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samedi, 02 août 2008

Le pont du Rhône

Du Moyen-âge au dix-huitième siècle, le Rhône n’était franchissable, à Lyon, que par un unique pont. Pour parler de lui, il ne reste dorénavant que de vieilles chroniques. Et lorsqu’il fait un temps à se laisser raconter des histoires par les pierres des ponts, on n’entend plus le fracas du Rhône se brisant contre ses piles en pierre. Sa huitième pile, telle une borne,  servit longtemps de frontière entre le Lyonnais et le Dauphiné.

C’était un géant de 20 arches et de 510 mètres de long, qui enjambait le Rhône et ses rives mouvantes, ses lônes couvertes de ruisselets. La rue de la Barre (ex Bourgchanin) lui doit son nom, car une barrière fermait son péage, jusqu’à ce pont-de-la-guillotiere,-eau.jpgque fût aboli, en 1776, « le droit de barrage ». A l’autre extrémité du Rhône, la place du Pont (dite à présent Gabriel-Péri) lui doit le sien, puisqu’avant l’aménagement de la rive gauche au début du dix-neuvième siècle, le vieux pont débouchait sur ses auberges. De vieilles gravures, (la plus connue étant celle de Jean Jacques de Boissieu,  ci-contre, nous montrent des fortifications défendant l’entrée du pont, une haute tour carrée presque en son milieu, munie d’un pont levis. Car les portes étaient fermées la nuit.

Au tout début, il y eut longtemps un pont de bois à cet emplacement, parce que la violence du fleuve rendait problématique la construction d’un véritable pont, qui s’étala sur plusieurs siècles et fut un véritable exploit. « Depuis qu’on était parvenu à lui fermer le passage de la plaine dauphinoise et qu’on l’avait contraint, au moyen de digues, de refluer vers la ville, le Rhône se précipitant sous les arches, sapait les enrochements  et entraînait les pilotis ; une partie du pont était à peine achevée qu’une autre s’écroulait sous les affouillements. Chaque grande crue emportait deux ou trois piles. Alors, pendant que les constructeurs allaient chercher aux Augustins ou à Fourvière de ces gros blocs couverts d’inscriptions latines, il fallait se servir de bateaux pour traverser le fleuve ou, comme on l’avait fait pendant le séjour de Louis XII et de sa cour, établir une traille au port de la rue Neuve. », explique Vingtrinier, dans  La Vie Lyonnaise.

 Jean Pelletier (Ponts et quais de Lyon, ELAH, 2002) date de 1559 la décision, par les échevins de Lyon, de bâtir un pont de pierre. Sous Henri II, c'est-à-dire assez rapidement, le pont fut réduit de vingt arches à dix-sept. « Nos grands pères, écrit Petrus Sambardier dans La Vie lyonnaise (12.3.1932) ont vu encore les cinq arches du pont, que les travaux de Combalot, le siècle dernier, ont enfouies pour nous donner le cours Gambetta. » Il a fini par être remplacé, en raison de la circulation automobile, par l’actuelle ouvrage en acier, après sa démolition en 1952. Tous les ponts du Rhône sont pourtant, comme le souligne Albert Giuliani ( Vous êtes mon Lyon, 1928) « fils, petits-fils, arrière petit-fils de ce vénérable et si vénéré pont de la Guillotière », qui « courbe sous la vieillesse de Mathusalem ».

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L’énumération à la Prévert que Nizier du Puitspelu consacre aux embouteillages du pont du Rhône dans ses souvenirs témoigne également de son immense popularité, qu’il devait au point stratégique qui fut durant des siècles le sien sur le Rhône :

« A gauche, le pont de la Guillotière, auquel le petit gone vit s’ajouter les trottoirs, supportés par des arcs en fonte que l’on superposa aux arches de pierre. Jugez un peu voire ce que c’était que ce pont avant les trottoirs, encombré de tout ce qui arrive aujourd’hui par le chemin de fer, de tous les rouliers de Provence, de toutes les voitures publiques du Dauphiné et du Midi, de toutes les jardinières des coquetiers, de tous les tombereaux des âniers, de tous les chars, de toutes les charrettes, de toutes les carrioles, de toutes les pataches, de tous les tape-culs, de tous les camions, de tous les crapauds, de toutes les maringottes, et de tout le reste ! Qu’on pût arriver au bout sans être chapelé, haché, pilé, broyé, escaché, escharbouillé, écramaillé, c’est un miracle au prix duquel les apparitions de notre temps sont choses absolument naturelles.» (Puitspelu, Les Oisivetés du sieur Puitspelu, Lyon, 1896, Pierre Masson, 1928).

Il a existé un véritable mythe du pont du Rhône, à Lyon, chaque jour combattant contre le flux : « Contre les arches lourdement taillées en éperon le courant bouillonne, se précipite, excité par l’obstacle. La nappe s’étale d’une rive à l’autre, miroitante, embuée par endroits comme une glace sur laquelle on aurait soufflé. Presque aussitôt, elle se resserre, bloquée par un long banc de sable, à droite. Le fleuve se rue dans le chenal étroit et profond.»

(Emile Baumann, Lyon et le lyonnais, De Gigord, Paris, 1934).

Plongeons et baignades dans le fleuve étaient fréquents, jouissifs, parfois fatals. L’une des scènes les plus émouvantes de La Gerbe d’or d’Henri Béraud se déroule justement sous ce pont, lorsque le narrateur enfant voit un ouvrier de la Guillotière qui se baignait en train de se noyer devant ses deux très jeunes fils, impuissants :

« L’homme luttait, les dents serrées. A chaque instant, il perdait un peu d’espace. Déjà l’ombre de l’étrave le couvrait. Il nageait furieusement. A force de désespoir, il parvenait à demeurer sur place. Visiblement il cherchait à s’échapper vers l’escalier de la berge : il y avait là un anneau  de fer et une vieille amarre… Il la regardait. Il ne voyait qu’elle. Nous criions tous à la fois, sans le quitter des yeux. Je revois les choses dans leur plus petit détail.  Cela dura moins d’une minute. J’entends encore ce chien hurler à la mort. Maintenant, l’homme avait perdu la cadence de sa nage. L’eau arrivait à pleins bords, lourde, égale, aveugle, impitoyable. Il se  battait contre elle avec désespoir. Brusquement, ses forces le trahirent. On vit sa tête pâle reculer, reculer encore. Elle alla se placer dans l’angle formé par le courant et l’avant du bateau, qu’elle semblait caler. Il luttait toujours. Enfin, l’eau enfonça cette tête d’un coup, comme un pavé. C’était fini. On  ne vit plus rien, que la course du fleuve et le reflet noir de la péniche. Un lent marlou vint. Il se campa au sommet de la rampe.  « Vite, monsieur, mon papa vient de se noyer ». Les petits sanglotaient. L’individu haussa les épaules, alluma une cigarette, puis s’éloigna sur le quai désert. Transis de peur, nous demeurions toujours plantés là. Les deux enfants criaient toujours : « Papa ! Papa ! ». Leurs voix se dispersaient dans le bruit monotone du fleuve. A la fin, ils se turent. L’ainé ramassa par terre les vêtements. Il prit le petit par la main, et ils s’en allèrent tout seuls, je ne sais où, vers le faubourg, en pleurant à gros sanglots. »

De l'accident du carrosse de Madame Servient au passage de Napoléon dessus, avant les Cent jours, il y aurait encore beaucoup à raconter sur cet illustre disparu. Sans compter le nombre extraordinaire de peintres, petits ou grands, qui ont esquissé tour à tour son auguste silhouette, sur un bout de toile ou un morceau de papier... Occasion, peut-être, d'un futur billet.

Autres monuments perdus:

L'hôpital de la Charité : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/09/03/les-fantom...

L'amphithéâtre des Trois-Gaules : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/11/03/l-abbaye-l...

Le Pont de Saône : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/12/07/le-pont-de...

Le Progrès, rue Bellecordière :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/07/23/le-progres...

18:11 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon, littérature, pont de la guillotière, histoire, béraud | | |

Commentaires

C'est passionnant ...merci

Écrit par : frasby | jeudi, 17 juillet 2008

et le pont de guille donnait-il lieu à la perception d'un droit de passage?

Écrit par : romain blachier | jeudi, 17 juillet 2008

En fait, je ne sais pas quand on s'est mis à appeler "le pont du Rhône" "pont de la Guillotière". Sans doute à partir du moment où le quartier de la Guillotière s'est développé vraiment ( fin XVIIIème) Les deux appelations ont dû se chevaucher très longtemps. Ce que je tiens de "Lyon et ses rues" de Brun de la Valette, une source sûre, c'est que le droit de barrage a été supprimé en 1776 sur le pont du Rhône, dit de la Guillotière ( et accessoirement "de la guille"). Ce qui est sûr aussi, c'est qu'il n'y a plus aucun ancien pont de pierre à Lyon, alors qu'à Paris demeure le Pont Neuf et en Avignon....
Bien à vous

Écrit par : solko | jeudi, 17 juillet 2008

la seconde guerre mondiale et les sabotages de nos ponts par les troupes nazies pour ralentir les alliés n'ont pas fait du bien...

Écrit par : romain blachier | jeudi, 17 juillet 2008

Je suis émue de relire ici ce passage de "La Gerbe d'or", de Béraud, que je ne suis pas près d'oublier : ces deux petits Guillotins (Enfants du faubourg de la Guillotière) qui voient leur père se noyer.
J'y ajouterai le tout début qui campe l'endroit où va se jouer le drame :

" Un jour, en sortant de classe, nous avions entre gones de la rue Ferrandière, passé le vieux pont de bois de l'Hôtel-Dieu pour courir au bas-port de la "Guille". Il y avait à une cadette fameuse, un parapet de pierre que les culottes de deux générations avaient poli comme du marbre. (...)
Nous y étions depuis quelques heures, jouant avec deux petits Guillotins, quand arriva sur le quai, au-dessus de nous, un compagnon charpentier, reconnaissable à sa ceinture de flanelle rouge et au mètre pliant qui débordait la petite poche de son pantalon de velours. "

C'est cet homme-là que " le Rhône large et vert (qui) courait en tournoyant et battait les degrés de pierre comme un flux" va emporter.
Terrible.

Henri Béraud dit cette fascination pour le fleuve :

"La Saône, encore, ce n'était rien. Point de danger. Un peuple de pêcheurs et de mariniers flottait sur ses eaux lentes. Mais le Rhône ! Les parents n'en dormaient pas. Ils nous défendaient sans cesse de l'approcher ; (...)
Mais, quoi, on avait beau promettre de ne plus recommencer, le Rhône était le plus fort. Il nous fascinait. Ceux-là me comprennent qui grandirent au bord des grands fleuves. Ces vastes flots ont l'attirance du vertige. On s'habitue à leur voix . il y a dans leur massive puissance quelque chose qui endort et rassure, qui fait oublier le danger. "

Moi, c'est ce livre de Béraud qui me fascine. M'occupe la tête.

Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 13 février 2009

@ Michèle : Merci de faire remonter ce billet. La destrcution du pont historique de la Guillotière reste un des gros scandales de la longue mandature d'Edouard Herriot.

Écrit par : solko | samedi, 14 février 2009

scène épouvantable...

Écrit par : romain blachier | lundi, 23 juillet 2012

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