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mercredi, 16 juin 2010

La pédophagie de l'image

Dans La Crise de la culture, Hannah Arendt rappelle le sens du mot autorité, pris dans son acception étymologique : l’autorité est une augmentation. Une augmentation du pouvoir. Pendant longtemps, c’est la parole, celle des clercs, des poètes, des tribuns, qui a bénéficié de cette reconnaissance publique. Aujourd’hui, même si le pouvoir s’exerce toujours aussi efficacement dans la discrétion et le secret des palais et des loges, on peut constater à quel point c’est l’image et l’image seule qui est devenue l’agent de cette augmentation auprès du public. Dans certains cas même, qu’on se souvienne du « coup de boule » de Zidane, c'est une action en soi sans intérêt, faite par un type sans intérêt, mais qui, dans le contexte économique et politique d’une finale de coupe du monde, et celui du montage sémantique aussi ridicule qu’efficace depuis 98 du signifiant  « Zizou »,  s’est diffusée à la vitesse de la lumière dans l’esprit de millions des gens.

Tout ceci relève du lieu commun, du lieu le plus commun même. Nous vivons ainsi sous un régime des plus autoritaires qui soit, le régime de l’image, la société du spectacle. Et dans une société où, curieusement, chacun croit trouver dans l'image un moyen à sa portée de se  libérer.

Ainsi, l’image la plus terrifiante qui nous est imposée par cette curieuse société est celle que, par la mode, elle prétend permettre à chacun d'entre nous de donner de lui-même.

La mode qui, du temps des dandys pouvait encore permettre à un individu de marquer son originalité au sein de la communauté, est devenue la façon la plus conventionnelle que la dictature de l’image égalitaire offre à la personne - spécialement la jeune personne - pour trouver non plus sa place, mais ses contours, ses formes, son reflet dans le monde commun. Voyez ces troupeaux d’adolescents si similaires, à la déchirure de pantalon ou à la mèche de cheveux près, si conformes à ce que la société autoritaire attend désormais d’eux, tous pourtant si certains d’affirmer une originalité là où le terrorisme de la convention se saisit d’eux et de leurs illusions sans leur laisser la moindre chance, pour peu que leurs parents soient ce qu’il y a de pire au monde : d’éternels adolescents. Ainsi réifié par les bons soins de ses géniteurs qui n’ont (au sens propre) plus aucune autorité, l’adolescent des classes moyennes devient une sorte de projection – la plus conventionnelle qui soit – de leur souci constant d’intégration dans la société du spectacle. Une sorte d’enfant-sandwich, en quelque sorte, et dans tous les sens du terme puisque le voilà en effet pris entre ce qu’au fond ses parents attendent de lui (être au goût du jour, vivre sa jeunesse libérée…) et le tyran par excellence auquel il faut se plier pour être vraiment dans le rang : l’image, autoritaire et pédophage, devant laquelle il n’est plus de contestation politique possible.

 

enfantfume.jpg

08:32 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : pédophagie, politique, télévision, image, autorité | | |

Commentaires

Votre analyse est très juste de la dictature du paraître et de l'autorité de la chose vue. Je pense que les adolescents ont du mal à trouver un espace d'originalité dans une société où tout et son contraire ont été affichés.
La photo est étonnante: soit le gamin est minuscule soit le gallinacé est énorme!

Écrit par : Zoë Lucider | mercredi, 16 juin 2010

La jeunesse s'est soumise avec une docilité étonnante à la logique de la marque (et du coup j'aime beaucoup votre expression "enfant-sandwich"). Il faut être "marqué" : c'est là un signe de distinction, sans quoi on vous stigmatise (là encore une histoire de marque). Mais cette jeunesse n'a pas la moindre conscience que la prétendue liberté à choisir ce qui la représentera s'avère, dans la logique économique contemporaine, être la pire des aliénations (mais il est clair que nos têtes blondes et méchées confondent aisément liberté et émancipation...).
Quant au problème autour de l'autorité parentale : il fallait bien que mai 68 produise quelque chose !!!

Écrit par : nauher | mercredi, 16 juin 2010

@ Zoé : Il faut, je crois, prendre pour échelle de mesure la cigarette. Le gamin, dès lors, n'est pas très grand

Écrit par : solko | mercredi, 16 juin 2010

@ Nauher : 68, une cause ou une conséquence ? Vaste question. Dans son bouquin sur "la génération lyrique" (vous savez, la théme "genération", cette année...), le québecois François Ricard fait plutôt remonter le laxisme parental aux parents des babyboomers, babyboomers nés justement avec cette mission qui leur aurait été transmise par la génération précédente marquée par la crise et la guerre de "faire un monde meilleur".... On voit où tout ça mène.

Écrit par : solko | mercredi, 16 juin 2010

68 est l'apogée d'un discours lénifiant sur l'amour immodéré du prochain, une sorte de vulgate ridiculement chrétienne, la spiritualité en moins (excusez-moi, Michèle). Je vous concède que l'amour des choses (comme le montre si magistralement Perec) ne pouvait aboutir qu'à ce transfert monstrueux et lapidaire où l'être est un objet, quasiment transitionnel, dans lequel je me mire, jusqu'à le dissoudre, et que cela ne pouvait se faire qu'en substituant à la conscience politique une idéologie du progrès dont Benjamin a montré, dans ses écrits sur l'Histoire, l'insuffisance.

Écrit par : nauher | jeudi, 17 juin 2010

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