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samedi, 18 avril 2009

A l'ombre des forêts

Je crois n'avoir vu qu'une seule fois - c'était à l'église Sainte Eustache à Paris -  une représentation de Phèdre vraiment sereine et enthousiasmante, en tous points réussie, une représentation qui visait à rendre le spectateur heureux. Mais pour une réussite, combien d'horreurs, combien d'impostures ? La pire Phèdre que j'ai vue, c'était dans une petite salle de Bobigny, il y a pas mal d'années de ça. L'actrice entrait nue, accrochée comme un morceau de viande à des esses de boucher qui coulissaient, en hurlant  Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! Mise en scène d'un certain Jean Michel Rabeux... Pouah !

Or, hier soir, j'ai relu le premier acte de Phèdre, et puis ces deux beaux textes à son sujet, le magnifique poème en prose d'Yves Bonnefoy, et ce court extrait de Roger Caillois. Et finalement, j'ai un peu mieux compris Musset, et son théâtre dans un fauteuil...

 


J’étais arrivé en retard. Quand je pénétrai dans la salle, la représentation en était déjà au moment fameux où la reine paraît en scène, accompagnée de sa confidente, celle qui fut sa nourrice, et prononce le premier de cette suite de vers qui ont bouleversé mon adolescence. J’entendis, comme je cherchais ma place, les yeux baissés sur les obstacles de l’ombre, attentif à ne pas heurter les genoux brillants, les mains baguées posées à plat sur des livres  

 

N’allons pas plus avant…

 

Mais sans que rien ne s’ensuive, ce qui finit par m’étonner malgré ma tension d’esprit de cette longue minute ; et je levai les yeux, la gorge serrée soudain par l’inquiétude.

La scène était nue et très obscure. On n’y distinguait que deux silhouettes, deux corps drapés de tuniques sans doute blanches, qui, courbés en avant, on aurait dit sous un poids, ne vivaient que par un grand masque pourtant lui-même aveugle, incolore, lisse de haut en bas sur le visage.

Et c’est vrai que ces comédiennes, si c’est le mot s’étaient tues. L’une en face de l’autre, par brusques poussées de leur front absent, par humbles élans de leurs bras très courts dont les mains aussi étaient cachées dans l’étoffe, elles se heurtaient, s’effleuraient plutôt, deux fourmis debout, deux servantes encombrées d’une mort ou d’une naissance. Hésitations, retraits rapides – la salle retenant son souffle, à n’en plus exister, dans la  ténèbre -, consentements à un pas soudain, dans le vide, comme une goutte d’eau longtemps amassée se détache, puis, d’un seul souffle :

 

Demeurons chère Oenone,

 

Prononça l’une des célébrantes. A près quoi, le silence se rétablit.

Des heures durant, que dis-je, des nuits et des nuits, pendant que j’écrivais, que je barrais des mots et en formais d’autres, j’assistai ainsi dans l’angoisse à la représentation de Phèdre.

 

Yves Bonnefoy, « L’origine de la parole », Rue Traversière et autres récits en rêve,, Poésie Gallimard, 1987

 

 

 

L’environnement héréditaire d’Hippolyte est la Forêt, celui de Phèdre le Labyrinthe. L’obscurité protectrice des sous-bois s’oppose aux sombres détours du repaire maudit. La forêt, pour le fils d’une Scythe, d’une Amazone, est le lieu préservé par excellence. Il y respire mieux qu’ailleurs. Il s’y plaît, s’y reconnaît. Il s’y sent heureux et libre. Aussi est-ce là que, quasi assurée de le retrouver, Phèdre aspire à se trouver soudain transportée. D’où le cri inattendu qui stupéfie Oenone : Dieux, que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !

C’est là encore qu’Hippolyte essaie en vain d’échapper au charme d’Aricie : Dans le fond des forets, votre image me suit.

Et le fait que la forêt ne suffise pas à le défendre de la séduction d’une femme lui apporte la preuve décisive qu’il est vaincu. C’est là enfin que Phèdre imagine, d’ailleurs bien à tort, que se retrouvaient les amants : Dans le fond des forets, allaient-ils se cacher ?

 

Roger Caillois, « Phèdre et la Mythologie », Obliques, II, 4 (1974)

 

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00:39 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : phèdre, roger caillois, yves bonnefoy | | |

Commentaires

Merci pour ces textes de Bonnefoy et de Caillois.
On comprend mieux le beau titre de votre billet (quand on n'a pas, comme vous, le texte de "Phèdre" en tête :-).

L'église Sainte Eustache à Paris, Bobigny, Paris VI (dans un autre billet) etc. : on repense à cet adolescent qui vivait à Paris et passait ses vacances chez les grands-parents, dans les Alpes, dans "Un Pascal dans la neige".

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 18 avril 2009

Juste ajouter que je prends bien la nouvelle " Un Pascal dans la neige", pour ce qu'elle est : un texte de fiction. Un récit.
C'est-à-dire de la littérature.

Simplement, ce site, ancré, encré dans le monde, et la ville de Lyon, et faisant logiquement la part belle à Paris, m'a ramenée à cette fiction du "Pascal dans la neige" ; allez savoir pourquoi.

Avec toutes mes excuses pour ce commentaire de mon commentaire qui nous éloigne bien de "Phèdre".

Écrit par : michèle pambrun | samedi, 18 avril 2009

Les commentaires sont fermés.