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dimanche, 03 août 2008

Jean Reverzy (1914-1959)

Jean Reverzy est né l'an 1914, au commencement d'une guerre qui allait enflammer la planète entière, bouleverser une première fois la face du monde, et dont son père ne revint jamais. "Depuis la mort lointaine de mon père, nous habitions, ma mère et moi, un appartement à façade dont les fenêtres s'ouvraient sur ce désert investi par la Médecine". Ce désert, c'est la place Bellecour, qu'il immortalisera dans "Place des Angoisses". "Je crois, écrit-il dans l'un de ses premiers textes qui date de 1931, à l'originalité de ma mélancolie". Pour une vie entière, Reverzy définit dans cette phrase un véritable programme d''écriture, dont l'œuvre dense et brève qu'il compose à Lyon sera la matière exigeante, minutieuse. Un premier roman achevé, Le passage, obtient en 1954 le prix Renaudot et le révèle au grand public. C'est l'histoire d'un homme revenu de Tahiti pour mourir à Lyon, sa ville natale. "Crever", dit-il. Œuvre difficile, presque clinique, dans laquelle il suit les derniers instants de son personnage, comme à la recherche de "l'originalité d'une mélancolie". Et ce,  jusqu'à l'agonie finale. Et ce, jusqu'au passage. Mais Palambaud ne livrera, malgré l'éviscération totale qu'il subit tel un objet consumé entre les pattes des médecins, aucun secret particulier " J'aurais pu à notre dernière rencontre, celle qui venait de s'achever, toucher du doigt son cœur, ses poumons, son foie, tout ce qui paraissait le composer et qu'il n'avait jamais vu, et tout cela ne m'avait rien appris. Nous étions passés l'un près de l'autre comme deux étrangers, comme deux animaux d'une espèce différente.  En vain, je cherchais un sens à des mots que nous avions échangés, au contact de nos mains qui s'étaient serrées, aux rencontres de nos regards." Une originalité si profonde, donc, et si propre à chacun, qu'elle ne se rencontre pas, ne se partage pas. Mais elle fonde une quête, assigne à la littérature une mission tout aussi noble que celle dont se revendique avec orgueil la médecine : non pas soigner, mais comprendre, ou tout du moins ressentir.

La mort. La mort est au centre du travail de Jean Reverzy. Qu'il soit médecin ou écrivain, il demeure "le compagnon des agonisants" ( Ecrivain, note-t-il dans son cahier : métier de moribond). "Car l'agonie peut durer une seconde ou des années : elle commence à l'instant où l'homme croit sa mort possible; la longueur du temps qui l'en sépare n'importe, et quiconque a saisi le sens de l'écoulement, du passage, est perdu pour les vivants. Et du jour où la mort triomphe et s'installe en maîtresse dans un cerveau, c'est pour abolir - à l'exclusion d'un exact sentiment de fluidité de l'existence - toute lutte, tout désir, toute affirmation de soi et aussi toute angoisse." (Le passage, ch. 12). René Char, l'un de ses contemporains, écrivit un jour : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil ». Combien cet aphorisme pourrait s'appliquer à Reverzy !

 Le narrateur de "Place des Angoisses" n'est-il pas (comme d'ailleurs celui de Ciel de suie d'Henri Béraud, autre roman lyonnais) un médecin des pauvres ?  Il y a dans ce deuxième roman un passage éclairant où les deux vocations de Reverzy, médecine et écriture, paraissent se frôler, se conjoindre. Le médecin se trouve  chez un ouvrier du quartier "Sans-souci", son secteur de prédilection. L'ouvrier vient de mourir : quels mots offrir à la veuve, près de lui : "Je n'avais encore rien dit, et décidai de ne rien dire. Certes, je crois au pouvoir de paroles simples, mille fois redites, perfectionnées par l'usage, machinales et cependant nuancées, qui tout en promettant la guérison ne découragent pas trop de mourir. Chacun a la maladie qu'il mérite et la maladie ressemble à celui qu'elle a frappé. Les pauvres redoutent l'espérance; le bonheur leur fait peur ou les offense; et leur maladie résignée, sombre, sans hargne, est à leur image. Mon langage s'accorde à leurs tourments. Mais il est vain de haranguer les morts."

 

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Pour ma part, j'aime beaucoup cette photo de lui, qui provient du fonds de la bibliothèque de la Part-Dieu. On l'y voit lecteur de livres, davantage que de corps malades, lui qui dans Nécropsie, un texte datant de son internat à l'hôpital de la Croix-Rousse, proclamait déjà : "J'affectais involontairement l'amour de la médecine, alors que James Joyce était le dieu que j'adorais." D'après Jean-François, son fils, Reverzy conserva peu de livres auprès de lui, peu de meubles, également, dans le deux-pièces proche de son cabinet, qu'il habitait au moment de sa mort. "Le seul lieu de lecture qu'il sacralisait était le bibliothèque municipale de Lyon", où il se rendait souvent le dimanche. "Je regarde, écrit-il dans son journal, le 6 septembre 1957, sur un rayon de la bibliothèque, les deux livres que j'ai écrit; ils sont là, tout petits, serrés d'un côté par Edgar Poe, et de l'autre par les 32 volumes des œuvres complètes de Bossuet : si les bouquins ont une vie, ils doivent se sentir mal à l'aise. Pour leur donner plus d'importance, j'ai mis à côté des traductions. Mais cela ne fait pas encore très gros quand je donne le coup d'oeil du propriétaire."

Une oeuvre courte, certes, qui remplit tout de même un volume de la Collection Mille et une Page de Flammarion, les textes inédits offrant un éclairage décisif sur le projet qui la sous-tend, la quête de cette originalité, que le monde des vivants compromet singulièrement.

« La ville de Lyon, écrit Jean François qui commente les textes de son père (1), jamais nommée, est au centre de l'oeuvre de Reverzy. Il avait avec la vieille cité gallo-romaine un lien organique et quasi-fusionnel. On pourrait dresser une cartographie de ses oeuvres autour des différents points cardinaux : la place Bellecour et la Croix-Rousse, Saint-Jean et la place des Terreaux, et plus loin les Brotteaux et le parc de la Tête d'Or, enfin Montchat et Villeurbanne. »

Jean Reverzy est mort le 9 juillet 1959, à quarante-cinq ans. On vient de passer, dans une souveraine indifférence, l'anniversaire des 80 ans de la naissance de Louis Calaferte. Tout laisse à penser que le cinquantenaire de la mort d'Henri Béraud passera tout autant inaperçu en octobre. Reverzy sera-t-il mieux loti, l'an prochain ? Pourquoi la ville de Lyon ignore-t-elle à ce point ses grands écrivains disparus ? Croit-elle donc en avoir vu naître tant que ça sur son sol humide ? N'a-t-elle pas remarqué que Béraud supporte largement la comparaison avec Giono, Jolinon avec Mauriac, Reverzy avec Camus, Calaferte avec Le Clezio ? Pour conclure ce trop rapide billet, quelques lignes de Reverzy sur Lyon, la ville ingrate entre toutes :

.« J’étais à Lyon sur les quais du Rhône et sous des platanes extrêmement parfumés. Le soleil se tenait entre d’extraordinaires images dont le relief et l’incandescence me stupéfiaient et à droite de la colline dont la seule image me rappelle l’odeur délicieuse des vieux bouquins de piété. Je me souviens que le Rhône découvrait de longs bancs de cailloux d’une blancheur absolue… Mais n’oubliez pas qu’à l’horizon fondait de l’or et de l’or… Or moi, fumant des cigarettes américaines ou plutôt buvant leur arôme, je regardais passer ces lumières; toute l'après-mdi, j'avais vagabondé dans un parc public dans une débandade de fleurs et d'arbres dont je ne sais le nom, et que réfléchissaient d'étroits canaux. Ce parc m'était autrefois un refuge alors que, maintenant, son seul souvenir m'afflige et m'attriste : car il semble trop riche, trop parfumé, et m'y promener deviendrait pour mon esprit une torture mortelle. Mais en septembre 32, je l'aimais vraiment et aussi, en peu d''heures, j'avais commis de grave excès de couleurs et surtout de parfum; Dans la lumière inquiète et blanche du sunset, je vis s’éclairer des fenêtres ; ça et là tremblèrent de minuscules cristaux rouges. Un mystérieux esprit m’envahit, que j’appelle le Mal du Soir. »

(1) Jean Reverzy, Oeuvres Complètes, 1001 pages, Flammarion, Paris 2002.

 

09:50 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, reverzy, lyon, le passage, place des angoisses, le mal du soir | | |

Commentaires

que voila de bons conseils de lecture...et puis il faudra que je relise "la gerbe d'or" de beraud.

Écrit par : romain blachier | samedi, 19 juillet 2008

Relire, et puis faire connaitre autour de vous... Ce Lyon de la Belle Epoque est à la fois très proche de nous par ses décors et déjà très lointain. Tous les jeunes gens à qui je l'ai fait lire - et parmi eux des lecteurs très occasionnels - ont été touchés par ce récit d'enfance, les très belles pages sur le père et les descriptions de la ville très picturales. La suite ( Qu'as tu fait de ta jeunesse ), qui conte les souvenirs d'adolescence, avec Charles Dullin, Paul Lintier, Albert Londres, est également très émouvante. Bien à vous

Écrit par : solko | samedi, 19 juillet 2008

Moi qui ai longtemps habité avenue Lacassagne, à la limite du quartier Montchat, je peux vous dire que Jean Reverzy fut vraiment aussi le peintre de ce quartier alors peuplé de modestes gens. Je posède l'édition Flammarion 1001 pages, qui est une très belle édition de ses oeuvres complètes, préfacée par son fils et qu'on peut recommander à tous.

Écrit par : S;Jobert | dimanche, 30 novembre 2008

@ S.Jobert : Oui, ce calme de Montchat, je n'ose imaginer ce qu'il était du temps de Reverzy. Grâce à vous, j'en ai goûté quelques impressions, en dehors et en dedans de la ville, mi quartier, mi village - modeste est bien le mot, en effet. Merci de votre appréciation.

Écrit par : solko | dimanche, 30 novembre 2008

Je retrouve cette citation dont je vous parlais avec la rue en pente, c'est p. 882 (28 mars 1957 ) :
"A la fin de l'après-midi, je m'arrête devant la perpective d'une rue montante où je passe tous les jours depuis des années. Je crois la voir pour la première fois. Une réflexion "orginale" me traverse l'esprit; cela se passait il y a deux heures : je l'ai oublié. Mais elle a suffi à mon étonnement".

Écrit par : S. Jobert | dimanche, 30 novembre 2008

@ S.Jobert : Merci de l'avoir retrouvée.

Écrit par : solko | dimanche, 30 novembre 2008

Jean Reverzy : Un écrivain injustement oublié à présent. J'ai relu "Le passage" dernièrement, son prix Renaudot, et je trouve que la force de cette écriture est intacte. L'originalité de sa mélancolie, oui, mais aussi le caractère universelle de la mélancolie et du regret de la vie devant l'approche de la mort

Écrit par : Filoche | samedi, 20 juin 2009

@ Solko : Et toute l'expérience quotidienne de sa vie à Monplaisir, de médecin des pauvres et d'écrivain alors méconnu. Une mélancolie existentielle, si ça se peut dire.

Écrit par : solko | samedi, 20 juin 2009

Encore un "billet" magnifique qui donne envie comme toujours chez vous, de rentrer dans les livres que vous citez.
Tiens, les "points cardinaux" de Lyon me parlent.
Vous citez Calaferte. J'ai commencé par Septentrion : une révélation. Ensuite j'ai lu le Requiem des innocents... puis No man's land... Satori mais c'est avec Septentrion que j'ai "fusionné". Je me suis dit alors : mais comment se fait-il qu'un tel écrivain ne soit pas mieux connu?
Il faut que je lise Reverzy, toutes affaires cessantes.

Écrit par : Ambre | samedi, 20 juin 2009

Si Lyon vous fascine, l'action d'un des plus beaux romans de l'après guerre s'y déroule. C'est en effet dans les deux étendards de Lucien Rebatet que l'on retrouve le rapport le plus intense, le plus viscéral d'un auteur pour sa ville.

Écrit par : Bruno | lundi, 01 novembre 2010

@ Bruno : Pas sûr que Rebatet atteigne Béraud dans ce "rapport intense" avec la ville. Mais en effet, il y a matière à un billet. J'ai les deux tomes à portée de main et j'y pense pour .... un jour.
Merci du commentaire

Écrit par : solko | lundi, 01 novembre 2010

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