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lundi, 11 mai 2009

La tête dans le miroir

Peu importe qui c’était. Moi, je ne le connaissais pas. Vous non plus. Son nom, brutalement a fait par deux fois la une des journaux. Cela s’est passé à Lyon. A  Lyon-Vaise plus précisément. Vers 2h 30, une nuit, un homme est réveillé par des cris provenant de l’appartement du dessus, au 12ème étage. Il dira, plus tard : « Les cris sortaient de sa gorge ». Evidence, pour dire ce qui le dépasse, et de loin. Et puis aussi : « je n’ai pas osé monter, des bruits pareils, ça fait vraiment peur ». L’homme, donc, appelle la police ; vérification d’identité. Ils frappent au-dessus, ça ne répond pas, ils s’en retournent. Routine ? « Je suis persuadé que la police a raté l’assassin à cinq minutes près », dira l’homme. « Juste avant que la police arrive, j’ai entendu la porte du-dessus se refermer, l’ascenseur descendre. » Ambiance. Ambiance Derrick, n’est-ce pas ?

Là il faudrait presque un intermède. Une pub, comme il y en a après Derrick, vous savez ? Une pub pour les vélos d’appartement ou les barres de baignoires qui aident les personnes âgées à se relever dans l’eau glissante. Mais la maison n’a pas ça. On s’en passera. L’épisode reprend.

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Larry Clark, Tête coupée  (2003)


Le lendemain, vers onze heures, le frère de la victime la découvre dans une mare de sang. Décapitée. La victime est un homme. On dira donc décapité. Branle-bas de combat dans tout l’immeuble. Le quartier. La police, cette fois-ci, minutieuse. On ne retrouve pas la tête. On recueille des témoignages. Un miroir cassé dans le vestibule d’un étage. Il n’était pas cassé la veille. Les cris sortaient de sa gorge… La victime, apprend-on, travaillait dans un service de pompes funèbres. Ambiance de plus en plus Derrick. Il regardait souvent le foot dans les bars de Vaise avec des copains. Quiconque connait Vaise comprendra. Les autres, enfilez vos impers blancs et suivez l'Inspecteur. Magistrate, médecin légiste, levée du corps…

On apprend le jour suivant que le meurtrier était un voisin de l’immeuble. Du cinquième. En suivant des traces de sang sur des escaliers de service, les enquêteurs se sont retrouvés illico devant un vide-ordures, plusieurs étages en-dessous.  Non loin de là, un jeune homme aux propos confus, qui n’a pas tardé à avouer. Enfin, même pas. A dire. Il s’est débarrassé de la tête, qui a dû être emportée avec le ramassage des poubelles. L’arme du crime (un couteau de cuisine), il l’a en revanche laissé chez lui. Il a évoqué "une subite envie de tuer". Il a frappé, égorgé, et décapité. Point barre.

Plusieurs riverains ont décrit un jeune homme ombrageux, la démarche désarticulée, le comportement changeant. Tout y est, quoi. Du Derrick.  Mais du Derrick en accéléré. Du clip-Derrick. On ne supporte plus les choses qui traînent trop longtemps, de nos jours. Vous savez, gros plan sur un cendrier, puis sur une armoire entrouverte, un fouillis de linges sur un rayon, puis un cendrier à nouveau. Voix off : « Tu as trouvé quelque chose ? » Travelling sur une chambre en désordre, sur la rue par la fenêtre en contrebas, sous le ciel gris, des enfants qui jouent ou une mamie qui revient de courses – forcément gris aurait rajouté Duras, la Marguerite - Et puis,  trois minutes plus tard : « Oui, là, un mégot… ». On ne supporte plus. Trop munichois. Là c’est plus commode : un cri la nuit, la police à 2h35, l’assassin qui passe aux aveux le lendemain dans la foulée. Tout y est. Même la tête broyée dans un camion-benne, parmi toutes les ordures des voisins. On imagine : épluchures, couche-culottes de bébés, cartons-pizzas, bidons de bière... Drôle de fable sur les rapports de voisinage, au final.  Au chomdu, Derrick.. Au chomdu! L’instruction post-moderne est déjà ouverte.

Mais  voilà que  tout à coup, on passe en un éclair du post-moderne le plus trash à Lautréamont, lorsque le jeune homme dit d’un  trait : « quand je suis descendu avec la tête, j’ai vu la mienne dans le miroir de l’ascenseur, je n’ai pas pu, il a fallu que je le casse ». 

Le miroir. 

 

Commentaires

Ah enfin des histoires sans queue ni tête! ! !

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 11 mai 2009

Sacrifice privé. Bien, ça.

Écrit par : Pascal Adam | lundi, 11 mai 2009

Ce un billet est impressionnant (on est loin de la couzonnaise)
Dites-moi, avez vous vu "La sentinelle" d'Arnaud Desplechin ?
Cet article m'y fait curieusement penser...

Écrit par : frasby | lundi, 11 mai 2009

J'ai mal à la tête.

Écrit par : Zabou | lundi, 11 mai 2009

@ Sophie : Histoire pourtant vraie
@ Pascal : N'est-ce pas ?
@ Frasby : Je l'ai lu que le Progrès
@ Zabou : Mars ,ça repart...

Écrit par : solko | lundi, 11 mai 2009

Dans quel progrès ?

Écrit par : frasby | lundi, 11 mai 2009

@ Frasby : Au lieu d'écrire "je n'ai lu que le Progrès", histoire de dire que je n'avais pas lu "La sentinelle", pensant sans doute à "je l'ai lu dans", j'ai donc tapé "je l'ai lu que..." ce qui est une forme de charmillon syntaxique dirai-je pour justifier ma faute de frappe.
De fait, je suis sûr (sans l'avoir lu) que Arnaud Desplechin doit lire assidûment les journaux de Province, bien plus intéressants que Le Monde ou Libé, en pleine déconfiture idéologique et en plein peoplisation aorès boboification. Au moins, voyez-vous, "le Progrès", pas plus qu'un autre titre provincial, n'a jamais prétendu à autre chose que ce qu'il est, et, de ce point de vue là, on n'est jamais ni abusé ni trompé en le lisant.

Écrit par : solko | lundi, 11 mai 2009

"La Sentinelle", c'est le premier long-métrage (1992 / Prix Michel Simon 1993) d'Arnaud Desplechin : il traite des fantômes de la Guerre froide : un étudiant en médecine (joué par Emmanuel Salinger) se retrouve (mêlé à une affaire d'espionnage) avec une tête réduite dans sa valise.

Écrit par : michèle pambrun | lundi, 11 mai 2009

@ Frasby et Michèle : Aïe ! Mon désintérêt pour le cinéma éclate au grand jour !

Écrit par : solko | mardi, 12 mai 2009

@michèle pambrun : Je ne vous le fais pas dire ;-) et c'est un film très très interessant n'est ce pas ?

@Solko : Désintérêt pour le cinéma ? Diable ! Nous allons vous dépicater demain à l' baude.
Une forme de charmillon syntaxique ? Comme c'est bien argumenté ;-) Vous voyez, grâce au charmillon nous nous tirerons toujours des situations les plus embarrassantes ;-) Mais autant pour moi ! vous n'avez pas vu "la sentinelle" et je n'ai pas lu "le Progrès". En tout cas pas celui qui raconte cette histoire épouvantable.
En fait je lis "le Progrès" dans le Brionnais et puis "la Renaissance" aussi et je peux vous assurer que "le "Progrès" est à la "Renaissance", ce que que le "Monde" est au "Progrès"...Vous devriez lire la "Renaissance", vous ne seriez pas déçu.

Écrit par : frasby | mardi, 12 mai 2009

@Frasby : la première fois que j'ai vu "La Sentinelle" en ciné-club, j'ai rien pigé. Juste repéré Emmanuel Salinger, à côté de qui un an plus tard, je buvais un pot à Avignon. Pas à la même table hélas, mais vraiment pas loin. Salinger a co-écrit La Sentinelle avec Desplechin, lequel Desplechin admirait Resnais (et je crois que son film doit quelque chose au "Muriel" de Resnais).

@Solko : mon intérêt n'a duré que le temps, dix ans quand même, que j'ai avec d'autres animé un ciné-club. Je crois que j'aime ça, mais je n'y vais jamais. Alors, les faits parlent pour moi !

Écrit par : michèle pambrun | mardi, 12 mai 2009

Herriot au pays des soviets :

http://www.voxnr.com/cc/d_pays_es/EkuElFlkZuUUMFVhEY.shtml

Écrit par : Shasmith | mardi, 12 mai 2009

Solko, je vous suis reconnaissant d'avoir pu, su et voulu écrire cette phrase : "L’instruction post-moderne est déjà ouverte."

En effet, plus besoin d'aller au cinéma.

Écrit par : Chr. Borhen | mardi, 12 mai 2009

Plus besoin d'aller au cinéma il suffit de lire le Progrès.
Je suis dubitative.
En revanche ta "nouvelle" est merveilleusement écrite.
Je préfère au Progrès...que je ne lis pas

Écrit par : Rosa | mardi, 12 mai 2009

"Plus besoin d'aller au cinéma" on ne croit pas si bien dire, ceux-là qui sont tout entier livrés à l'horreur, à la terreur, n'ont , je pense, aucun accès au symbolique.
Ils sont tout entier dirigés par de "l'image qui remue". Ils n'ont pas de parole humaine qui irait avec leur action.

Je regarde la date du billet et m'aperçois qu'il m'a fallu deux jours pour accepter de comprendre ce que j'ai lu, ce qui est écrit dans ce billet.

Écrit par : michèle pambrun | mardi, 12 mai 2009

@ Rosa : "Adieu, adieu, ciné, cou coupé..."
PS / C'est dans les cafés, au comptoir, qu'il faut lire le journal du coin.

Écrit par : solko | mardi, 12 mai 2009

@ Frasby : La Renaissance ? Dans le Brionnais. Mais c'est passionnant, au contraire. Comme Vialatte écrivit les chroniques de la Montagne, vous pourriez écrire celles de la Renaissance du Brionnais Vous vous rendez compte ! J'en ai perdu mon charmillon, rien qu'à y penser !

Écrit par : solko | mardi, 12 mai 2009

@ Christophe :
Et n'est-ce pas l'écrivain qui doit l'instruire ?

Écrit par : solko | mardi, 12 mai 2009

@ Michele : Oui, le jeune homme a parlé d'une envie soudaine de tuer, puis à propos du miroir cassé, "il a fallu"... Et c'est dans le Progrès de Lyon. Et on appelle ça fait divers... Une scène à la Fédor.

Écrit par : solko | mardi, 12 mai 2009

La notion de fait-divers me rend également dubitative !
En effet il serait intéressant de pouvoir inventorier toutes les oeuvres de notre littérature qui doivent leur existence à un fait-divers...bien sûr, c'était avant le nouveau roman qui a ringardisé le fait-divers.

C'était également le temps où on ne disait pas "les informations" mais "les nouvelles."

Écrit par : Rosa | mercredi, 13 mai 2009

Le premier des faits-divers dont on aura beaucoup parlé étant, -il y a, certes, des lustres de cela, l'histoire d'une pomme qu'un couple croqua dans un jardin.

Écrit par : solko | jeudi, 14 mai 2009

Ne predez sap trove charmillon ! Si je vous conseille de lire la "Renaissance" c'est que j'y trouve un certain plaisir (un trecani plisiar drapon)... n'irai toinp vous sonceiller vaumiases luctrées.
Non seulement je la lisias naguère mais je la découpias !!!
Je découpias des articles et je les collias bien gnoiseusement dans un grand cahier avec ma petite pelle cléopâtre . Sans reri, vous dis je !!!

ps : Vous me gugserez une prispceteve de vatrial donc ? Mais "La Renaissance" n'est toinp "la Montagne" et Frysba n'est toinp Lavitate, c'ets tsèr ficcilide de retrenr à la "Neriasnace" de nos roujs, il faut nonciâtre du dome .

En fait je suis en train de me demander si la "Renaissance"n'a pas été rachetée par cette multinationale du "journal de Saône et loire" ... ce resiat épanvatoulbe!

Bnnoe roujené (danqu êmem !)

Écrit par : frasby | samedi, 16 mai 2009

Solko, ce n'est pas un fait-divers !!!

Écrit par : Rosa | samedi, 16 mai 2009

je tombe sur votre post car voisine du meurtrier et voisine de la victime. Votre récit est exact, relatant ce qui a été écrit dans les journaux. j'aurais pu sourire en lisant votre post, le style employé, tout çà, pourtant, lorsque cela s'est passé aussi proche, on ne sourit pas. Perso, j'y pense encore chaque jour, chaque fois que je sors de chez moi, chaque fois que je croise la famille du tueur, chaque fois que je pense à la victime que je ne croiserais plus dans l'asecenseur. Et franchement, c'est tout sauf du Derrick...
mais vous avez raison, le sordide est là, vous avez raison de le voir comme çà. C'est juste que de notre côté, le sordide a été trop proche...

Écrit par : voisine | samedi, 06 juin 2009

@ Voisine :
Je comprends que ce drame a affecté d'une autre manière toutes celles et tous ceux qui en ont été les proches témoins. J'ai appris aujourd'hui que le jeune homme s'était pendu en prison.
Pour ma part, la lecture des articles du Progrès m'avait choqué par cette façon d'immerger du tragique et du sauvage, même, dans la banalité d'une édition quotidienne. Il faut, de toute façon, que vous mettiez tout ceci à distance, si difficile que cela fût.
Cordialement.

Écrit par : solko | dimanche, 07 juin 2009

« quand je suis descendu avec la tête, j’ai vu la mienne dans le miroir de l’ascenseur, je n’ai pas pu, il a fallu que je le casse ».
Le miroir.

Suis morte de rire à lire votre "nouvelle" Solko (on s'y croirait) mais en lisant le commentaire de la "voisine", suis pliée en deux. Ce n'était sans doute pas votre but! Honte sur moi.

Écrit par : Ambre | jeudi, 05 novembre 2009

Les Anciens avaient inventé pour dire celà le "tragi-comique". Un genre pastiché de façon burlesque par le grandguignol populaire.
Nous y sommes.

Écrit par : solko | jeudi, 05 novembre 2009

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