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dimanche, 19 avril 2009

Flaubert dans du formol

J’ai passé une partie de la soirée dans du formol. Curieuse sensation, à vrai dire, sur ce site Madame Bovary de l’Université de Rouen. On entre (Consulter, feuilleter, etc...) On entre et on se promène à travers les 4500 feuillets du manuscrit de Flaubert, en plaçant en vis-à-vis l’un des six brouillons du manuscrit ainsi que sa transcription. Ils s’y sont mis à 130 pour déchiffrer la calligraphie parfois difficile de Flaubert : joli travail, certes troublant, qui nous rapproche et nous éloigne à la fois du crissement de la plume sur l’original et du bel acte d’écrire à la main.

Travail aux allures de prouesse technologique et génétique, qui fait de Flaubert l’objet docile et quelque peu momifié d’une bizarre expérience : ce sont ses pages, oui, voici ses propres feuillets. Merveille et dérision de la technologie, splendeur et misère, ses pages reproduites à l’identique et se promenant d’écran en écran, de vous à moi, feuillets au vent ; les pages de Flaubert comme dans du formol en chacun de nos écrans, lui qui proclamait -comme si c’était un exploit- d’y être parvenu enfin après tant de siècles de littérature : avoir fait un livre sur rien. Rien ! Le voilà donc, ce livre sur rien, ce rien mis à la disposition des foules démocratiques. Mon doigt sur l’écran, pour se saisir des lignes, comme, enfant, mon doigt contre la vitrine de la confiserie. Mais ce n’est qu’une impression d’érudition, un simulacre de connaissance, qui épatera les imbéciles, forcément : quelques chercheurs, sans doute, y trouveront leur vrai compte ; cela sauve-t-il cette folle entreprise ? Gustave s’était-il jamais douté que son manuscrit serait ainsi pris en otage, bribe par bribe et ligne à ligne pour ne pas dire mot à mot par les forcenés de la numérisation ? En voyant toutes ces ratures, on pense au gueuloir, c’est sûr, le gueuloir du forçat de Rouen : « Je vois assez régulièrement se lever l’aurore (comme présentement), car je pousse ma besogne fort avant dans la nuit, les fenêtres ouvertes, en manches de chemise et gueulant, dans le silence du cabinet, comme un énergumène ! » écrit-il le 8 juillet 1876 à madame Brenne. Et pour peu qu’on ait à un moment donné dans sa vie fréquenté avec curiosité, passion, estime, envie ou simplement ennui ce texte magnifique (pour moi, j’avais dix-sept ans, c’était dans une petite maison d’un village de Savoie, durant des vacances de juillet - une maison demeurée comme en état, je croyais entendre les pas d’Emma sur le parquet en planches paysannes, et lire sa mélancolie dans les frises fanées de la tapisserie des chambres, et entendre les lieux communs de l’après dîner sous les tonnelles, entre l’abbé et Homais), des souvenirs de lecture peuvent émerger d’eux-mêmes. J'imagine ce fou, au treizième étage d'une tour dans une quelconque métropole du monde, devant son ordi où defilent les lignes du maître, lui aussi, vociférant, gueulant... D’eux-mêmes...  

Ci-dessous une page du manuscrit (les clichés de Homais sur Paris) et sa transcription.

 

 


flaubert.jpg

II, chap. 6 : clichés de Homais sur Paris - brouillon, vol. 2, folio 312

 

 

 

Ψ Paris sont très bien vus

1
2                     3                    les parties fines chez le traiteur
les bals masqués - le champagne. Ça va rouler
qu'ils se dérange tout cela je vous assure
- je ne le crois pas farceur, dit Léon.
objecta l'officier

Mais enfin il va
mener
mener la vie d'étudiant
du reste les étudiants à Ψ
on les recherche à cause
de leur gaité
ils vont même qqfois
trop loin

- ni moi non plus. (vivement)
ta-ta-ta
mais l'exemple. - il fera comme les autres - allez
comme ces farceurs s'en donnent dans leur quartier Latin
joyeuse
vous ne savez pas la vie qu'ils mènent - & pr peu
pr vu d'ailleurs de la et qu'ils appartiennent à une bonne famille
qu'ils aient bonne tenue, on demande pas mieux

& qu'ils sachent danser

que de les admettre dans les meilleures sociétés.
on
Car on aime beaucoup les étudiants à Paris.
pr avoir du monde dans les soirées
. - & il y a
même
qqfois des dames du faubourg st germain qui
en deviennent amoureuses ce qui leur fournit
qqf. par suite par la suite qqfois par la suite
qqfois qqfois l'occasion de faire de très riches
souvent     ensuite
qqfois
mariages.
eh bien moi              (rêvant)
- Moi je ne sais pas,  moi j'ai peur qu'il ne lui
arrive qque chose.
vous avez raison
ah c'est vrai il y a 2
- oui il y a des dangers. le revers de la médaille.

Vous êtes assis, je suppose,
dans un jardin public
quidam vous
un monsieur se met
à côté de vous accoste
il vous offrent une prise &
on cause - vous allez chez lui
peu à peu vous vous liez.
on*


on est entouré de toutes sortes de pièges. filous
& il faut toujours prendre garde à son argent.
qui ont des équipages bien mis comme vous
je suppose & qu'on prendrait pr des diplomates
& moi - décorés, vous affirment,  vous invitent.
à leur maison de campagnes - des raouts qui me sont pas
mal du tout
à dîner, - & tout cela qqfois pr vous voler
un
votre bourse ou se faire payer le café.
vous entraîner à des démarches
compromettantes
- mais non, ce n'est pas ça. - j'ai peur des
fièvres typhoïdes ce qui arrive ordinairement
aux étudiants de première année.
- je crois que ça vient de l'abus de la charcuiterie
& des mets de restaurant
les viandes salées. - la nourriture de
restaurant - toutes ces nourritures épicées
vous
finissent par échauffer le sang.

 

 

Commentaires

Blog très intéressant. Sujets passionnants. Belle écriture.

Écrit par : Meriem | dimanche, 19 avril 2009

C'est tout de même émouvant de voir ce manuscrit, ces ratures... Le corps de Flaubert (prenez et mangez !) la pâture. (Ratures = ruse art ?) il y aura toujours quelque chose d'imprenable dans le manuscrit (le rusart héhé!) c'est cela la différence entre l'écriture manuscrite et l'écriture clavier. (en fait la vraie écriture, tapée, c'est le manuscrit)
ici le gueuloir de l'autre un butoir... ? Il faut penser à ce truc qui échappe. Je suis bien d'accord avec votre billet, (beau passage que celui du gueuloir") mais un artiste dès lors qu'il décide de se montrer, doit sûrement savoir qu'en matière de postérité, l'oeuvre courant toute seule sur ses petites pattes s'éloignera un jour des intentions de son auteur. Ce n'est pas le formol qui est euffrax, c'est qu'on puisse croire que le formol c'est l'oeuvre. que le formol c'est l'art. La culture même la plus (soit disant) subversive sera toujours une sorte d'anti-gueuloir même si elle se pâme devant un gueuloir, c'est bien le rapaxode. Enfin, je voutre...

Écrit par : Frasby | dimanche, 19 avril 2009

Et il a donné ça comme ça à l'imprimeur, Gustave ?

Écrit par : Pascal Adam | dimanche, 19 avril 2009

Madame Bovary, lue " (à) dix-sept ans, durant des vacances de juillet, dans une petite maison d'un village de Savoie ... où (je croyais) entendre les pas d'Emma sur le parquet en planches paysannes, et lire sa mélancolie dans les frises fanées de la tapisserie des chambres, et entendre les lieux communs de l'après dîner sous les tonnelles... "

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 19 avril 2009

écrit-il le 8 juillet 1976 à madame Brenne...

Hélas, c'était en 1876, sinon j'aurais été saluer le maître.

Écrit par : Feuilly | dimanche, 19 avril 2009

@ Meriem : Merci et bienvenue sur ce blog.

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

@ Feuilly : Lapsus, aurait dirait Freud : J'aurais pu le rencontrer moi itou !

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

@ Pascal : 6 brouillons, je crois, avant celui du copiste...

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

Ouh la, j'ai envie d'aller regarder ce site et pas envie. (Bon, on s'en fout; du moment que Lyon gagne ce soir...! )Solko, bonne soirée.

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 19 avril 2009

Cher Solko,

" Mais ce n’est qu’une impression d’érudition, un simulacre de connaissance, qui épatera les imbéciles, "

Savez-vous que pour cette belle phrase de votre cru on vous accuse par ailleurs de m'avoir plagié pour viser une internaute souffrant d'une hypertrophie du moi et voyant partout, dès qu'on prononce le mot "imbécile", une foudre dirigée contre elle son auguste sensibilité ?

Je trouve honnête, si vous en étiez dans l'ignorance, de vous le faire savoir.
Parce que je sais bien que, pas plus que ma phrase à moi ne s'adressait à cette personne, pas plus votre assertion ici ne vise quelqu'un en particulier...Mais hélas, la rumeur, tenace, cette rumeur aux antipodes de la cordialité et de la communication, c'est comme le crabe...ça migre très vite et ça fait mal.

Ceci étant dit, votre billet est d'une tenue qui fait du bien, d'un très beau contenu qui fait plaisir à lire pour un dévoreur de Flaubert comme moi.
Quant à l'ami Feuilly, pas sûr qu'en 1976, il n'était pas encore en culottes courtes....
Cordialement

Écrit par : Bertrand | mardi, 21 avril 2009

En 1976? Non, non, quand même. J'étais grand adolescent aux cheveux longs.

Écrit par : Feuilly | mardi, 21 avril 2009

-Sourire-
Je ne connais pas la personne dont vous parlez (et ne souhaite pas la connaître), j'aime beaucoup ce que vous (en) dites.

Écrit par : Meriem | mardi, 21 avril 2009

Meriem, vous ne connaissez pas votre bonheur ! (sourire)

Feuilly, y a t-il une antinomie que j'ignorerais entre les culottes courtes et les cheveux longs ?
T'en souvient-il du tube de cet imbécile de Johnny Al'idée ?
Je te chambre, bien sûr...
Amicalement

Écrit par : Bertrand | mercredi, 22 avril 2009

"Ma mère me dit Antoine fais-toi couper les ch'veux..."
Et ce serait quoi alors de Al'idée ?

Écrit par : michèle pambrun | mercredi, 22 avril 2009

"Cheveux longs et idées courtes" , espèce de simulacre de polémique entre cet imbécile et Antoine, justement...
Oh, zut, j'ai écrit le mot "imbécile"..
Je vais encore m'attirer des foudres !

Écrit par : Bertrand | mercredi, 22 avril 2009

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