mercredi, 01 décembre 2010
Au commencement était la neige
Si Jean Giono est le romancier de la neige, Yves Bonnefoy en est bien le poète. Le titre du recueil qu’il publie en 1991 (Début et fin de la neige) l’annonce comme une évidence : avec son commencement, sa durée, sa disparition, la neige possède bien, comme les mots, une histoire dont l'incarnation éclipse toute autre que la sienne. En quinze poèmes, Bonnefoy s'aventure à la déchiffrer
Première neige tôt ce matin. L'ocre, le vert
Se réfugient sous les arbres
Seconde vers midi. Ne demeure
De la couleur
Que les aiguilles de pin
C’est bien cela, tout d'abord, la première sensation de la neige : cet effacement progressif qui prend la forme d'une restriction du visible, immobilisant, dit le poète, le fléau de la lumière. Mais en même temps sa blancheur, qui rend le miroir vide donne à nos gestes, nos pas, nos paroles, une nouvelle lisibilité. L’enfant, dit Bonnefoy « a toute la maison pour lui », puisque les temps de neige permettent une exploration de l’instant différenciée de celle des jours ordinaires :
A ce flocon
Qui sur ma main se pose, j’ai désir
D’assurer l’éternel
En faisant de ma vie, de ma chaleur,
De mon passé, de ces jours d'à présent,
Un instant simplement : cet instant-ci, sans bornes
Illusion fugace, bien sûr. Mais illusion ô combien légitime ! Car elle assure la venue, concomitante à la sienne, de l’expérience poétique. Voilà pourquoi, en lieu et place de la construction d’un conventionnel bonhomme de neige, qui signerait une action humaine, l’enfant préfère s’enchanter de l’image qu’il saisit du manteau d’une « Vierge de Miséricorde » de neige :
« Contre ton corps
Dorment, nus,
Les êtres et les choses et tes doigts
Voilent de leur clarté ces paupières closes. »
Le monde est comme re-dit par cette neige. Le moindre accroc au silence de celui qui marche briserait la sérénité de cette comparaison. « J’avance », dit plusieurs fois le poète ; et « on dirait ». Voilà que cet enneigement du monde semble, à celui qui en écoute la chute, un art poétique. Moment de dévoilement :
« On dirait beaucoup d’e muets dans une phrase.
On sent qu’on ne leur doit
Que des ombres de métaphores. »
La neige sur laquelle nous avons avec le poète cheminé est ainsi devenue l'incarnation même du langage poétique. Sa matière visible. Nous voici à l’avant-dernier poème, à l’arrivée de la lumière. Soudainement christique, la neige, dont la présence pareille au verbe eut un commencement, va gouter dans sa chair l’expérience de la fin. Nous en serons le spectateur. Ou, plus poétiquement, l'auditeur :
« Et c’est comme entrerait au jardin celle qui
Avait bien dû rêver ce qui pourrait être,
Ce regard, ce dieu simple, sans souvenir
Du tombeau, sans pensée que le bonheur,
Sans avenir
Que sa dissipation dans le bleu du monde.
Non ne me touche pas, lui dirait-il,
Mais même dire non serait de la lumière. »
09:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : yves bonnefoy, poésie, neige, littérature |
Commentaires
Bonnefoy, un poète que je connais très mal et qui a priori ne m'attirait pas trop.
Ce que tu cites est très beau, j'imaginais une poésie plus abstraite et intello.
Écrit par : Rosa | lundi, 11 janvier 2010
Je rejoins le précédent commentaire de Rosa.
Moi qui suis fort peu porté a priori sur la poésie contemporaine (je préfère fréquenter les classiques, qui sont des "valeurs sûres"), ce petit billet me donne bien envie de découvrir l'oeuvre de Bonnefoy.
De toute façon, il me faudra bien m'y mettre, ne serait-ce que par devoir...
Cordialement,
Thomas M.
Écrit par : VexillumRegis | lundi, 11 janvier 2010
Cette "réputation" de poète difficile vient des essais théoriques -par ailleurs très beau - que Bonnefoy a écrit (l'acte et le lieu de la poésie, ente autres). Mais dès les premiers recueils, Bonnefoy s'est fait le chantre d'un certain lyrisme de la présence (des arbres, des pierres, des voix, de la parole...). Yves Bonnefoy a au moins bâti une cohérence pour son oeuvre, avec un souci de rigueur conceptuelle - ce qui après la déconstruction par les surréalistes des cadres poétiques formels était pour le moins courageux - et sans doute difficile -. Ses cours, au collège de France, ont toujours été d'une grande clarté et belle honnêteté. Le recueil sur la neige est inclus dans "ce qui fut sans lumière" (nrf poésie/poche )
Écrit par : solko | lundi, 11 janvier 2010
DE MAUVAISE FOI
Après la neige la débacle
Le printemps se recompose
En harmonies nucléaires
Autour d'un luth électrique
Après la neige l'argent
Plus de mors aux dents
Le galop immobile
Comme étalon-or de l'algarade
Avant la neige la pluie
Cendres étincelantes
Résidus poudreux comme une femme
En pleine danse du chaos
Avant la neige promenade
Sur le Caucase des troubadours
Guitare hawaïenne en prélude
Aux hakas du soleil
Pendant la neige
Qui trampoline sur ma main
Je lis dans le marc de bourgogne
Les affres du vin qui scintille
Écrit par : gmc | mercredi, 01 décembre 2010
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