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vendredi, 21 janvier 2011

Céline et la célébration

 J'apprends en consultant les pages divertissement (sic) de la page Google que, sur la plainte donc d'un simple (?) citoyen, l'un des écrivains majeurs de la littérature du vingtième siècle vient de se voir retirer d'un volume officiel paru avec la validation du ministère de la culture. C'est proprement sidérant. Ces associations et leurs présidents, qui font désormais la loi sur ce qui est français ou non, de la Halde et SOS Racisme dans l'affaire Zemmour à la FFDJ dans cette affaire-là sont-ils devenus des états dans l'état, des potentats devant lequel se couche un pouvoir politique émasculé qu'on siffle comme un larbin ?

Quelle tenue, de toute façon, quelle lucidité, quel courage attendre de ce ministre de la cul-culture, commentateur de bals mondains et amateur de tourisme sexuel ? Mais à ce point...  Le fait du prince désigne désormais, comme sous l'Ancien Régime, ce que l'honnête citoyen doit lire ou pas, comprendre ou non, porter aux nues ou vouer aux gémonies. Et Céline, grâce à ces imbéciles vient de se voir octroyer par la République le statut qui fut celui de Sade jadis, celui de l'Enfer. Une place de choix, s'en rendent-ils compte ? 

Quelque chose qui se passe dans ce pays, dans la privatisation des biens, des goûts, des consciences, des paroles, m'échappe encore et semble échapper encore à beaucoup de gens. Nous sommes réellement gouvernés par des cons, et ce qui est triste, c'est que ceux qui représentent l'alternance  ( -quel sens désormais pour signifier "opposition" !-, le sont au bas mot tout autant qu'eux)... Quelles armes prendre, face à cette connerie ? 

 

 

billet publié ce matin : 

 

La République doit-elle ou non célébrer Céline ? Décidément, les débats paradoxaux font rage en ce moment !  Le génial écrivain mort il y a cinquante ans s’étant vu, dans le « recueil 2011 des célébrités nationales », attribué sa notice parmi d’autres français célèbres, Serge Klarsfeld « s’indigne » qu’une si saugrenue idée ait été émise et rallume la polémique une fois de plus. 

La notice en question a été rédigée par Henri Godard, dont l’avocat médiatique épingle cette phrase : «Il (Céline) se tient soigneusement à l'écart de la collaboration officielle » pour exiger ni plus ni moins le retrait des pages sur Céline du recueil. C’est-à-dire, disons le mot, sa censure.

 

« Entre nous, il faut leur ressembler de tout point ; mais ne pas désirer que la graine en soit commune» affirme le neveu de Rameau de son oncle,  dans le dialogue d’un autre siècle de Diderot. Cette phrase lance le passage fort connu sur la moralité de l’homme de génie.

On pourra toujours, avec MOI et LUI, se demander s’il faut préférer un homme bon « faisant régulièrement tous les ans un enfant légitime à sa femme, bon mari ; bon père, bon oncle, bon voisin, honnête commerçant, mais rien de plus » ; ou un « fourbe, traître, ambitieux, envieux, méchant ; mais auteur d’Andromaque, de Britannicus, d’Iphigénie, de Phèdre, d’Athalie. » Le débat pourra toujours faire  couler de l’encre (dorénavant virtuelle). Le maire Delanoë ne s’est-il pas déjà illustré, avançant cette prise de position très courageuse et fort instructive, car ô combien originale : « Céline est un excellent écrivain mais un parfait salaud. » ?

Ainsi posé en termes  binaires, le problème à tous paraîtra insoluble puisque « l’excellent écrivain » et « le parfait salaud » ont eut l’incongruité de cohabiter en un même esprit, un même corps, une même époque et, désormais, un même énoncé. La République aimerait n’avoir sous la patte que des Hugo et des Zola aseptisés qui ressembleraient à sa morale pour les panthéonniser en toute bonne conscience et retourner roupiller sous ses plafonds dorés. Hélas, les écrivains sont des gens libres, pauvres et mal élevés. Et certains dérangent plus qu’il ne faudrait.

Grâce aux besogneux ciseaux des censeurs de l’épuration, la République a donc pu en son temps tailler un short à nombre d’entre  eux : le lyonnais Béraud fit les frais de l’esprit plus partisan que littéraire de certains imbéciles. On alla bien plus tard jusqu’à chercher des poux à Georges Steiner qui eut le mauvais goût de trouver que Les Deux Etendards de Lucien Rebatet était plus qu’un excellent roman, un chef d’œuvre. Aujourd’hui, c’est Henri Godard, qui fut mon professeur à Jussieu, qu’on embête. Disque rayé aux fétides accents ?

Much ado about nothing, aurait plutôt dit le grand Will, puisque le débat, au fond, se réduit toujours à la même proposition binaire : faut-il préférer l’homme et la moralité ou l’écrivain et l’art ? Pour sortir d’une proposition de ce type qui ne trouvera jamais sa résolution en l’état, Gregory Bateson et Paul Watzlawick, les penseurs du Collège Invisible que j’évoquais déjà dans le billet précédent à propos « du double-bind » ont pourtant une solution : trouver un moyen de « sortir du cadre », ou de « quitter le terrain » c’est-à dire « méta communiquer », comme ils le disent, afin de « soulager le sentiment de désespoir associé aux doubles contraintes ».

Dans ce cas présent, faire savoir clairement, par exemple, que si on célèbre ce qu’on appelle « l’œuvre », c’est-à dire cet ensemble de textes complexes  qui va du Voyage au bout de la nuit écrit en 1932, à Bagatelles pour un massacre en 1938, Guignol’s band en 1944 et D’un château l’autre en 1957, on ne célèbre pas ce qu’on appelle « l’homme » et pas non plus l’antisémitisme haineux qu’il soulève et charrie.

 

 « Lentement, livre après livre, Céline s’est guéri lui-même par ses livres de sa propre maladie qui consistait à vouloir guérir autrement qu’en disparaissant dans des livres. C’est une tragédie intégralement littéraire », conclut Philippe Muray (1) à la fin de son remarquable essai : Et se demande-t-il, « peut-on survivre à la modernité ? ».

Cette conclusion qu’on pourrait aussi appliquer au si poignant Béraud de Quinze jours avec la mort nous ramène au dilemme dont on débat aujourd’hui qui est celui du faut-il ou ne faut-il pas (et dont je pense entre nous que Céline se fout pas mal, mais enfin…).

Dans quelle infinie  indignation se perd-on enfin, et pourquoi la célébration de l’écrivain n’est-elle pas l’occasion de mettre à nu la dérive de l’homme et, avec lui, d'une époque  (car telle est, au fond, la trajectoire de l’œuvre) ?

celine2.jpg

 

photo d'identité du délit

 

Si l’œuvre de Céline, comme celle de tous les Grands, pose une question cruciale, c’est bien celle que notre société de culs-bénis de plus en plus incultes refuse de se poser (alors qu’elle baigne dedans avec une obscène et médiatique impudeur) : la question du mal. Mal qu’elle croit éradiquer à coups de décrets et dont elle ne fait, paradoxalement, que solliciter l'existence. Triste, cuistre  et sotte époque, assurément ...

 

(1) Philippe Muray, Céline, Seuil 1981, Gallimard, 2001

Suite : http://solko.hautetfort.com/archive/2011/01/22/celine-et-...

 

Commentaires

Céline... Quel Céline, en effet ? Au delà de son antisémitisme, l'homme était pour le moins marqué par une misanthropie qui continue de le desservir. Mais cette misanthropie, d'où venait-elle sinon, entre autres, des multiples expériences qu'il fit de l'humaine condition au XXe siècle ? "Voyage au bout de la nuit" est un livre décisif, qu'on le veuille ou non et ce serait une idiotie majeure de vouloir l'ignorer. Ses brûlots antisémites existent : ce sont des pages hideuses et grotesques. Faut-il les ignorer ? Faut-il ignorer le contexte dans lequel elles sont parues ? Et l'accueil qu'on leur fit alors, de Marcel Arland à André Gide qui y vit "un jeu littéraire" en passant par Morand ? Céline n'est pas tout seul dans l'affaire.
S. Klarsfeld s'indigne. Soit. Il serait bon de lui demander alors pourquoi tant d'écrivains, y compris juifs, veulent sauver Céline (bien plus que d'autres d'ailleurs, moins voyants pourtant) ? La question du style peut-elle, à elle seule, sauver un écrivain de la sauvagerie avec laquelle il a parfois éructé ? C'est me semble-t-il une bien mince explication...
Quant à la commémoration de Céline : Klarsfeld veut-il qu'on rétablisse la damnatio memoriae ? Pourquoi pas ? Auquel cas je crains que la littérature des XIXe et XXe français ne se réduise singulièrement.

Écrit par : nauher | vendredi, 21 janvier 2011

Quand on voit la connerie qu'est devenu le fait littéraire livré aux mains de l'institution, et l'ineptie de ce que plébiscite le marché éditorial, je me demande si finalement, le bannissement manifeste de la littérature n'est pas encore le mieux qui puisse lui arriver.

Écrit par : solko | vendredi, 21 janvier 2011

Je ris, parce que c'est à cause de cet actuel et definitivement épuisant "double-bind", et aussi à cause des castagnes passées sur notre site à propos, justement, de Céline, que je me suis amusée à y créer l'odre des Chevalier du Ni-Ni (en hommage aux Chevalier du Ni des Monty Python)...
Sortir du cadre, oui. Vite.

Écrit par : Sophie K. | vendredi, 21 janvier 2011

(Pardon pour les fautes, j'ai tapé trop vite, il manque des lettres à ce commentaire.)

Écrit par : Sophie K. | vendredi, 21 janvier 2011

Solko:

Je trouve ce billet plus pertinent que celui que vous produites sur Hessel qui ne méritait qu'une brillante mécanique intellectuelle, à son dernier écrit qui ne semble être que "littérature" . Vous fûtes un brin casuiste si je puis me permettre de le penser. J'avais le pressentiment
que Céline débarquerait. Dans un manichéisme facile, Céline incarnerait le Mal, Hessel , le Bien . L'un fit œuvre d'écrivain, le second fut un acteur du champ politique. Faut il en sauver un , couler l'autre, les sauver tous deux ,les couler tous deux? Vous avez , doublement raison. Ils s'en foutent l'un et l'autre. Il s'agit de notre regard sur nous mêmes, sur notre vision d'êtres au monde en essayant de nous éclairer à la lumière de la mémoire prêtée à l'Histoire, écrite de mémoire avec les trous que cela suppose. Vous avez , encore raison, quand vous affirmez qu'il faut sortir du cadre."Mettre à nu la dérive de l'homme et avec lui celle d'une époque" qui manqua, bigrement d'une foule de Hessel, est un vaste chantier qui est loin de faire consensus . De Gaulle jeta sur les affreux secrets et les vérités qui grouillaient dans le lit de l'histoire , un drap d'héroïsme hypocrite. Je n'aime pas la question du Bien ou du Mal, au mieux , pour moi, c'est un couple infernal. Il n'existe, peut être pas. Il apparait pour de mauvaises raisons, c'est une girouette subjective qui se laisse interpréter au gré des vents.
L'utilité d'un paradigme morale ne vaut qu'en fonctions de finalités qui lui sont extérieures. je n'attends pas de la République qu'elle célèbre ou non telle ou telle œuvre littéraire mais qu'elle veille à des conditions d'existence décentes pour chacun et conforte ceux qui travaillent en ce sens.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 21 janvier 2011

Berthold Brecht: "d'abord le ventre plein", "l'homme ne vit que d'oublier sans cesse, qu'en fin de compte, il est un homme"

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 21 janvier 2011

Solko:

Effectivement, je participe à un travail collectif de mise au plateau d'une pièce de théâtre. J'ai découvert cette pièce à Lyon à l'occasion d'une journée consacrée à la découverte de jeunes auteurs contemporains. Pour être contemporain, il faut être né après L'homme de Lascaux. Si vous êtes un lascar qui correspond à ces conditions, n'hésitez pas à me le faire savoir, je ferais un coup de théâtre .

J'ai du mal à savoir où va conduire et me conduire ce travail. Le groupe est un agglomérat d'amateurs et de professionnels. Un de ces derniers s'est auto proclamé "conseiller artistique" . Je trouve qu'il conseille beaucoup et est persuadé que sa méthode de directeur artistique est la bonne et la seule. J'ai envie de découvrir mes capacités à mettre en scène un texte. J'ai commencé à faire fi des consignes, et à coucher par écrit les émotions qu'éveillait en moi ce texte, de façon à faire émerger des images mentales. Je me refusais à décortiquer le texte. Ce que nous avons commencé à faire ! Il me faut attendre pour me faire une opinion sur l'intérêt que je trouve à persévérer, en attendant, je continue ma démarche, en essayant de ne pas me laisser intoxiquer.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 21 janvier 2011

Après l'homme de Lascaux ?
Et si on se trimbale avec 4% de gènes de Néanderthal ?

Écrit par : solko | vendredi, 21 janvier 2011

Cher Solko, votre ajout en bleu est effectivement désespérant. Entre l'interdiction récente des dessins exposés de Reiser aux mineurs (de la part de Delanoë) et le retrait de Céline, on en revient aux années 1950, décidément - sans les penseurs d'alors hélas. C'est stupéfiant.

Écrit par : Sophie K. | vendredi, 21 janvier 2011

Merci de nous rappeler cette exposition et le rôle de Delanoë là-dedans.
Il faudrait lister tout ça. Et trouver des moyens de réagir efficacement.

Écrit par : solko | vendredi, 21 janvier 2011

Solko:

Je crois que le mot "privatisation" peut prêter à confusion pour ce qui concerne " les goûts, les consciences, les paroles" . Il se répand une forme de totalitarisme insidieux de la part de l'état, des managers, des "décideurs" de tout poil. Une mayonnaise rance pollue l'atmosphère. Nous vivons dans un cimetière où les commémorations voisinent avec les anathèmes.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 21 janvier 2011

Oui. Privatisation = confiscation par les manoeuvres de tel ou tel communautarisme/antagonisme.

Écrit par : Solko | vendredi, 21 janvier 2011

Merci pour Céline, Solko; vous savez comme moi que les salauds ne sont pas forcément là où on croit les trouver... Et vous avez raison, je pense que Céline s'en fout. Une chose est sûre: il laisse à des encablures du rivages ses détracteurs. Ni Klarsfeld ni aucun censeur ni pourront rien changer. Ils disparaîtront, lui demeurera parce qu'il était de taille à "faire fondre vingt années de banquise", c'est ainsi.

Écrit par : Agaric | vendredi, 21 janvier 2011

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