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samedi, 17 octobre 2009

Demain l'enfant

Je serai l’enfant. Demain, je trottinerai sur des pistes, de nouveau accroché à une main ; une main de nouveau plus large, plus flétrie, plus impatiente, que la mienne. Comme autrefois, une main  plus âgée que la mienne.

Je parcourrai, accroché à cette piètre bouée, une invraisemblable quantité de kilomètres à petits pas, dans les rues polluées d’une ville menaçante dont tout le passé aura été recyclé.

A quel degré de son calendrier effrayant l'humanité sera-t-elle alors parvenue ?

2060, tout au plus…

Nous parcourrons des places, des portiques, des ponts.

 

«- Et là ? Et là ? dirai-je. Et là ? ferai-je

-Je ne sais pas, me dira-t-on. Je ne sais plus. Je n’en sais rien.»

 

Me dira-t-on...  Ma mère, mon père, ou quelqu'un d'autre.

 

Nous passerons devant de très vieux bâtiments lesquels, à force d’avoir égaré leur fonction première, seront devenus tels de vieux singes au pelage mat, au regard attristé, à la truffe asséchée, mendiant la mort : Des églises reconverties en centres prétendument culturels, des hospices en hôtels de luxe, des maisons communes en résidences surveillées, des écuries en salles d’exposition, des usines en musées pour touristes des cinq continents …

 

«-Et là, dira l’enfant, et là ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’était ?

-Je ne sais pas, dira la mère. Je n’en sais plus rien. Tu m’embêtes… »

 

Partout également, des tours vertigineuses dont certaines, délabrées avant que d'être achevées, abriteront une population sous constante surveillance administrative. Dans un monde uniforme et rendu imbécile par l’incessante propagande, des milliards de gens auront appris à se plaire en écoutant de simples sons, et en s’émerveillant de quelques couleurs projetées sur des murs. A force de ne lire que des verbes sans compléments dans des phrases simples, ils se seront familiarisés avec le fait de n’ambitionner que la morne satisfaction de quelques désirs tout aussi simples, et, eux aussi, sans compléments.

 

L’extrême puissance de leur paresse les ayant définitivement mutilés, leur renoncement à tout, anesthésiés, en quoi sera-t-il même nécessaire, pour les maintenir dans un état de servilité, de les menacer de quoi que ce soit ? Ils ne se souviendront plus de rien. De rien. Aussi, quand ceux à qui leurs ébats bio-technologiques auront donné naissance les interrogeront trop longtemps sur ce qu’il en était réellement des choses et des gens du passé, ils ne pourront, en tout état de cause, que les frapper pour qu’ils se taisent, à la fin.

 

- Et là, dira l’enfant. Là ?

 

Robert_Paysage_avec_ruine.jpg
Hubert Robert 

09:52 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, écriture, demain l'enfant, solko | | |

Commentaires

" Je serai l'enfant. Demain je trottinerai sur des pistes, de nouveau accroché à une main ; une main de nouveau plus large, plus flétrie, plus impatiente que la mienne. Comme autrefois, une main plus âgée que la mienne. "

Merveille de début. Image prégnante. Une sorte de futur dans le passé ; de passé dans le futur ; passé et futur étant les deux faces d'une même espèce de présence ou d'absence. Qui pourrait jeter sur l'action à venir l'ombre d'un doute, mais non, ce n'est pas le conditionnel, c'est l'indicatif, l'indicatif futur. Ce qui va advenir. Brrr...

Écrit par : Michèle | samedi, 17 octobre 2009

C'est ça, c'est exactement ça.

Écrit par : Pascal Adam | samedi, 17 octobre 2009

On croirait voir l'enfant qui, dans "la Route" de Mac Carthy, traverse un monde en ruine, anéanti. Et il pose sur ce monde un regard naïf, se demandant à quoi tout ce qui s'offre à son regard avait bien pu servir.

Écrit par : Feuilly | dimanche, 18 octobre 2009

"des hospices en hôtels de luxe" : Ce pessimisme (?) a à voir avec ce qui se passe en ce moment, avec l'Hôtel-Dieu de Lyon. Il se peut bien que, dans les cinquante années à venir en effet, la plupart des vieux bâtiments connaissent une de ces rénovation/restructuration dont le capitalisme international a le secet. Les très riches se réservaant ce qui est beau, tandis que les très pauvres vivront dans des boites précaires et misérables.
Le plus triste étant ce qui se passe à l'intérieur : aculturation complète.

Écrit par : solko | dimanche, 18 octobre 2009

C'est difficile de commenter ce billet ici Solko, pour moi. En tout cas il m'a remué profondément. Merci.

Écrit par : Jean Lefat | dimanche, 18 octobre 2009

@ Jean Lefat : Anagrammatique ?

Écrit par : solko | dimanche, 18 octobre 2009

AH pardon. Non Solko, une boutade en direction d'une commentatrice. Et j'ai oublié de reprendre mon identité...

Écrit par : tanguy | dimanche, 18 octobre 2009

Il y a dans ce texte quelque chose de troublant.
Qui m'émeut.

Écrit par : NARDTREB | lundi, 19 octobre 2009

@ Nardtreb : Merci à vous. Et bienvenue dans la grande famille charmillonesque...

Écrit par : solko | lundi, 19 octobre 2009

Oh, mais c'est que je suis un habitué de cette honorable maison, savez- vous ?

Écrit par : NARDTREB | mardi, 20 octobre 2009

@ Nardtreb : Je le sais bien : et c'est pourquoi je me réjoui de voir que vous en parlez aussi la langue.

Écrit par : Kolso | mercredi, 21 octobre 2009

Votre texte me rappelle un livre que j'ai aimé

"à la mémoire de Schliemann de Nina Berberova

Le personnage principal n'était pas un enfant mais
Peut-être cherchait-il à le redevenir

Écrit par : librellule | dimanche, 27 février 2011

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