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samedi, 17 décembre 2011

Le cas Sneijder de Jean Paul Dubois

Monter ou descendre dans la hiérarchie sociale, dans l’estime de ses proches ; être un dominant ou un dominé, ou les deux à la fois ; monter en puissance ou se perdre en chute libre : le dernier roman de Jean Paul Dubois , Le Cas Sneijder mérite d’être lu et relu pour ce qu’il est, une sorte de fable philosophique sur la société post-moderne qu’aura pourrie l’individualisme de ses composants.

Revenu d’un coma après la terrible chute ascenseur du 28ème étage d’un immeuble situé sur Saint-Antoine » (p 42) dans lequel il a perdu sa fille, le narrateur, Paul Sneijder, « soumis à une imperceptible modification » (p 127) et à « une perception plus affinée de la réalité » (p 61) se met à voir « le mécanisme de nos vies d’une autre perspective », à « devenir attentif » des humains, un peu à la manière des chiens qu’il promène dans le cadre de son nouveau job à Montréal (dog walker).  Il sent dans l’air « quelque chose d’enfiévré, d’hystérique », qu’il appelle « une sauvagerie latente, un affolement de la vie » (p 61), dont il tente de se tenir dorénavant écarté.

C’est ainsi qu’il rejoint le point d’observation si historiquement et intrinsèquement littéraire du persan, du naïf, de l'étranger, du candide, du décalé dirions-nous aujourd’hui. Il découvre alors « qu’on ne construit pas un ascenseur autour d’un immeuble, mais un immeuble autour d’un ascenseur »(p 53), et que cet instrument du hasardeux destin est au centre de tout  le dispositif familial et social qui l’entoure.  L’ascenseur, responsable de son traumatisme concret, l’est en effet de façon plus maligne des nôtres, plus diffus : véritables métaphores d’un monde « de ruses, de mensonges, de leurres » (p 172), les ascenseurs « nous élèvent mais aussi nous dressent les uns contre les autres » (p 127). Principe organisateur de la norme urbaine du monde moderne en ce sens qu’il gère sa verticalité, l’ascenseur est bel et bien « un objet sous évalué et sous estimé » (p 109) : grâce à lui, « ce qui était dispersé est désormais concentré » (p 111), sans lui, « plus de verticalité, plus de densité ». C’est lui qui a fait l’agrégat de ce monde déréglé dans lequel on accepte de tenir sur 0,18 m2 pour grimper de quelques étages. Lui aussi, rajoute Sjneider, « qui a tué ma fille » : (p 112)

D’où le cas Sneijder ou la folie Sneijder, qui rêve un instant de créer « une thrombose » afin d'arrêter le flux de ces ascenseurs qui «transportent tous les cinq jours l’équivalent de la population de la planète » (p 55). Et qui s’observe jour après jour, non sans délice, en train de mettre en scène sa propre dégringolade sociale, au grand dam de sa femme qui passe son temps à lui conseiller « d’aller voir quelqu’un» et de ses fils, deux jumeaux aussi vaniteux qu'insignifiants, que leur mère a castrés. Devenu à la fin de cette vertigineuse dégringolade un « minable », Paul Sneijder «déclaré inapte» et placé sous tutelle par ces trois personnages pour lesquels à aucun moment le lecteur n’est invité à ressentir la moindre empathie envisage de rejoindre enfin sa fille.

« Ce sont les gens, bien plus que les immeubles, qui me posent problème» (p 61), confesse malicieusement ce héros narrateur au détour de l’une de ses introspections ceux qui « puisent dans leur vie comme dans une caisse à outils », à l’image de sa femme qui, chaque fois qu’elle « se fait baiser par son amant » lui «ramène un poulet fermier » (p 49). Parmi eux, il n’y a d’autre recours semble-t-il,  que de mordre ou d’être mordu, de monter ou de descendre, à moins de passer « par perte et profits » comme Nicholas White, ce journaliste à Business Work de 34 ans oublié durant un week-end entier dans un ascenseur .

Paul Sjneider, soixante ans, n’oublie rien de ce qu’il a vécu parmi eux, et à plusieurs reprises se rend compte que c’est bien ça le fond de son problème : il voudrait « trancher dans le passé avec un hachoir de boucher » (p 33), il « aimerait appartenir à une espèce amnésique»  (p 62) mais sa mémoire est  hélas « ignifugée » depuis l’accident du 4 janvier 2011.

Le cas Sjneider s’ouvre et se ferme sur les cadavres de cinq mille oiseaux (des carouges à épaulettes) et ceux de cent mille poissons (des tambours ocellés) qui firent récemment l’actualité : c'est une comédie noire sur la vie familiale en occident post-moderne, une fable caustique sur la place précieuse tout autant qu’insignifiante qu’occupe parmi tant d’autres une seule vie humaine, une méditation nostalgique sur la part d'étrangeté meurtrière contenue en chacun d'entre nous. A plus d'un titre, un livre à lire.

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19:48 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le cas sneijder, jean paul dubois, montréal, ascenseur, littérature, actualité | | |

Commentaires

J'ai lu ce livre il y a trois ou quatre semaines et je l'ai beaucoup apprécié. C'est l'incipit qui m'a fait me décider et puis une écriture limpide et forte. D'entrée. Voilà un personnage, Paul Sneijder (je souris au souvenir de la parenthèse d'embauche -je ne dévoilerai pas ce dont il s'agit -, ce "patron" qui n'arrivait pas à retenir son nom), qui vous habite d'emblée.
C'est un livre qu'on peut offrir sans risque de se planter, me semble-t-il. J'ai découvert que Jean-Paul Dubois avait pas mal écrit. Son Femina "Une vie française" m'avait tenue éloignée de lui. Je pense qu'après "Le cas Sneijder", je lirai d'autres romans de lui...

Écrit par : Michèle | samedi, 17 décembre 2011

Je viens de lire attentivement votre chronique (n'ai pu m'empêcher de dire avant, le plaisir à avoir lu ce livre).
Votre chronique est, comme d'habitude, d'une belle pertinence.

On revient sur cette question d'Internet. Vous nous offrez ce travail, alors que les critiques littéraires publiant dans les journaux reçoivent une rémunération.

Écrit par : Michèle | samedi, 17 décembre 2011

Vous mettez en appétit, je vais abandonner un moment l'esprit de l'escalier pour passer un moment avec cet ascenseur.

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 18 décembre 2011

Vous mettez en appétit, je vais abandonner un moment l'esprit de l'escalier pour passer un moment avec cet ascenseur.

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 18 décembre 2011

C'est prendre des risques que d'abandonner les escaliers pour l'ascenseur. En tout cas c'est tout ce que le roman démontre: s'il y a "un esprit d'ascenseur", il faut s'en tenir sauf soigneusement.

Écrit par : solko | dimanche, 18 décembre 2011

Cette notion de verticalité, au coeur de la vie de l'homme moderne, on la retrouve dans "Un certain Pétrovitch" de Fabrice Lardreau. (cf le personnage de Chapuis en particulier).
Et le héros (anti-héros) Patrick Platon Pétrovitch dit lui aussi, en parlant du ficus de madame Estrosa, que le bâtiment est construit autour ("Imaginez un arbre et construisez un bâtiment autour").

Écrit par : Michèle | dimanche, 18 décembre 2011

Oui c'est vrai que les fictions de Lardreau et Dubois ont en commun le fait d'être deux fables, deux apologues assez grinçants sur le monde moderne.

Écrit par : solko | dimanche, 18 décembre 2011

C'était la minute "esprit d'escalier", pensée marabout bout de ficelle, menant de patrick verroust à patrick platon et vice-versa (mais pas dans le vice versa). Bouh ! :)

Écrit par : Michèle | dimanche, 18 décembre 2011

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