher le volume au bureau.
Dans la traduction de Larbaud, un néologisme afin d’exprimer au mieux le son de la langue d’un chat à la surface du liquide ; ça y est : « il l’écoutait laplaper». Un peu de ça à la télé, le laplap du sur-monde. Ou du sous. Du para-monde. Pas d’ici, en tous cas. Evénements défilants, qu’on finit forcément par remiser aux chiottes de l’oubli, pourquoi tant regardés ? Comme ça, se dit-il, laissant glisser la merde dure du chat dans la cuvette.
Cela fit un petit ploc, un ploc sourd, que le vacarme de la chasse engloutit.
Une histoire de viol, n’en avait-il pas entendu causer il y a de ça peu, dans le quartier de la Part-Dieu ? Une gamine que de sales collégiens avaient contrainte à plusieurs fellations non loin de la gare, à deux pas du trafic. Sous des escaliers en béton. Caillera, se répétait-il en trainant les sandales sur les tomettes du corridor, le président du FMI comme ces mômes de banlieues. La société caillera. Pas les mêmes moyens, non plus. Pas le même retentissement. Ni la même éducation, sûr ! Mais la même échelle. Morrouark, susurrerait le chat. Des crottes.
Quel sens, ces étages ou ces degrés, d’un événement, d’une petite phrase, d’un fait-divers à un autre ? Du local à l’international, comme à la carte, quel sens, leur hiérarchie, ces strates disposées d’infos, de monsieur Tout l’Monde à monsieur Plus Personne, quand les faits et les hommes qui les commettent appartiennent au même Réel, bien dense, bien compact ? Ce monde, qu’il découvrait par ses fenêtres, et qui débute tout le temps au ras de l’asphalte, cette place faite de certains bancs, certains platanes, sur laquelle trainaient quelques badauds, et que la vue étirait par-delà les laides banlieues jusqu’au loin, vers les Alpes… Se forcer à les admirer, les sommets, tenir le coup, bon sang ? Là-bas, de l’oxygène ! Ouf, pleines narines ! Mais du danger, conséquemment, oui, des crevasses, des pentes à gravir. Avalanches. Insolations. Vertige. La nature, d’avant l’environnement, le monde d’avant Hulot. Depuis Neandertal, les siècles filés sur la prudente horloge des ancêtres. Bigrement, pour ses pauvres épaules civilisées.
Epaules basses, il se fit la réflexion qu’il préférait passer la journée sur un crapaud au salon. A relire quelque Maigret. Trop tôt pour le courrier, tout ça - des prospectus ou des factures -, attendrait bien jusqu’au lendemain. Il décida de ne risquer que quelques pas sur le gravillon, maigres parmi ceux des autres, le long de la place décidément trop tôt caniculaire.
08:37 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, politique, 71 broadway street, martine aubry, roland garros, cannes, häagen dazs, ulysse |
Commentaires
Elles sont bien décrites ces pensées ingurgitées de force, pensées qui ne disent rien. Seul perdure le sentiment d'ennui qu'elles instillent.La vie, comme raccrochée au flux continu de l'information mais qui en est exclue , s'en ressent, étriquée, plongée dans un anonymat suspect. Les grands-parents écoutaient, émerveillés les postes à galène. Maintenant, la galère,partout se poste. Parler chat,soulage..et puis crotte!
Écrit par : patrick verroust | lundi, 23 mai 2011
Les gens le sentent, au fond, que ce qui les tue mentalement, c'est ce déluge qui rend passifs, inactifs. Faut vraiment parfois interrompre tout ce flux afin de (se) recréer (et oui, comme les récréations de jadis)...
(Sinon, les étés sont secs, mais les Ibères sont rudes, dirait Goscinny.)
Écrit par : Sophie K. | lundi, 23 mai 2011
"déluge qui rend passifs, inactifs" et les désigne ,insignifiants. Ce que nous sommes mais tous!
Écrit par : patrick verroust | lundi, 23 mai 2011
superbe solko.....mais il est vrai que vanille-pécan de Häagen Dazs, c'est difficilement égalable dans le monde de la distribution moderne^^
Écrit par : gmc | lundi, 23 mai 2011
@ Patrick : Non, pas tous. Nous sommes souvent impuissants, en revanche. Et l'admettre n'est pas facile. :0)
Écrit par : Sophie K. | mardi, 24 mai 2011
La seule puissance que nous avons reste le rempart de notre indifférence.
Écrit par : solko | mardi, 24 mai 2011
J'aurais dit un gouffre, mais j'ai la même conviction. :0)
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 25 mai 2011
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