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mardi, 01 juillet 2008

Histoires de Gones

Le mot gone n’est plus guère revendiqué à présent que par quelques supporters de l’OL (bad gones). A propos des joueurs de l’équipe d’Aulas, un commentateur sportif peut se laisser aller à parler de « gones » ; Juninho ou Grosso, des gones ?  Voilà pourtant qui ferait se retourner dans leur tombe plus d’un Puitspelu ou autre Mami Duplateau. Au-delà de ces emplois, récurrents de nos jours, le mot gone a deux significations attestées : lyonnais d’une part ; garçon, voire enfant, de l’autre. Ces deux significations pouvant bien sûr se conjuguer : enfant ou garçon de Lyon, par opposition au titi parisien, Gavroche, Poulbot et autre gamin de Paris. Le mot est donc une marque identitaire forte.

La comparaison de plusieurs récits d’enfances lyonnaises, permet d’introduire le motif :

« A mon grand regret, écrit Marcel Grancher  (Marcel Grancher -1898/1976- publie Lyon de mon cœur en 1932 aux éditions Lugdunum), on ne me permettait pas  souvent de me mêler aux ébats de mes petits camarades de quartier. De ses ascendances bourgeoises, ma mère conservait de fâcheux principes, dont l’un des plus regrettables était qu’un enfant bien élevé ne devait pas jouer dans la rue. Je m’en trouvais réduit à regarder à travers la vitre les autres gones, enviant férocement leur bonheur ». En 1932 déjà, le mot est imprimé en italiques, afin de le signaler au lectorat comme appartenant à un lexique local.

Dans ses Chemins de solitude, autobiographie écrite avant la guerre et publiée en 1946 aux éditions Cartier, Gabriel Chevallier (1895-1969) évite soigneusement de prononcer le mot gone : Il parle plutôt de « lurons débraillés et violents », de « garnements guenilleux », de « bandits ou d’Indiens du Far-West », de « tireurs de sonnettes », ou, plus généralement, de « gamins » ou « d’enfants ». « Je ne devais pas, rappelle-t-il, me mêler aux « enfants des rues ». Evoquant de loin leurs jeux, il évoque des « bousculades vraiment viriles » et place entre guillemets le terme : « enfants des rues », comme pour surdéterminer l'évidence de la non-appartenance d'un fils de bourgeois à ce clan populaire.

C’est évidemment le contraire chez Henri Béraud  : fier d’appartenir à la tribu des gones qu’il oppose à celle des gosses : «Si bien que les gosses de riches s’en allèrent jouer ailleurs, et que Bellecour appartînt, le jeudi, en toute propriété, aux enfants de la rue. Les enfants de la rue, les gones, à vrai dire, je ne fréquentais qu’eux. (…) Nous autres, les gones, étions de la rue comme les petits croquants sont de la route. » (La Gerbe d’or, ch. 5).

On peut dire, en effet,  gosses de riches, mais pas gones de riches.

Avant de signifier le lyonnais (par opposition au parisien) le gone, c’est donc l’enfant du peuple et celui des rues. Dans son roman Dame de Lyon (Rieder, Paris, 1932)  Joseph Jolinon prête à un homme de lettres cette savante explication  à propos des deux lignées qui forment la « famille » lyonnaise :

- une première « tire d’Auvergne en Suisse allemande en passant par Saint Irénée, Bellecour, les Cordeliers, Tolozan, Brotteaux, Tête d’Or, palais de la foire » et révèle « un échantillon d’homme né la tête penchée du côté du tiroir-caisse, le cou en faux col, l’œil en diaphragme, l’oreille en écouteur, les épaules en dessus d’armoire, la bouche comme une serrure, le doigt levé comme une règle »

- D’une autre lignée toute populaire, «  tirant de Dauphiné en Beaujolais, de la Guillotière à Vaise par la Platière ou la Grand’Cote, naissent les gones, à la suite de Guignol et de Panurge, Lyonnais pour qui les petits oiseaux existent. »

C’est ainsi que l’entend également Marcel E Grancher en 1940 dans Lyon de mon cœur, déjà cité : « Si tu m’as fait grâce de me suivre, tu connais maintenant Lyon aussi bien que je le connais moi-même. Non pas le Lyon, conventionnel et inexact, des marchands avaricieux, au teint couleur de cire : le Lyon du peuple, le Lyon des gones, le Lyon qui chante, qui rit, qui pleure, qui vibre. Les premiers nommés sont sept ou huit cents – encore, chaque année, en empaille-t-on quelques-unes. Nous, nous sommes huit cent mille. »  

C’est déjà ainsi que, dans Le roman d’un vieux groléen, publié en 1909, l’entendait également Georges Champeaux qui fait dire à une fille d’ouvrier enrichie du faubourg de Vaise, cette remarque à propos de ses enfants qu’elle place dans une institution privée : « Je ne veux pas les voir fréquenter les gones de la rue ». Un roman feuilleton paru dans Le Salut Public, en 1850, emploie le terme dans ce même sens : « Georges avait dû renoncer aux batailles avec les enfants des autres paroisses, et à la vie active qui lui avait valu le surnom de Gone par excellence » (Bigot, Le Gone de Saint-Georges, 1850, ré édition Lugd, Lyon, 1995)

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photo : Willy Ronis

 Au début du vingtième siècle, tous les Lyonnais ne sont donc pas encore des gones, tous ne revendiquent pas ce terme.  Nizier du Puitspelu est peut-être le seul écrivain d’origine bourgeoise à le faire, lorsqu’il compose quelques page de son autobiographie titrée précisément Souvenir d’’un petit gone :

« La nourrice du petit gone était une bonne campagnarde du temps jadis, ne parlant que patois. ».

Mais tout le monde sait alors qui est l'architecte et écrivain Clair Tisseur. La périphrase « le petit gone » est commode pour éviter la première personne et se donner l'air de la proximité avec le peuple. On sait aussi que le vieux philologue a pour souci de sauvegarder la langue des canuts, en pleine perte de vitesse à ce moment-là. 

Nous autres les gones : l’expression de Béraud, servira de même en 1953 de titre à Monseigneur Lavarenne, dont on ne peut pas dire qu'il soit d'extraction populaire. Par ce terme générique il englobe, lui, tous les Lyonnais, ceux d’Ainay comme ceux des faubourgs et de la zone. 

Lui-même, cependant, malgré son entreprise d’évangélisation concède cet aspect historique des choses :

«Il faut dire aussi que les batailles des gones ne sont pas toujours simplement des combats singuliers. Il y a des guerres collectives, des guerres de quartier et de rue, et il y a aussi des guerres de religion ».

Dans son récit Vous êtes mon Lyon, l’honorable Albert Giuliani, qui assiste à l’une de ses conférences écrit  vers la même époque : « Alors le sénateur donne l’accolade à la soutane du frère de Guignol qui vient de nous charmer. Ce n’est pas un radical-socialiste qui embrasse un curé, c’est un gone  qui embrasse un autre  gone  ». A nouveau entre guillemets, le mot signifie à présent lyonnais. Lyonnais et ami de Guignol : il devient ainsi un terme affectif,  synonyme de compagnon (« Eh alors, gone ?  On reconnaît plus les amis ? – (Charles Exbrayat, Félicité de la Croix-Rousse)» comme de fils, et s’emploie sous cette acception dans les meilleures familles  : « mon gone » (variante de « mon grand », « mon gros », dit tendrement, après la mort de sa femme, le veuf de Tancrède de Visan à son seul héritier (Tancrède de Visan, Sous le signe du Lyon, Denoël, 1936).

Ni ce personnage, ni monseigneur Lavarenne, ni Edouard Herriot ne sont pourtant  des enfants des rues.

Mais en 1912 s’est créée la Société des Amis de Guignol qui, sous l’influence de Justin Godard,  s’est précisément donné pour but de fabriquer de toutes pièces, autour de la « lyonnaiserie » ou de l'«l’Ame lyonnaise » un sentiment collectif identitaire suffisamment puissant pour accompagner les transformations sociales, économiques et culturelles que l’entrée dans la modernité de la ville impose.  

On finira ce parcours en citant entièrement Monsieur Josse (Auguste Bleton) qui, dans A travers Lyon, retrace ce qu’évoque ce mot pour lui  et en livre une étymologie intéressante :

« Vêtu de la blouse en toute saison, du pantalon de coutil l’été, de velours l’hiver, il allait en classe avec le cartable en bandoulière et son gouter la main, faisant, de la Toussaint à Pâques, claqueter ses sabots dont l’un, généralement fêlé, sonnait à la tierce de l’autre. A la sortie, le gone installait ses jeux partout où la chaussée lui laissait un peu de place ; si la rue était trop inhospitalière, les allées de traverse devenaient une précieuse ressource. Ce n’était pas, j’en demeure d’accord, tout rose pour les passants, lorsqu’une bande organisait, par exemple, une partie de « quinet » ou en temps de gelée traçait une « glissière ». Des moralistes pouvaient aussi trouver à reprendre quand le gone, sous un beau soleil, prenait in naturalibus ses ébats en pleine eau. Un gone était un type à part, comme le furent les gens et les choses de Lyon. De nos jours, tout tend à se ressembler et se niveler, et ce ne sera bientôt plus la peine de voyager pour retrouver partout la même rue tirée au cordeau avec les mêmes maisons et les mêmes lanternes à gaz, arpentée par le même sergent de ville. Notre époque a un faible pour l’uniformité, qu’elle confond trop facilement avec l’égalité.  Dans le gone, on trouvait tout le germe du Lyonnais futur. Les enfants de chaque quartier se groupaient. Il y avait des rivalités d’école à école ; en en temps d’hostilités ouvertes, il ne faisait pas bon pour l’écolier de s’aventurer hors des frontières natales. Lorsque ces batteries avaient lieu, les bonnes gens prétendaient que c’était un présage de révolution ou de guerre.  Bien différent du gamin parisien, foncièrement gouailleur et irrévérencieux, notre gone était seulement narquois et frondeur. Malgré ses instincts batailleurs, il n’a jamais joué un rôle dans les insurrections et les mouvements populaires. Son ambition n’allait pas au-delà de tenir une place dans les joutes autrefois si fréquentes sur la Saône, et de défiler aux accords enlevants des orchestres riches en cuivres, la veste blanche au dos et l’aviron doré à la main. Resterait à rechercher l’origine de notre appellation « gone » et à déterminer le sens du mot. Gone, dans le vieux français, signifie une robe, un « enfilé », comme disait les couturières dans leur jargon professionnel. Il n’y a donc rien d’invraisemblable à ce qu’on ait dit un « gone » pour un garçon en robe : c’est un trope de même nature que « un vapeur, un piston », pour un bateau à vapeur, un cornet à piston. Nous disons toujours, entre Lyonnais, d’un individu négligé dans sa mise qu’il est mal goné. »

 

14:51 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : culture, langue française, lyon, gone, bad gones, littérature | | |

Commentaires

C'est superbe chez vous !!! on en apprend !
ce billet sur le gone m'impressionne beaucoup ...je m'endormirai moins bête ce soir,Merci .

ps:à propos ;pour la niçoise aux lardons ,pour pouvez remplacer les lardons par des saucisses de Strasbourg ,c'est bien meilleur.

Écrit par : frasby | mardi, 01 juillet 2008

Du vieux langage lyonnais, ce mot est celui qui est resté le plus vivant. Un gone. Pour combien d'autres oubliés ?

Écrit par : Jophet | dimanche, 14 décembre 2008

Je pense au très beau film de Christophe Ruggia "Le Gone du Chaâba", d'après le roman d'Azouz Begag. Je n'ai pas lu le roman, mais je connais le film plan par plan. J'en connais chaque réplique, chaque visage.

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 14 février 2009

Moi aussi, je suis "une gone", née à la Croix-Rousse en... 1929!
Je me retrouve bien dans cette affirmation de parents : "les enfants bien élevés ne jouent pas dans la rue"!! Alors, je regardais les autres enfants, dont mon amie de petite enfance, et voisine d"immeuble, Jeannine, qui jouaient à la marelle sur le trottoir de la rue Dedieu à Villeurbanne!
Et pour mon plus grand malheur, je fréquentais "l"Ecole Libre" (ultra catho!) alors que les autres allaient à "l'Ecole Communale"!!! et l'une de ces petites filles avait des parents "communistes"!!! et sa mère "faisait ses commissions .. en cheveux"!!!!
Peut-être que des "gones" de ma génération (j'ai 80 ans) se reconnaîtront dans cet état d'esprit d'avant-guerre et ont vécu les mêmes expériences???
J'aimerais bien des témoignages.
Je vis au Canada depuis 54 ans; je suis accro à internet et je me régale de tous ces
sites sur ma bone ville de Lyon. Mes dernières années à Lyon, c'était dans le 6ème, tout près du Parc! Et, entre parenthèses, j'ai beaucoup "fréquenté" ce vieux
"Loulou", la vedette à trompe du Parc avant la guerre! Et je l'ai souvent gâté avec des cacahuètes! L'autre vedette du Parc, c'était "Jojo" très irrévérencieux!!! D'ailleurs, les parents ne nous permettaient qu'un passage rapide devant la cage...
et encore, ils essayaient d'éviter ce coin, sous prétexte de trop grande affluence!!!
Mais, je m'égare... trop de souvenirs!!!

Écrit par : Gabrielle Faure | mercredi, 13 janvier 2010

@ Gabrielle Faure :
Ah Loulou ! C'est une star encore vivante dans quelques souvenirs, vous le voyez bien. Merci de ce bol d'air canadien. Revenez quand vous voulez et laissez-nous tous les souvenirs qu'il vous plait de laisser.
Nous serons nombreux à être preneurs !

Bien à vous

Écrit par : solko | mercredi, 13 janvier 2010

Votre témoignage est sympa, il me semble entendre mes 2 parents (encore vivants 84 et 86 ans) qui relatent les mêmes choses que vous, trop marrant, cela peut paraitre désuet aux yeux de nos petits enfants, ils écarquillent leurs yeux étonnés, on aime à relater aussi Guignol, ses fenottes, les équevilles, etc!!!!! mots à ne pas prononcer dans nos familles!!!! rires!!!!! c'était ainsi (je n'ai que 60 ans) et ma grand mère ne voulait pas entendre parler de "gone" disant que c'était pas bien dans la bouche d'un enfant!!!!!!
"autres temps, autres moeurs"!!!! mais c'est émouvant le respect du passé.
Bien à vous dans votre belle région d'adoption.
Salutations
d'une vraie lyonnaise (mère d'un gone et d'une fenotte!!!rires)

Écrit par : françoise | dimanche, 24 janvier 2010

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