mardi, 29 septembre 2009
Le prix du désir
Sans étiquettes ni code-barres, l’objet n’est plus signe que de lui-même, sous la haute verrière de la salle des ventes. Signe de lui-même et des tourments de son existence. Bois, cuir, porcelaine, étain, faïence, l’objet a retrouvé sa matière en même temps que sa race. Et sa pudeur est bouleversante sur le comptoir du commissaire priseur qui le palpe, le soupèse et l’exhibe.
L’objet n’a pour lui plus que sa naissance, sa patine, son cachet, son pedigree. Fils d’un artisan ou d’un amateur du dimanche, pauvre ou héroïque survivant, sur la banque de l’infortune. Les pros s’approchent, portable à la main, l’œil pimenté. Ils tâtent sa solitude ou lorgnent de côté, la moue aux lèvres, une poignée de mains à droite, un éclat de rire à gauche, un signe discret en faveur de l’objet, puis s’en retournent par la travée d’un pas qui traîne jusqu’à à leur place. Auprès du pape du lieu, chacun nourrit son histoire très intime, entretient un négoce particulier, comme auprès de l’instit jadis : Ne l’appelle-t-on pas Maître également ?
Une tisanière accidentée début XIXème part à cinq euros, un porte flacon en chagrin rouge du XVIIIème à 130, une tête de Saint-Denis du XVIème à 240... Cela monte et redescend selon un rythme fort élaboré qui laisse à chacun le temps de souffler. Parfois de ronfler. Saine oasis dans l'univers libéral qui nous consume : j’y retrouve mille attentions émanant de maisonnées disparues. L’objet ne se prostitue jamais complètement comme le ferait un être humain. Il respire quelques secondes, le temps qu’il lui faut pour convaincre. Sa valeur, la sienne, qu’il connaît éphémère, dans la conscience de son unicité. On l’achète souvent dans le seul souci de le revendre : mais l’objet n’est pas dupe.
Quelques secondes à peine, de pure renaissance : Dans les galeries, les kiosques, les supermarchés, les aventures de la marchandise en rayons n’auront jamais ce parfum de luxe qui rôde somptueusement sur les contours infiniment désirés de l’objet mis à l’encan.
09:18 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : enchères, écriture, objets, marchandises |
Commentaires
Alors merci!!!
Écrit par : tanguy | mardi, 29 septembre 2009
Écrit par : tanguy | mardi, 29 septembre 2009
Écrit par : Sophie L.L | mardi, 29 septembre 2009
Allez perdre un après midi à Drouot, si vous ne l'avez jamais fait. Il y a plusieurs petites salles, et des ventes quasiment tous les jours.
Écrit par : solko | mardi, 29 septembre 2009
Ca monte et ça redescend ? Comme sur une balançoire ?
Bonne soirée Solko...
(Demain la vogue ?...)
Écrit par : Frasby | mercredi, 30 septembre 2009
Vialatte vous remercie. C'est ainsi qu'Allah est grand.
Écrit par : tanguy | mercredi, 30 septembre 2009
Écrit par : Michèle | jeudi, 01 octobre 2009
Écrit par : Frasby | jeudi, 01 octobre 2009
C'est plus qu'aimable, merci. mais il va sans dire: je n'ai rien entendu!!!
Écrit par : tanguy | vendredi, 02 octobre 2009
(qui aurait cru que cette tisanière accidentée ferait tant parler d'elle !)
Écrit par : solko | vendredi, 02 octobre 2009
Quel beau billet. (Je vous lis toujours Solko et souvent vos billets m'impressionnent par leur qualité). Je préfère me taire.
Il y a aussi de la détresse dans les salles des ventes; celle d'y avoir déposé des objets qui n'atteignent même pas le prix de réserve... quand ces objets sont votre survie.
Écrit par : Ambre | vendredi, 02 octobre 2009
Merci de votre visite. Oui, je sais; la détresse d'un individu est là parfois. D'autre fois le cynisme des héritiers. D'autre fois la pure spéculation de l'un ou de l'autre. Toute la gamme des sentiments passe en sourdine derrière l'objet placé durant quelques secondes sur la banquette du commissaire priseur.
Écrit par : solko | vendredi, 02 octobre 2009
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