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samedi, 12 février 2011

Fête du livre à Bron

La Fête du livre à Bron est un événement désormais inscrit dans le patrimoine culturel rhône-alpin, comme on dit : vingt cinq ans !  A l’hippodrome de Parilly, non loin de l’université Lyon 2, la formule est désormais bien rôdée. Dans la salle des parieurs ou dans celle des balances la journée égrène ses tables rondes, regroupant à chaque fois deux écrivains autour d’un même thème, d'un journaliste, et devant un public à la toison grisonnante ou bien de lycéens. Les débats sont souvent de qualité, qu’ils se déroulent devant un public à la toison grisonnante ou devant des lycéens. Dans le hall, les libraires lyonnais venus en force proposent un éventail d’essais ou de romans de saisons. Après les débats, les auteurs signent leurs ouvrages. On y vient en famille par le tramway T2. Sous un chapiteau, le coin « jeunesse » et le coin « restauration ». Tout ça très bon enfant.

Hier, après le déjeuner, Eric Faye rencontrait par exemple un public de lycéens. Certains s’étaient, ça se respirait, donné le mot pour « questionner l’écrivain ». Un petit marlou aux cheveux gominés, sur un ton mi insolent mi réservé, mi nature mi solennel, genre « tu vois, je l’ai dit » : « Bonjour. Bonjour Eric. Bonjour Eric Faye ». Et puis, micro en main, sourire en coin : « Comment ça va ? »

Un autre : « J’ai pas compris pourquoi le héros prend son frigo en photo au début du roman ». Un autre, très pertinent à sa façon : « Vous apprenez vos livres par cœur ? » L’écrivain commence à expliquer qu’un écrivain ne demeure pas avec un livre, mais pense bien vite à ceux qui vont venir. Le lycéen : « Mais, moi je sais par cœur mes BD. » Au fond, le moment est assez aérien, pour le lycéen comme pour  l’écrivain qui se prête au jeu : tous deux entre sortie scolaire et marketing,  ingénuité et curiosité, promotion d’un livre et moment passé loin du cours officiel. Les profs encadrent. L’animatrice, elle, recentre : « le placard, donc, n’est-ce pas un peu la figure du port de Nagasaki par lequel est entré l’étranger ? » ou «  on pense avec ce placard à la figure de l’exclusion sociale et de la mise au rebut ». A moins, dit-elle tout à la fin « que dans le placard ne se niche l’ami imaginaire ? » L’écrivain opine. Il se retrouve en terre connue. A la sortie, quelques-uns disent qu’ils ont trouvé tout ça relou. D’autres sont contents : ils vont passer à FR3.

 

Ce matin, Frédéric Martel évoquait Mainstream et son enquête « sur cette culture qui plaît à tout le monde ». Il avait un peu les yeux cernés d’être resté une partie de la nuit scotché devant Al-Jazeera, tandis que je dormais. Quand je lui ai rappelé plus tard, à propos de la première page de Libé de ce jour (« Libres ! ») que j’étais en Grèce en 1974 lorsque les militaires avaient été chassés du pouvoir (Libé avait bien dû titrer la même chose ce jour-là), et que parler de liberté quand l’armée prend officiellement le pouvoir politique (guère de nouveauté) c’était un peu… il m’a dit qu’il restait optimiste. Ma foi… Pour ma part, devant ce genre d’emballement médiatique… Bref.

Mainstream reste un livre intéressant ne serait-ce que pour tous les renseignements qu’il contient. Une véritable mine d’informations, que prolonge le site Internet de l’auteur. Sans doute aussi parce qu’il met les pieds dans le plat sur l’état piteux de la production culturelle française. Qu’il replace l’hexagone à l’endroit où il se trouve. Il était temps.

Non loin de là, Yves Bonnefoy signe son dernier livre (L’inachevable). J’avais apporté une édition du Mercure de France (M.CM.LIII) de Du mouvement de  l’immobilité de Douve que le vieil homme me dédicace avec plaisir. J’ai le temps de lui glisser à l’oreille combien j’avais apprécié ses cours sur la représentation de l’image d’Hamlet au collège de France vers l’an 1987 ou 1988… Il fait un geste de la main et me dit : « c’est presque aussi vieux que l’édition ! »  Je me dis qu’en 1988, je n’avais pas encore cette édition de 1953, sinon je ne la lui ferais pas signer si tard. Je suis en retard. Je serai toujours en retard. Moi qui ne demande que rarement des autographes, je ne sais pourquoi, ça m’émeut tant de voir cette signature, moi qui prétend ne pas non plus être fétichiste…

Cet après-midi, Jean Rouaud a parlé de son dernier livre, « Comment gagner sa vie honnêtement ». Il siégeait avec Claude Arnaud, et son « Qu’as-tu fait de tes frères». (1) Un débat entre quinquagénaires malicieux sur une époque disparue, volatilisée, avant que « le cercle d’insouciance ne se referme sur nous » (la phrase est de Rouaud). C’était le temps où Benny Lévv s’appelait Pierre Victor, où Barthes pouvait sans friser le ridicule proclamer que « toute langue était fasciste ». Avec beaucoup d’humour, Rouaud balance que c’était une époque sans nuances, « où l’on vivait bloc contre bloc, ouest contre est, cheveux courts contre cheveux longs, auto-stoppeurs contre gens en place, et où il était impossible de faire des études de droit sans être fascistes. »

Inutile de dire qu’avant de rentrer, j’ai évité de croiser Bégaudeau et Mathias Enard. Chacun ses têtes, c’est ainsi. Il y avait beaucoup d’enfants que des parents toujours bons éducateurs traînaient dans les travées. C’est ça aussi, le charme de la fête du livre à Bron.

Le soir pointait derrière l’ossature métallique de  l’université. Avant, par ci, par là, ça devait être champs de naviaux ou de colza ; comme quoi, la culture humaine finit toujours partout par tout rattraper. Me souviens être resté étudiant dans cette fac de lettres trois semaines et d’avoir foutu le camp, peu de saisons après son année d’ouverture. A Bron, on navigue partout dans du récent : l’hippodrome ne date que de 1965. La fac que de 72. Et le salon n’a que 25 ans.  Et presque, on dirait que c’est là depuis toujours, comme dirait Mme Michu. Le salon se poursuit demain. Christine Angot fait la clôture. Aux abris, camarades !

fete_du_livre_de_bron_2011_.jpg



(1) Le jeudi 24 mars 2011, de 19.30 à 22.30, Claude ARNAUD évoquera son parcours, en dialogue avec Cécile GUILBERT, devant le public de la villa GILLET, 25 rue Mazière, 69004 LYON.

Commentaires

:0)
Donc c'était bien.
(Merci pour la balade affûtée entre les travées !)

Écrit par : Sophie K. | lundi, 14 février 2011

bonjour
bonne photographie de l'évènement, sauf que le soleil ne se couche pas derrière l'université, car elle est à l'Est par rapport à l'hippodrome et au Salon du Livre ! Alors le soir vient...

Écrit par : FOurs | lundi, 14 février 2011

Je vois que mon commentaire a été mangé et je ne l'avais pas sauvegardé - chose faite au sujet de l'école, billet précédent.

Bref, je disais qu'on avait l'impression d'être là, à la fête du livre de Bron, avec un regard à la fois désabusé et malgré tout une tendresse pour l'âge du livre qui s'en va doucement...

Bon, tous aux abris, à vos parapluies anti-Angot!!!

Écrit par : Tanguy | lundi, 14 février 2011

Les commentaires ont dû s'envoler dans le bug Hautetfort d'hier.

Écrit par : solko | lundi, 14 février 2011

Bon enfant, oui, surtout le petit manège... La rencontre avec Rouaud, vue de l'extérieur, ça faisait très salon, "blindé" de gens assis aux tables rondes, un cabaret littéraire, vive les lettres ou vivent les lettres, comme vous voudrez

Écrit par : Nénette | mardi, 15 février 2011

Étonnant que les lycéens n'aient pas posé la question récurrente : "écrivain, ça gagne beaucoup"? Ils étaient évolués ceux-ci !

Écrit par : Rosa | mardi, 15 février 2011

Les commentaires sont fermés.