mardi, 26 octobre 2010
La ligne blanche,
Me disait-il. Il y avait naguère comme deux mondes antagonistes, aussi faux l’un que l’autre mais qui s’équilibraient l’un l’autre et permettaient aux gens de vivre dans un espace commun. Mais désormais, il n’y a rien, qu’une ligne droite, cette ligne tracée par le capitalisme, comme une ligne de fuite, et que tous suivent. Et de chaque côté de la ligne, plus rien n’est éclairé, ni derrière, ni devant, alors ils vont.
Continuait-il
Il a fait toutes les manifs et ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il n’est pas dans l’auto-persuasion ni dans la fierté ou le moralisme de tant d’autres, ni dans leur machinisme, mais… « ça va arriver, me dit-il, ça peut arriver à n’importe quel moment, cette chose (il frotte le bout de ses pouces contre les phalanges de ses index) – quoi ? Le grand soir, je fais, presque ironique ?
Mais c’est à cause de cette ligne, qu’il me répond, il ne peut pas encore pendant des années n’y avoir qu’elle, tu vois, il la figure avec ses deux mains parallèles, d’un geste vif devant son visage vers le mien - je vois - alors je te dis pas que ça va se passer comme ça, jeudi ou la semaine prochaine, mais ce qui est sûr, c’est que ça va a-de-ve-nir, parce que ça dépasse complètement cette histoire de retraites et ni Sarkozy ni les soc'es, n’y peuvent mais, ni les syndicats non plus, ça va arriver à cause de cette ligne qui trace comme un cheval sans guide, qui ne sait plus où elle va, qui peut pas continuer comme ça…
Si, le mur, je pense. C’est peut-être ça qu’il veut dire. L'envie. Et qu’avant de rentrer dedans, plutôt que d’entendre crisser les pneus sur le grain du goudron toute sa vie, une stridence à s’en crever l’ouïe, c’est sauter de la bagnole qu’il faudrait, d'un coup, le laisser se viander comme un vieux machin en tôle qui vaut pas plus qu'une bagnole, le système, et manger l'asphalte, c'est comme ça qu'on dit ? mordre la poussière ? oui, non, sait-il ? sais-je ? qui sait …
18:42 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, littérature, france, société, actualité, réforme, retraites |
Commentaires
Magnifique illustration, en attendant...
Écrit par : thomas p | mardi, 26 octobre 2010
Mais je suis bien d'accord, cela ne peut plus continuer comme cela. Il se passera forcément quelque chose un jour. Mais "ils" seront assez malins pour nous mettre une guerre sur le dos, histoire de nous faire oublier nos légitimes revendications et relancer l'économie du même coup.
Écrit par : Feuilly | mardi, 26 octobre 2010
Très beau texte, merci ! avec une illustration magnifique.
Que dire de plus ? Le suspens est intenable. Insoutenable ?
Ca me fait penser aux atmosphères sourdes, lourdes, chose indéfinissable, menaçante, chose larvée que l'on retrouve aussi dans un tout autre style, chez Julien Gracq, quelque chose va advenir, on en est sûr, c'est là, ça approche, on le "sent" "Ca peut arriver à n'importe quel moment cette chose"... Quelle chose ? Est ce qu'on l'attend ?
Écrit par : frasby | mercredi, 27 octobre 2010
Je confirme : texte très fort, d'une lucidité déconcertante.Du grand Solko !
Et la référence à Julien Gracq de Frasby si juste...
On est, un peu, dans cette situation tendue d'avant l'orage. Ciel blanc, pas un bruit, pas un oiseau dans les nuages, pas un souffle de vent.
Quand " Le temps écoute".
Écrit par : Bertrand | mercredi, 27 octobre 2010
Et pourtant, cela pourrait durer encore, si longuement... Ce n'est pas impossible que le temps reste figé encore dans un F3, entre le divan et la télé. La télécommande a des piles pour de longs mois, voire des années, zapping, désinformation, rien d'inconfortable vraiment. Quand nous aurons faim, oui, peut-être...
Écrit par : Natacha S. | mercredi, 27 octobre 2010
Mais je ne comprends rien ce soir. Où avez-vous vu tous que les choses sont figées, dans l'attente d'autre chose? Mais c'est dingue ça! C'est vous qui êtes figés ma parole ou quoi!
Écrit par : Sophie | mercredi, 27 octobre 2010
@ Thomas : Points de suspension lourds de sens !
@ Feuilly : La "tradition de la guerre" n'est-elle pas passée ? Une guerre civile, peut-être. Sinon, il existe d'autres moyens. Je crains que ces gens soient très imaginatifs.
@ Frasby : Gracq ? J'ai honte. Je n'ai jamais rien lu jusqu'au bout... Vous me faite spenser qu'il me faut réparer un jour cette erreur.
@ Bertrand : "Le temps écoute"... Magnifique !
@ Natacha : Vous allez plomber le moral de tout le monde avec votre télécommande !
@ Sophie : Je ne sais pas. Je ne faisais dans ce texte que rapporter des propos tel que je les avais perçus à travers mon ressenti. Or j'ai toujours ressenti qu'un jour, j'allais voir cette société se flanquer par terre. Mais quand ? Là est le hic. Natacha a raison : ça peut durer encore un certain temps...
Écrit par : solko | mercredi, 27 octobre 2010
Si j'ai pensé moi aussi que ce type de société s'écroulerait un jour, il y a longtemps que je n'y crois plus.La grande force du capitalisme (pour faire court) c'est qu'il sait se nourrir de ses propres erreurs. Il ne reste qu'une seule solution, essayer de vivre entre ses "mailles". Mon optimisme c'est que ces mailles sont assez larges pour accueillir nos Arches de Nöe.
Écrit par : Corboland78 | jeudi, 28 octobre 2010
Vous êtes dans les patates, vous avez oublié la limitation ou couac mais vous êtes si sage Solko je sais.
PS:Je vague a mes occupations,il faut que je trouve ce livre mais vous ne saurez pas lequel na!je suis sur que vous voudriez le lire hi!hi!
Bonne journée
Écrit par : voyageuse | jeudi, 28 octobre 2010
@ Corboland : Je ne crois pas en effet qu'un quelconque "grand soir" soit désormais capable de venir à bout du capitalisme. En revanche je suis moins certain que vous qu'une erreur par lui commise ne lui soit un jour pas fatale ( les crises financières sont des nourritures jusqu'à un certain point)
@ Voyageuse : Le lire ? Bien sûr que je voudrais...
Écrit par : solko | jeudi, 28 octobre 2010
Si nous allons collectivement dans le mur, et que nous le savons, ne nous reste-t-il plus, individuellement, qu'à prendre la tangente. C'est-à-dire que l'un dans l'autre (ce qui est une bien mauvaise formule), pour s'en sortir, il faut sortir de la route qu'on nous trace, mais sortir de la route, c'est se payer le mur. Quel mur ? Un mur. Tous les murs se valent, mortellement, quand on ne peut pas s'appuyer contre eux (mais je sais : "contre", préposition sémantiquement singulière...)
Écrit par : nauher | vendredi, 29 octobre 2010
J'y adhère...L'image...Un gout amèr.....Le titre
Quand j'observe il reste une échappée entre les pointillés.
Comme d'habitude on regarde d'abord l'obstacle et on oublie le reste.
Écrit par : robert72 | lundi, 19 mars 2012
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