mardi, 24 mai 2011
Convalescent
Complètement tiré d’affaires mais pas encore rétabli. Une semaine qu’il avait quitté l’hôpital. Drôle d’état, cet entre-deux. « Convalescent ». Ce qu’en dit le Robert : du participe présent latin « convalescens », reprendre des forces. C’est un peu ça, se tâtant le poumon, pensif : de la vigueur, vieille éponge, du punch, sacré vieux pilote.
Il n’était plus là-bas, il n’était pas encore ici.
Là-bas, cet hôpital bâti un peu en hauteur, juste après l’annexion de la Croix-Rousse, ceux sur qui la maladie a mis son grappin pour un jour pour un an pour la vie, ici, cette existence dont il avait été extirpé sans ménagement et dont la vanité de chaque jour, chaque heure, chaque minute lui sautait à nouveau aux yeux depuis. Entre.
Plus ce malade dépendant, pas encore cette personne autonome. Entre hier et demain. Reprendre, se disait-il, c’est prendre à nouveau. Des forces, certes. Et puis quoi d’autre ? Quelle sale autre habitude, quelle autre saloperie, quelle autre illusion de chaque moment ? Trier. Un sacré tri, même. Vigilance, à ce point, est-ce possible ?
Là-bas, cette communauté de soignants, ce cortège de visages, de regards, de mains, de pas, de voix, de gestes, l’un, l’une, dans l’uniforme blanc épousant la forme qu’avait laissée l’autre, le jour passant de silhouette en silhouette, la nuit avec le matin à son bout comme si ni l’un ni l’autre n’étaient plus un mystère, là-bas, cette façon séculaire d’affronter la douleur de tous, de traiter la souffrance pour ce qu’elle est, un simple élément du Réel sans en mythifier ni le moins ni le plus. Ici, ces autres communautés, ces autres métiers, d’autres tâches. Un certain oubli, pour sûr, une sorte d’inconscience nécessaire. La société, la leur, notre, qu’ils disent.
« L’écrivain qui pose la plume est mort ». Parlait en médecin-sentinelle, le bon docteur Reverzy, du corps et de l’esprit. En habitué du lieu et coutumier du fait. Poser la plume, l’ordre intimé chaque instant à tout citoyen. Taire la bouche, le cœur, tout le reste. Tous égaux et pareils, vieil agneau, mouton officialisé. Toujours tant d’autres trucs à faire.
Si la maladie peut être une grâce, c’est qu’elle est le contraire du social, ça qui est bien avec elle, garanti ! Nous ne serons jamais malades ensemble, tout au plus côte à côte, pour quelques paroles de réconfort. Chacun sa viande, fanfaronnait Céline. Bien raison. Retrouver sa frontière et tremper sa plume dans le temps qu’elle octroie. La viande qu’elle laisse. Le corps, ce vieux compagnon, se peut-il qu’il t’ait lâché ?
Oui, ça se peut. Plus une simple idée, une formule, ni un raisonnement, non. Failli, il n’en est devenu qu’un meilleur encrier, avec son bout, bref et sûr, qui a point là-bas.
Cette force, cet alphabet, cette miséricorde, cette commune merci, à reprendre, convalescent.
08:55 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, jean reverzy, écriture, hôpital de la croix-rousse |
Commentaires
Je ne sais pas trop pourquoi mais c'est intimidant.
Écrit par : Sophie | mardi, 24 mai 2011
Quel beau texte, Solko.
Écrit par : Michèle | mardi, 24 mai 2011
:0)
Nouvelle essence, donc.
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 25 mai 2011
Je comprends Sophie mais je ne trouve pas ce texte intimidant mais intimiste, il renvoie à l'intime de l'auteur et du lecteur. En répons, il ne pourrait y avoir qu'un autre témoignage.
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 25 mai 2011
Merci de vous de suivre les circonvolutions d'une expérience imprévue, inédite que faute de mieux, on appelle convalescence. Les mots sont gens de peu.
Écrit par : solko | mercredi, 25 mai 2011
Un témoignage est rarement de la littérature. Il y faut un écrivain pour "réussir" ce transfert du dedans vers l'extérieur, de l'informulé vers l'écriture.
C'est Sylvie Germain qui parle d'une recomposition d'un "corps". De l'écriture, comme du "lu meurtri, de la blessure lue, rendue lisible".
Ce qui nous permet de lire un écrivain, c'est qu'il écrit à partir d'une faille, à la fois intime et commune à tous les humains ; "intime et anonyme".
"C'est sur la peau humaine que l'écrivain se penche, pour y procéder à une auscultation" (auscultare = écouter).
L'auscultation, qui est autant scrutation et palpation, se poursuit à l'infini...
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
Je m'adressais à Patrick et que vous ayez répondu entre-temps, Solko, pourrait donner un autre sens à mon post.
Je redis donc que votre texte, Solko, me touche parce que c'est un texte d'écrivain. Qui réussit cette saisie, impossible à qui n'écrit pas.
Écrit par : Michèle | mercredi, 25 mai 2011
Ben alors qu'apprends-je au détour d'un mail???? [merci SOPHIE K.!!]
Écrit par : Paleblueyes | mercredi, 08 juin 2011
@ Paleblueyes : Tout ça aurait pu mal finir en effet. Avec le temps,ça se remettra qu'on m'dit. Patience.
@ Sophie : Merci messagère providentielle !
Écrit par : solko | mercredi, 08 juin 2011
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