jeudi, 18 août 2011
Gare aux marchés
Mon, oncle, qui était épicier derrière les voutes, disait toujours que la rentrée commençait après le Quinze août. C’est ce moment-là d’ailleurs qu'il choisissait pour rouvrir sa boutique familiale et reprendre pied dans la saison nouvelle.
Depuis le début des années soixante, son pas de porte était sis non loin d’un marché de gros flambant neuf, qu’on venait d’ériger sur une zone en friches abandonnée par l’ancien débarcadère de la ligne Lyon- Saint- Etienne (l’une des premières, je crois, du Chemin de fer français). Sur seize hectares, son architecte avait fait sortir de terre un ensemble de hangars rectilignes largement espacés afin de faciliter les manœuvres de la nuit liées au transport et au déchargement des marchandises. Ce furent ces bâtiments (au demeurant fort laids) que le maire Pradel offrit peu de temps après à la contemplation éclair des touristes filant par l’autoroute en plein centre-ville, l’une des idées les plus imbéciles germées dans le crâne d’un maire de Lyon, lesquels n’en ont jamais manqué. Histoire (et ce n’était peut-être pas plus mal) qu’ils ne jettent que quelques pets d’automobiles sur la vieille capitale des Gaules avant de filer, indifférents, au loin, plus au Sud.
Le Sud, justement, dès l’arrivée du printemps, des autostoppeurs s’y rendaient en grappes – je veux dire le lointain Sud, le véritable, pas le Sud français - Tout le temps qu’ils poireautaient là, aux abords de la prison Saint-Joseph et le long des bâtiments du marché gare, non loin de l’endroit où Caserio fut guillotiné, debout ou assis sur leurs sacs à dos, ils formaient la seule population à mon sens digne d’intérêt de ce quartier voué aux semi-remorques et aux seuls bars d’habitués puisque « derrière les voutes », de la même façon que le Quinze août signait la fin de l’été, ne figurait dans mon imaginaire qu’un lieu maudit, no-man’s land salement traversé par un cours droit et sinistre qui portait, pour finir, le nom de l’inventeur, à ce qu’il paraît, de l’école…
Le marché gare, j’y revins bien plus tard lorsqu’avec quelques amis, nous créâmes notre petite compagnie théâtrale et que, afin de payer la location d’un local de répétition sis au-dessus des Terreaux, nous dûmes décharger des glaïeuls deux ou trois nuits par semaines pour un grossiste en fleurs alors fameux entre Rhône et Saône. Déjà que je n’aimais point ces longs poireaux académiquement ornementaux, aux connotations aussi pompeuses que mortuaires… Lorsqu’à ces causes esthétique et philosophique s’en ajouta une dernière plus pragmatique, leur poids, mon désamour pour les glaïeuls prit des proportions quasi-dantesques Des semi remorques de glaïeuls agglutinés les uns contre les autres en volumineux cartons, songe-t-on que cela pèse au bas mot autant que du plomb ? Il fallut bien en vérité toute notre idiotie de l’époque, et notre amour de la scène - mais tout ça n’était peut-être qu’une même chose – pour nous forcer à nous rompre ainsi les reins aux heures les plus tendres de la nuit, le tout pour quelques francs La ville de Pradel et de Collomb – je parle là de Francisque -, nous la rêvions vibrante de fougue et de ferveur pour l’art de Melpomène, quand elle n’a jamais réellement vibré que pour la bourse de Mercure.
Je me suis égaré début juillet non loin des pavillons de cet ancien marché gare. Je dis ancien car né en 1955, il défunta en 2006, tout juste quinquagénaire. L’activité qui s’y tenait, au désespoir de nombreux commerçants, se fait à présent à Corbas. Restent donc ces pavillons que l’actuel Collomb de Lyon – je parle à présent de Gérard – dans un élan d’imaginaire stupéfiant, songe à reconvertir en un lieu à vocation festive, au cœur du quartier Confluence, « la porte du XXIème siècle » bêlent les communicants municipaux. Me frappe toujours autant le manque d’imagination des politiques qui prévaut- ici comme ailleurs- lorsqu’il s’agit de reconversion urbaine : vous disposez d’un Hôtel Dieu séculaire, faites en un hôtel de luxe ; quant à tous les sites industriels qui, de près ou de loin rappelleraient trop aux générations le monde du travail, transformez-les en lieux alternatifs : vous paraitrez ainsi dans le goût du temps, c'est-à-dire atrocement normé, aussi conventionnel que l’homo festivus cher à Philippe Muray, c'est-à-dire à la taille minimale qu’exige cette culture de masse qui fit du nombre son principe premier, et qui prévaut partout sur le bon goût et la joyeuse érudition. En attendant, gare aux marchés, puisque la rentrée risque d’être chaude - mais cela fera l’objet d’un prochain billet.
Nos existences endettées, que rythme un calendrier social hypertrophié, ne sont-elles pas devenues aussi vivantes que des marchandises ? Sous l’œil blasé d’une Melpomène désabusée, la fête, c’est donc justice d’aller la faire, parqués dans les entrepots du marché gare, dans ce Berlin provincial et post industriel où règne comme nulle part ailleurs cette ambiance délavée de culture techno en friches et d’urbanité en crise, qui sied tant à notre imaginaire aussi docile que peu exigeant. Oui, c'est peut-être ça, et seulement ça, que méritent désormais nos plaisirs.
00:24 | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : marchés financiers, marché gare, dette publique, melpomène, glaïeuls, derrière les voutes, perrache, lyon, quartier confluence, rentrée |
Commentaires
Bienvenue chez vous,Maitre Solko:
Il s'est passé des choses intéressantes dans les friches lyonnaises. Les squats ont essayés de faire naître une autre approche de la culture à partir d'un autre mode de vie. Ces mouvements qui tâtonnaient, souvent, dans l'inconnu, n'est pas Fourier qui veut, ont été chassés, étouffés. Il ne faut pas attendre grand chose d'une culture qui reste régalienne dans ses fondements. La culture authentique,celle qui rassemble et bouscule, est affaire de terreau.
Écrit par : patrick verroust | jeudi, 18 août 2011
Bienvenue chez vous aussi, mon cher.
Nous sommes, je crois, bien d'accord sur le gouffre qui sépare les tenants de l'ancienne contre-culture de cet infâme bouillon de culture neo urbaine, récupérée par les partis de "gôche" que patronnent Aubry et Joly ( de furieuses dames patronnesses), et qu'entretiennent en leurs fiefs électoraux des gens comme Collomb ou Delanoe, dans les néo quartiers en friches de leurs cités déchues. Le problème, c'est que lorsqu'il n'y a plus de culture, il n'y a plus, non plus, de contre-culture. Me souviens avoir fait un hommage à Michel Lancelot qui allait dans ce sens.
http://solko.hautetfort.com/tag/michel+lancelot
Écrit par : solko | jeudi, 18 août 2011
Cher Solko, je disais chez Frasby me réjouir de la réouverture de votre enseigne et voilà qu'il est question ici d'une épicerie familiale... :)
Comme le dit Patrick, nous sommes heureux de votre retour dans la blogosphère. Bonne idée de commencer une saison nouvelle après le quinze août. :)
Concernant nos existences endettées, j'avais découvert début juillet en librairie un bouquin de Frédéric Lordon : "D'un retournement l'autre. Comédie sérieuse sur la crise financière". En quatre actes, et en alexandrins, Paris, Seuil 2011. J'avais failli venir en parler ici, puisque c'est par un billet que vous consacriez aux JECO de Lyon, que nous entendions Alain Combes citer, entre autres, Frédéric Lordon.
Nous aurons je pense l'occasion d'y revenir.
Écrit par : Michèle | jeudi, 18 août 2011
Lordon ? C'est un nom prédestiné pour faire de l'économie. Nous n'aurons pas fini, en cette détestable année électorale qui s'annonce, d'entendre parler d'économie puisque la dette risque de devenir l'enjeu de débats politiciens à gauche comme à droite, tous plus démagogiques les uns que les autres. Quand notre pognon devient l'enjeu de la course au pouvoir de ces gens avides, ça craint. L’impôt, l’impôt, bêlent-ils... Déjà, quand j'entends Aubry déclarer "l'Allemagne doit faire ceci, Sarkozy doit faire cela", je me demande si elle est candidate à la présidence de la République ou si elle joue au Monopoly. Enfin. Il nous restera si tout devient invivable "les chateaux de Ludwig en Nabirosina". Comme le disait Rousseau qui causait littérature, "seul est vrai le pays des chimères".
Écrit par : solko | jeudi, 18 août 2011
C'est une belle chose de vous retrouver en ce beau mois de Septembre (au calendrier solkoïen). Votre billet (des grandes heures) est un pur régal, vraiment très bien écrit. J'espère que "Gredar Festivus" aura l'idée (lumineuse, si j'ose dire) de lancer une "fête des glaiëuls", là où vous savez (qui s'appelera :"Faites des glaiëuls") juste pour notre joie de lire votre billet, (celui que vous nous mijoterez pour cette occasion là). J'espère aussi que le Drang-Nyol vous confiera la conception des affiches aussi surprenantes que votre "visuel" (on ne dit plus "image" mais "visuel). "La porte du XXIem siècle", je croyais que c'était une blegua, ça ressemble plutôt à un concept élaboré par les frères Bogdanov en 1974.
Vous devriez vivre au Nabirosina, je connais un site (on ne dit pas "lieu"mais "site") qui s'appelle "La porte du garage", c'est l'ancienne friche d'un garagiste à la retraite recyclée en terrain de pétanque sur une idée du maire qui a donné carte blanche aux villageois, les femmes font des tartes aux pommes, les hommes amènent les vaches les cochons, et le vin. Les marchés à bestiaux n'étant plus où on croit, l'Homo Bonnefranquettus sauvera peut être le genre humain (?) (ou son honneur ?) sinon je peux vous proposer la Bavière provinciale, (pour consoler), j'espère que vous aimez les coquelicots...
Écrit par : frasby | jeudi, 18 août 2011
Le Nabirosina ? Mais je crois que j'y vis bel et bien, en un songe tapissé d'églises romanes et de vaches broutant dans les prés humides et les senteurs des chemins de terre. Darpon de m'aucotiter, mais j'avais fait un billet en 2007 (http://solko.hautetfort.com/archive/2007/08/11/sainte-trinite-d-anzy-le-duc.html )
sur la crypte d'Hugues de Poitiers de la priorale d'Anzy le Duc dans laquelle je m'étais promis de revenir dormir un soir, loin des êtres à problèmes qui peuplent désormais nos villes.
L'homo Bonnefranquettus, c'est aussi l'homo Clochemerlus. Sa Bible fut rédigée par Gabriel Chevallier qui a son musée en Beaujolais mais s'inspira de Nabirosina.
Je crois qu'il va falloir en en effet, en s"y mettant tous, faire le siège la maison de Ludwig scandaleusement squattée par votre maire, pour s'y rassasier un soir tous ensemble de bons mots charmillonesques et de succulents gibiers...
Écrit par : solko | jeudi, 18 août 2011
"Nos existences endettées, que rythme un calendrier social hypertrophié, ne sont-elles pas devenues aussi vivantes que des marchandises ? "
Plus que cela, Solko...C'est l'existence elle-même qui est, logiquement, devenue une marchandise. Tenter de la débarrasser de ce misérable statut, tel est le dernier combat qui vaille et c'est un combat solitaire, quotidien, sans tambours ni trompettes,sans concessions, à mains nues.
Combat solitaire qui mène forcément à la solitude. Une certaine solitude. Pour cela, il faut des mots pleins comme des oeufs frais, des paroles aussi cristallines que l'eau du ruisseau. Des mots et des paroles qui meurent au contact du brouhaha et des imitations.
Vous avez ces mots et ces paroles-là.
Écrit par : Bertrand | jeudi, 18 août 2011
Qui" mène" à la solitude, mais aussi qui "part de la solitude". Et qui facilite, du coup, certaines heureuses rencontres.
Écrit par : solko | vendredi, 19 août 2011
Solko:
Avec tous ces fracas, l'essentiel de l'amitié est oublié. J'espère que votre rentrée signifie que vos ennuis de santé se font oubliés.
Écrit par : patrick verroust | vendredi, 19 août 2011
S'estompent doucettement, oui, quand le temps est normal. Ce qu'on annonce sur Lyon pour les trois jours qui viennent ne me réjouit guère...
Écrit par : solko | vendredi, 19 août 2011
Très bel et bon billet, et des commentaires de haute volée. Mmmh... Je reprends mon petit tabouret avec délice.
Écrit par : Sophie K. | samedi, 20 août 2011
Un petit tabouret ? Tu m'intrigues !
Écrit par : solko | samedi, 20 août 2011
Ben oui, mon tabouret de lectrice, kua... (Dans les fauteuils, je gigote comme un prisonnier dans les fameuses cages de Louis XI - qui, paraît-il, font partie de sa légende.) J'ai toujours préféré les tabourets aux chaises à dossiers. C'est bizarre, d'ailleurs. Un peu freudien, si ça se trouve.
Écrit par : Sophie K. | dimanche, 21 août 2011
Le mieux, c'est encore les chaises à porteurs. Mais c'est pas commode pour lire (surtout l'ordi)
Écrit par : solko | dimanche, 21 août 2011
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