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lundi, 04 mai 2009

Victor Serge & les procès de Moscou

Entre Victor Serge (1890-1946) et Jean Galtier-Boissière (1891-1966), je n’aurais à priori jamais cru qu’il y eut le moindre lien. Or en feuilletant les Mémoires d’un Parisien (tome II, chapitre 44), je découvre que Galtier-Boissière rapporte assez longuement la relation épistolaire qu’il a nourrie avec Victor Serge, alors réfugié à Ixelles en Belgique, durant l’année1936, lorsqu’il confia à ce dernier la rédaction d’un numéro du Crapouillot, « De Lénine à Staline », qui parut en janvier 1937.

« Jamais, écrit Galtier-Boissière, je n’ai eu affaire à un collaborateur aussi ponctuel et aussi maître de sa plume. Il tint exactement ses engagements et le numéro parut à l’heure dite ». En raison de cet article qui dénonçait la dictature stalinienne, les purges et les exécutions arbitraires de 36 (Zinoviev, Kamenev, Smirnov…), le projet totalitaire de Staline (déjà dénoncé tel un fou, un dictateur et un sanguinaire), l’Humanité de l’époque mena contre Victor Serge une de ces campagnes dont ce journal, au même titre que d’autres, eut le triste secret lorsque ses intérêts idéologiques étaient en jeu.

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Victor Serge

 

 


Jacques Sadoul, avocat socialiste et collaborateur d’Albert Thomas, accessoirement journaliste, y écrivait à propos de Victor Serge ces lignes: « Ce criminel mal repenti ne fut jamais autre chose qu’un valet de la plume. Il devait finalement révéler tôt ou tard son incapacité à servir honnêtement et sincèrement la cause révolutionnaire. Il est logique qu’après avoir vendu sa plume à la bande tragique de Bonnot, (1) il l’ait vendue à la bande de Trotski. »

Les écrits politiques de Victor Serge, et notamment ce fameux Destin d’une Révolution, se trouvent à présent en collection Bouquins, dans une excellente édition de Jean Rière et Jil Silberstein. Quelques lignes de Victor SERGE :

« Nous fondâmes à Paris, avec le poète surréaliste André Breton, le pacifiste Félicien Challaye, le poète Marcel Martinet, des socialistes comme Magdeleine Paz et André Phillip, des écrivains comme Henri Poulaille et Jean Galtier-Boissière, des militants ouvriers comme Pierre Monatte, Alfred Rosmer, des publicistes de gauche tels que Georges Pioch, Maurice Wullens, Emery, les historiens Georges Michon et Dommanget, un « Comité pour l’enquête sur les procès de Moscou et pour la défense de la liberté d’opinion dans la révolution ». Je fis admettre ce long titre en soutenant dès l’été 36 que nous aurions à défendre aussi, au sein de la révolution espagnole, des hommes dont le totalitarisme russe tenterait de se défaire à Madrid et à Barcelone par les mêmes moyens de l’imposture et de l’assassinat ».

Dans une pré-édition de Destin d’une révolution qui parut chez Grasset en 1937, Serge inclut cette citation de Charles Péguy  : « Qui ne gueule pas la vérité quand il sait la vérité se fait le complice des menteurs et des faussaires ». Outre ces écrits politiques, ce volume de la collection Bouquins contient également les écrits autobiographiques, dont ses Mémoires, qui débutent par ce paragraphe  : « Dès avant même de sortir de l’enfance, il me semble que j’eus, très net, ce sentiment qui devait me dominer pendant toute la première partie de ma vie : celui de vivre dans un monde sans évasion possible où il ne restait qu’à se battre pour une évasion impossible. J’éprouvais une sorte d’aversion mêlée de colère et d’indignation pour les hommes que je voyais s’y installer confortablement. Comment pouvaient-ils ignorer leur captivité ? Comment pouvaient-ils ignorer leur iniquité ? Cela tenait, je le vois aujourd’hui, à ma formation d’immigrés révolutionnaires jetés dans les grandes villes d’Occident par les premiers ouragans des Russies».

J’y pioche également cette autre, décrivant le début de l’exode des parisiens, en juin 40, et celui de Victor Serge, parti se réfugier chez Jean Giono (2) :

« La fin de Paris, c’est la fin du monde : on a beau être lucide, comment l’admettre ? Le dimanche 9 juin 1940, je vois des ministères déménager. Des automobiles couvertes de matelas et surchargées de malles filent vers les portes du sud. Des magasins se ferment. Le Paris des derniers soirs est splendide. Ses grands boulevards déserts entrent dans la nuit avec une noblesse extraordinaire. Les gens sont calmes aussi, beaucoup plus forts dans le désastre qu’ils ne le paraissaient auparavant. L’idée vient qu’ils n’ont pas mérité ce désastre – l’histoire a joué contre eux, et le gouvernement de ce peuple était si différent de ce peuple ! Qu’est-ce qu’il y pouvait, l’homme de la rue, si la métallurgie française crevait doucement, faute d’investissements ? Ce n’est pas lui qui tient les capitaux »

(Mémoires d’un révolutionnaire, « La défaite de l’occident »)

Victor Serge est mort à Mexico, dans un taxi, en novembre 1947 : mort significative pour cet homme qui courut l’Europe comme Albert Londres et Henri Béraud, dont il fut de quelques années le cadet, et qui clôt ses mémoires par une remarque similaire aux leurs  : "Les hommes de ma génération, nés vers 1890, surtout les Européens, n'échappent pas à la sensation d'avoir vécu sur une frontière, à la fin d'un monde, au commencement d'un autre monde. Le tournant d'un siècle à l'autre a été vertigineux. Je me souviens de mon émerveillement d'enfant à voir passer dans la rue les premières voitures sans chevaux. J'ai connu l'éclairage des demeures au pétrole, puis au gaz, l'électricité ne pénétrant encore que dans les intérieurs riches...".

 

 

(1) Alors journaliste à L’Anarchie, Victor Serge prit la défense de Jules Bonnot et de sa bande. Sympathie de plume pour laquelle il passa cinq ans à la prison de Melun en isolement cellulaire avec travail forcé de jour. Il fut libéré en janvier 1917.

(2) Victor Serge trouvera une poignée de gendarmes devant une porte close, Giono ayant été arrêté depuis 1939 pour ses prises de position pacifiques.

Commentaires

J'avais entendu parler de Victor Serge, comme un grand combattant -avec Trotsky, dont il était très proche, non? -même marchand de lunettes on dirait d'ailleurs sur la photo- du stalisnisme, mais sans penser qu'il pouvait citer Péguy et je n'avais jamais entendu parler de Galtier-Boissière, alors là merci. (Décidément cette collection Bouquins elle renferme des trésors). Bonne journée Solko, bonne journée!

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 04 mai 2009

@ Sophie : Serge oui, fut proche de Trotsky et un des plus acharnés dénonciateurs de Staline.
Galtier Boissière, oui, patron du Crapouillot, compagnon de route de Béraud jusqu'en 1934, et l'un de ses défenseurs en 44.

Écrit par : solko | lundi, 04 mai 2009

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