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dimanche, 28 mars 2010

Parmi ces nouveaux hommes

C’est bizarre, il dit, ce jour où l’on a surpris pour la première fois son année de naissance gravée sur le marbre d’une tombe, il y a déjà longtemps de ça. Et puis ces autres fois encore, jusqu’à ce qu’on ait commencé à s’habituer à la rencontrer à l’autre bout du tiret, parmi les allées mal fleuries, cette date-là, la seule qui ne bouge pas. Et chaque an qu’on tournait une page du calendrier, on commença à se dire « encore une de gagnée ».

Cette sensation qu’on rencontra un beau matin, que les rues étaient peut-être à présent davantage peuplées de plus jeunes que de plus vieux que soi, et ce sentiment qui s’ensuivit, qu’on n’avait pas vu la vie couler, à cause de cette habitude à la con d’avoir finalement toujours été « le jeune » de quelqu’un, le plus jeune de quelqu’un qui sans crier gare, comme les autres, avait filé, désormais. Ce peu de regret, parmi ces nouveaux hommes.

Bizarre cette insensibilité à ce qui tranchait vif jadis, cette indifférence désormais indolore aux cris, aux événements, aux accidents qui naguère émouvaient. Cette envie presque d’en rire, comme pour rajeunir sa gorge, chien s’ébrouant à part du nombre. Cette horreur de leur routine, de leur politique. Et cet instant présent, leur cher instant, qu’ils tentent encore avec acharnement de promouvoir, tu as la conviction de plus en plus établie qu’il est factice et révolu pour sa plus grande part , et que c’est bien ainsi, qu’ainsi commence loin d'eux la meilleure part de ta sagesse.

 

olida_10.jpg

21:16 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture, poésie | | |

Commentaires

'(...) à cause de cette habitude à la con d'avoir finalement toujours été le "jeune" de quelqu'un ' : oui Solko.

Votre texte est très beau, d'une justesse inouïe. L'on eût aimé l'avoir écrit.

Et l'image.
« Allez me chercher du jambon chez Olida. Madame m’a bien recommandé que ce soit du Nev’-York. »

Écrit par : Michèle | samedi, 27 mars 2010

Oui, ce sentiment que les rues sont peuplées de personnes plus jeunes que soi est absolument inquiétant. Leur enthousiasme aussi étonne et heurte un peu notre "sagesse "désabusée. A force d'avoir tout vu, d'avoir trop vu, on se dit que sans doute il ne nous reste plus grand chose à voir.

Écrit par : Feuilly | samedi, 27 mars 2010

Relisant votre réflexion "Parmi ces nouveaux hommes", je regarde ce que vous avez écrit dans votre magnifique "BERAUD DE LYON" (CAHIER HENRI BERAUD XXI, HIVER 2009-2010), à propos de son "Lazare", roman de l'impossible résurrection dites-vous :

- Personne ne veut savoir. Personne n'interroge son mystère. Personne ne songe même qu'il puisse en porter. Personne ne remarque le moderne Lazare, ni ne comprend qu'il a vu et intériorisé lui aussi, quelque chose d'universel et de terriblement sauvage. -

- Ce qu'il est devenu, ce qu'il peut susciter à nouveau de passion, d'esprit, d'intérêt dans le monde, c'est proprement 'rien du tout' -

A l'instar de Lazare, j'ai souvent le sentiment de ne retrouver aucun de mes contemporains, comme si nous avions versé dans des mondes différents.
Et "parmi ces nouveaux hommes", que faire d'autre que "tenter de reconduire en soi de la permanence et de l'éclat vital de sa propre jeunesse" ?

Écrit par : Michèle | dimanche, 28 mars 2010

@ Feuilly : Il y a tout ça, oui. Le sentiment aussi de ne plus appartenir à la même culture, au même pays, de ne plus parler le même langage. La propagande pour "le nouveau siècle", le "nouvel homme" et la "nouvelle société" aura produit son effet.

@ Michèle : Proust aurait-il le droit de citer une marque de nos jours sans être accusé par je ne sais quelle Halde de faire de la publicité
intempestive ?
Une part de l'éclat vital de notre jeunesse fut nos lectures.

Écrit par : solko | dimanche, 28 mars 2010

Très beau texte.

Est-ce de l'insensibilité ou de l'indifférence ? Je n'y crois pas. Ne serait-ce pas plutôt de percevoir comme une fracture chez les plus jeunes que soi, voire les beaucoup plus jeunes, entre leur volonté d'afficher une énergie (technologisée et hype, comme on dit) consacrée à se montrer sous son meilleur jour et une inquiétude latente, pour ne pas dire une angoisse qu'il refuse de voir. Ne serait-ce pas que nous leur voulons de faire semblant ? Ils ne sont pas les premiers et nous-mêmes avons à faire le tri dans ce que nous avons accepté. Néanmoins, vous l'écrivez : ce culte de l'instant (et celui de la disponibilité) est très contemporain. Ils finiront par s'y perdre. Nous ne sommes pas si sages, mais, au moins, sommes-nous désenchantés, ce qui n'est pas plus mal.

Écrit par : nauher | dimanche, 28 mars 2010

Magnifique ! ce texte plus la photo font un effet terrible, "d'une justesse inouïe" (je le pique à dame Chimèle) autrement dit je kiffe à donf
Par contre ne suis pas sûre que le désabus soit lié à l'âge, peut être la sagesse ? Quoique...
Il me semble croiser chez des âgés plus d'aigreur pétrifiée que de sagesse.
Quant au désenchantement il me semble assez salutaire pour se frayer un chemin entre des impossibilités (évidemment à coups de serpettes et peut être dans une grande solitude ?)

Écrit par : Frasby | lundi, 29 mars 2010

@ Frasby Nous n'avons dans cette affaire de toute façon guère le choix : le désenchantement s'opérant, tel le passage d'une saison à l'autre, de lui-même. S'il y a une sagesse, c'est de ne rien faire ni pour devancer ni pour résister à ce passage.

@ Nauher La disponibilité, d'accord avec vous : c'est l'invention pétrifiante du monde contemporain. Permettez-moi donc de sortir de ses parenthèses ce mot que vous citez si justement.

Écrit par : solko | lundi, 29 mars 2010

Quel enseignement Solko ! à vous lire (face à votre réponse si apaisante) je me sens comme une débutante. Vous n'auriez pas suivi les cours d'Alceste, par hasard ? A l'université buissonnière sous le grand saule ? Pleureur évidemment, (mais discrètement).
Le désenchantement s'opérant d'une manière si différente pour les uns ou les autres, j'ai du mal à m'identifier à tout ce qui est du genre "tourments communs spécifiques à chaque génération". Ne pourrait-on pas traverser les saisons tout seul à l'envers ? Jusqu'à devenir des êtres désenchantés (pas le choix, c'est vrai) et qui, par cette conscience (éclairée) d'être plus en plus désenchantés, se mettraient à chanter ?

Écrit par : frasby | mardi, 30 mars 2010

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