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vendredi, 08 mai 2009

Pollio (2)

Si les Grecs faisaient déjà référence au mythe de l’âge d’or, et en tout premier lieu Hésiode, ce sont les Latins et, en tout premier lieu Virgile, qui l’ont inscrit avec enthousiasme dans une perception déjà expérimentée de la nature et du temps, du déroulement raisonné des saisons dans lequel ils ont conçu l’histoire de leur développement technique comme celui de leur rayonnement intellectuel. Le trait de génie de Virgile, dans cette Quatrième Bucolique, c’est bien de transformer un mythe de la déchéance (l’âge d’or est derrière nous) en mythe de la résurrection (l’âge d’or est devant nous) ; voici donc que l’Age d’Or n’est plus un âge perdu, mais un âge à venir qui s’inscrit dans un calendrier des saisons immédiates parfaitement identifié ; avec lui, le temps de l’humaine condition n’est plus, comme chez les Grecs, marqué par la précarité et la fragilité de ce qui est périssable, mais par la confiance dans le devenir futur d’une civilisation capable de se rêver immortelle.

C’est ainsi que d’un point de vue poétique, la description de cet âge d’or à venir se fond dans celle d’une expérience sensuelle – et par-là purement bucolique – de la nature telle que l’enfant la découvre au présent : belle, colorée, odorante, soumise au désir de bonheur du poète inaugural. L’enfant, quittant son berceau, rencontre un monde sans danger, c’est-à-dire civilisé, sans ronces ni serpents. Un monde à sa convenance. Dans ce monde là, la jeunesse est studieuse et l’éducation se déplie autant à l’ombre des grands récits que dans les travaux des champs. La réussite exceptionnelle de ce texte tient ainsi au lien harmonieux qu’il crée entre la perspective de la civilisation humaine et  celle du cours de la nature, du déroulement des saisons et du déroulement de l’histoire humaine soudainement confondus. A la subtile et harmonieuse correspondance qu’il institue entre ce qu’Hannah Arendt appellera bien plus tard notre concept d’histoire et notre concept de nature, pour démontrer à quel point la crise de la culture et la disparition des humanités tiennent précisément au divorce que les temps modernes prononça entre les deux. Je poursuis donc ma traduction (vers 18 à 30).

 


    At tibi prima, puer, nullo munuscula cultu
Errantes hederas passim cum baccare tellus
Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho.                      20
Ipsae lacte domum referent distenta capellae
Ubera, nec magnos metuent armenta leones;
Ipsa tibi blandos fundent cunabula flores.
Occidet et serpens, et fallax herba veneni
Occidet; Assyrium vulgo nascetur amomum.                   25
At simul heroum laudes et facta parentis
Jam legere et quae sit poteris cognoscere virtus,
Molli paulatim flavescet campus arista,
Incultisque rubens pendebit sentibus uva
Et durae quercus sudabunt roscida mella.                       30


En guise d’offrandes à ta première enfance,

La terre inculte prodiguera le lierre vagabond, le baccar odorant,

Et la colocase mêlée à la riante acanthe,

Les chevrettes s’en iront d’elles-mêmes au bercail,

Les mamelles gonflées de lait.

Et les troupeaux ne craindront plus la force des lions.

Ton berceau, de lui-même, se parera de douces fleurs.

Et mourra le serpent,

Et mourra la mauvaise herbe à poison.

L’amome syrien proliférera.

A peine seras-tu en âge de lire les louanges des héros et les hauts faits de ton père

E t d’éprouver ce qu’est la valeur

Que toute la plaine blondira d’épis sans piquants.

 Et puis la grappe rouge viendra aux ronces sauvages,

Le miel suave s’écoulera du tronc rugueux des chênes .

 

 

Commentaires

C'est un vrai bonheur de lire cette traduction. Un vrai bonheur.

La traduction est une grande question. Il n'y a pas meilleure façon de sentir la force de la langue que de voir plusieurs traductions d'un même texte premier.

Ici cependant, plus besoin d'en voir d'autres. Le charme opère très fort. C'est une vraie belle création.

D'où une question : celle du copyright, d'un minimum de protection. Qu'en est-il ?
C'est un outil tellement fabuleux, l'internet, ce partage immédiat, cette générosité.

Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 08 mai 2009

@ Michele : Vaste question que vous soulevez-là, qui dépasse de très loin mes compétences et ma petite traduction.
" L'outil fabuleux" est aussi, comme l'a déclaré récemment Alain Finkielkraut, une "vraie poubelle", dans laquelle chacun jette et chacun ramasse ce qu'il veut.
C'est d'ailleurs pourquoi je ne mets pas sur ce blog mes pièces de théâtre et romans, que je garde en mes tiroirs - mais comme je n'ai pas le temps de faire toutes les démarches auprès d'éditeurs - en qui je ne fais par ailleurs plus trop confiance-. Bref.
Tout ceci relève du vrai jeu de patience, comme le disait Louis Guilloux en son temps.

Écrit par : solko | vendredi, 08 mai 2009

@Solko :
Merci de votre réponse très édifiante.

Je me disais ce matin en me levant, l'âge d'or c'est cela, c'est pouvoir évoquer comme vous le faites, "une adolescence virgilienne", la vôtre. [Dans ce monde-là, la jeunesse est studieuse, et l'éducation se déplie autant à l'ombre des grands récits que dans les travaux des champs], c'est éprouver le plus grand bonheur à traduire la Quatrième Bucolique de Virgile. Lire cette traduction ensuite est si facile pour nous.
Merci de nous faire (re) découvrir - pour moi, c'est découvrir -cette Quatrième Bucolique, le génie de Virgile "d'imaginer le devenir d'une civilisation capable de se rêver immortelle", "la confiance dans un âge d'or à venir".

post scriptum : concernant la déclaration sur l'internet poubelle, lire dans les Carnets de JLK (je ne sais hélas pas afficher les liens) le beau dialogue sur le 1% et les 99% de l'internet.

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 09 mai 2009

Je tente le lien générique (celui de l'article je ne sais pas faire) :
http://carnetsdejlk.hautetfort.com/

C'est le 5e billet sur l'écran à la date du 8 mai. Cela pourra changer, Jean-Louis Kuffer étant en même temps qu'un grand manieur de langue (= un immense écrivain) un grand manieur d'écran (tout bouge tout le temps chez lui). Ne pas hésiter à faire défiler et puis LIRE, surtout lire.

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 09 mai 2009

@ Michèle :
Je connais le blog de JLK.
La théorie du 1%, en effet.
Sur Internet comme ailleurs (car tout ce qui est imprimé est-il pour autant sauvable ?)

Écrit par : solko | samedi, 09 mai 2009

Les commentaires sont fermés.