lundi, 04 juin 2012
Au jubilé d'Elisabeth II
Il pleut sur Londres et la Tamise est grise sur tous les écrans du monde, quand la barge royale, rouge et mordorée entame sa lente navigation. La monotonie de cette retransmission convient bien à cette grisaille d’un dimanche après-midi, tandis que cette barge royale, rouge, mordorée et escortée, n’en finit plus de traverser Londres sous une pluie battante, jusqu’au Tower Bridge où elle s’arrime. C’est le jubilé d’une reine octogénaire (il faut se méfier des octogénaires) qui para pour l’occasion sa robe et son chapeau de blanc, chipant à sa jolie bru, au centre d’une dramaturgie réglée à l’anglaise, la couleur symbolique de la jeune mariée et l’attention de tous les regards.
Jusque tard dans le soir qui vient se prolonge ce double spectacle retransmis par la BBC ; d’une part, la famille royale regardant passer un à un chacun de ces mille bateaux emplis de grappes de gens vêtus de cirés et massés sous des parapluies; ces mêmes gens, d’autre part, adressant de grands signes à cette famille royale, et tout particulièrement à cette reine aux yeux perçants, immobile, silencieuse, rusée comme un pape, figée là durant des heures, à les regarder passer les cortèges de barques, tandis que d’autres s’impatientent et s’épuisent autour d’elle. Qu’a-t-elle donc en tête ? A quoi pense ce Chef d’Etat paradoxal, incarnation de la suprême autorité politique dénuée de tout pouvoir politique, en s'emplissant des God save the Queen qui jaillissent de chaque embarcation ? Sacrée sous Truman et Auriol, elle a vu passer neuf présidents de la République française, douze des Etats Unis, et douze premiers ministres anglais, qui vinrent chaque semaine lui conter en tête à tête les histoires de leur gouvernement.
Son autorité, elle la tient de son grand-âge, de son parcours individuel, de sa saisie des choses, de sa discipline de fer, du fil de sa longue existence. Elle la tient aussi de la part de l’Histoire du monde qu’elle a vécue, à commencer par la résistance à Hitler où se ressourça la légende des Windsor. Mais où sont les Churchill, De Gaulle, Roosevelt, Staline, qu’elle a côtoyés naguère ? Survivante. Elle la tient aussi de l’action d’un empire séculaire, peuplé de crimes et de zones d’ombres. Plus loin encore dans le passé, de ce principe éternel « qui s’en va » (comme disait Chateaubriand en regardant son vieux roi Charles X prendre le chemin de Prague et de l’exil), et qui - ce jubilé festif le prouve - s’accommoda mieux de l’insularité que de la continentalité.
Sur France 2, on sentait, récurrente dans les commentaires de l’après midi, cette interrogation aussi ironique que française face à la popularité de la reine : « mais comment font-ils ? » Un journaliste ne cessait de parler d’un personnage et d’une cérémonie « décalés », comme d’un film qu’il ne comprendrait pas. Se rendait-il compte, lui, à quel point il l’était, décalé, cherchant autour de lui l’actualité de l’événement, c’est-à-dire à l’endroit même où il ne se passait pas. Un instant, une vraie question fut posée : Est-ce Elisabeth qui tient le sentiment monarchique à bout de bras dans la société anglaise, ou bien le sentiment monarchique encore vivace dans la société anglaise qui tient Elisabeth à bout de bras ? Mais comme une telle question ne peut que demeurer sans réponse en société républicaine, on passa à d’autres remarques sans intérêts.
Sur la BBC, les choses allaient de soi devant cette parade fluviale comme sortie du moyen-âge. Et l’on sentait bien à quel point il fallait être frenchie pour se poser, oui, d’aussi ineptes questions. Sur la BBC, on parlait organisation de la journée, origine des bateaux, temps qu’il fait, et de micro-trottoir en micro-trottoir, du pourquoi et du comment on s’était retrouvé là, en famille, à regarder défiler l’évidence de sa propre histoire tout en guettant le passage de our Queen, une légende vivante disent-ils.
Sur la BBC, c’était une journée historique comme il en existe trop peu : non pas parce que ce défilé de bateaux à rames devant monarque marquerait grandement l’épisode du siècle. Mais parce que la permanence des siècles passés marquait l’épisode du jour de son empreinte. Et rappelait que si l’autorité est une façon d’être bien plus éphémère et insignifiante que ne le sont les coups d’éclats du pouvoir, elle demeure, paradoxalement, bien plus signifiante et bien plus durable qu’eux.
Elisabeth en sait quelque chose : on peut le lire dans son malicieux silence devant les bateaux. Comme aurait dit Apollinaire, l’Européenne la plus moderne, c’est vous, Elisabeth…
Marylin & Elisabeth, 1956
11:34 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : jubilé, elisabeth ii, londres, bbc, monarchie, autorité, société |
Commentaires
C'est un monument historique vivant, la reine d'Angleterre. Que se passera-t-il après elle, nul ne le sait. Je pense que c'est elle qui incarne la monarchie, et que sans elle, plus rien ne sera pareil. Il y une certaine deliquescence dans la descendance, des scandales, des divorces.... Je me souviens de Margaret empêchée d'épouser l'homme qu'elle aimait parce qu'il était divorcé. Que de changement depuis lors.
Les Anglais l'aiment et la vénèrent peut-être parce qu'ils savent tout ça, bien mieux que moi.
Marylin et Elizabeth, belle photo, deux destins exceptionnels, deux femmes qui se sont rencontrées et n'avaient rien en commun, une est morte toute jeune, l'autre tient son pays dans ses mains. Elle était très belle, la jeune Elizabeth.
Écrit par : Julie des Hauts | lundi, 04 juin 2012
Oh, et c'est Victor Mature, il me semble, à côté de Marylin... Bon sang. Le temps file...
Écrit par : Sophie K. | mardi, 05 juin 2012
... Et les Victor deviennent matures.... (je crois même qu'il est mort)
Écrit par : solko | mardi, 05 juin 2012
Oui, er ist töt, le Samson... Je l'aimais bien.
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 06 juin 2012
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