mercredi, 29 juin 2011
A vomir
Je me souviens de ma vieille Remington qui devait ressembler à peu près à ça, je lui trouvait un air vachement sensuel et moderne, qui faisait un vacarme d’enfer avec ses touches comme à ressorts, lequel vacarme m’accompagnait pourtant dans le rythme de mes phrases qui emportaient mon silence et, sur la feuille de papier glissée contre le rouleau noir au mou épais, fixaient des scènes, des personnages, leur colère, leur désir, leurs dialogues, leurs décors aussi, mes fautes de frappe : je me souviens soudain de ces rubans correcteurs et aussi de ces minces feuilles qu’il fallait glisser entre la lettre déjà frappée et celle de fonte qui s’abattait, attention les doigts, et de toute la poussière blanche qui finissait par se répandre partout comme de la sciure de bois scié, une marque s’appelait je crois typo ou typex, je me souviens du retour à la ligne et de son cling d’horloger et aussi de la touche majuscule, on aurait dit tout à coup que la machine se mettait à bailler, elle s’élevait et se rabattait de toute sa mâchoire sur son support, c’était en mille neuf cent soixante douze ou quinze, par là, nos passeports étaient encore bleus, je m’en souviens aussi pour passer les frontières et nous rendre vraiment à l’étranger, oui, l’Italie, la Yougoslavie, la Grèce, la Roumanie, c’était je m’en souviens l’étranger, presque une insulte à présent, avec ses gens, ses paysages, ses langues, ses monnaies, ses iles et ses chemins même pas goudronnés partout, même si, pour relier tout ça, les autoroutes et les stations services, ça commençait à se répandre, et les grosses villes comme Copenhague, Amsterdam, Hambourg, Paris, Munich étaient à leurs portes emplies d’auto-stoppeurs dont bien peu étaient de vrais routards, mais juste des étudiants voire des lycéens qui se la jouaient un peu Kerouac un peu Arthur un peu aussi Lennon ou Dylan, Ferré aussi, il y avait de tout, et tout ça se retrouvait sur les feuillets de cette vieille Remington et dans la cuisson d’un désir, d’une ambition, d’un idéal, appelez ça comme vous voudrez, les sciences humaines n’avaient pas encore tout encarté et quelque chose du romantisme de 1830 flottait encore dans l’air vicié d’après 1960, comme la queue d’une mémoire avec la grâce d’une comète qui s’étirait encore sur nos livres, nos chants, nos vagues projets qui de toute façon n’auraient jamais pu se réaliser tant le simple mot de Réel nous paraissait à vomir, oui, se réaliser, c’était une expression à vomir, je me souviens…
15:39 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : remington, routards, années 1970, littérature, écriture |
Commentaires
Citant l'odieux mot "analyse" je pensais en même temps à "introspection" qu'il avait remplacé...
A moins d'avoir l'esprit tourné à la boutade, ce dernier n'a rien de médical... mais pour un résultat finalement plus bénéfique.
Écrit par : Vinosse | mercredi, 29 juin 2011
Écrit par : solko | mercredi, 29 juin 2011
D'un autre côté, ceux qui prônaient encore le refus, notamment dans les meneurs politiques, dans les années 60, ont bien corrigé le tir depuis...
Écrit par : nauher | mercredi, 29 juin 2011
Comme dit Villon, "je plains le temps de ma jeunesse..."
Écrit par : solko | mercredi, 29 juin 2011
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 29 juin 2011
A droite comme à gauche les artistes se mettent en place, ils font les balances pour le festival des hauts parleurs qui va durer un an.
Soyons compassionnel pour le petit Baroin qui pique sa crise, il veut les finances à sa Bercy.
Soyons sans indulgence pour cette femme qui veut s'enfuir dans son pays pour faire capoter une cérémonie nuptiale et priver le bon peuple de réjouissances frelatées. Il s'en passe des choses dans les aéroports à New York , un illustre est emmené au poste (de police) pour une agression dans un hôtel.
a Monaco,c'est je t'hymen à l'autel que çà te plaise ou non.
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 29 juin 2011
Écrit par : solko | mercredi, 29 juin 2011
Écrit par : nauher | mercredi, 29 juin 2011
Cela n’empêche pas les de faire les balances pour s artistes de se mettre en scène et de faire les balances pour le festival, quinquennal, des hauts parleurs, le petit Baroin pique sa crise, il a envie de "budget" le gars et de gérer les crises monétaires.
A New York , un "people" se fait arrêter dans un avion pour comportement douteux dans un hôtel. A Monaco, une jeune femme est empêchée "hélico" de s'évader, elle doit être menée à l'autel pour réjouir le bon peuple et l'orgueil du prince.
Remington,rolling stones, on ne se doutait pas que sonnait le glas de l'amateurisme et que commençait le règne du business sans frontière.
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 29 juin 2011
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 29 juin 2011
Quand on clique sur "répondre à un commentaire", le mot se retrouve sous celui à qui on a répondu, d'où ces mélanges anachroniques...
Écrit par : solko | mercredi, 29 juin 2011
Ranger sa chambre, si on veut, mais comme au pensionnat ou à l'armée, selon des règles.
L'idée même de décor qui reflète notre propre personne, en est étrangère.
Et sans elle, comment peut-on écrire ou peindre ou ... quoi que ce soit.
Moi le premier mais beaucoup de gens aussi ont préféré un désordre significatif qu'à un ordre commun...
Écrit par : Vinosse | mercredi, 29 juin 2011
Vive le désordre significatif !
(il en est de même, d'ailleurs, pour les bibliothèques)
Écrit par : solko | mercredi, 29 juin 2011
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