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mardi, 25 décembre 2012

J'entends l'appel des lieux profonds

Pour quelques amis athées

Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas parler de Dieu, de la foi, de la religion, parce qu’on a vite fait de tirer un parti personnel d’un tel discours : pour avoir rencontré dans mon existence bon nombre de gens particulièrement habiles en cet art, et avoir été quelque peu désabusé par leur pratique, je me tiens généralement éloigné de ce type de conversations qui, par ailleurs, finissent rapidement en controverses insolubles.

De retour de la collégiale Saint-Nizier ce soir de Noël, je me sens pourtant de dire ici quelques raisons de ce qui me fait catholique et non pas protestant, bouddhiste, hindouiste ou musulman, et non pas athée.

Ma naissance, tout d’abord. Je suis né dans une famille chrétienne bien que fortement désunie, passablement ruinée et fort peu pratiquante: on a tenu à me baptiser et cela garde à mes yeux un sens séculaire. Par mon baptême et bien au-delà de cette famille, je suis lié - en quelque ville que je me rende - à ces églises parfois somptueuses et parfois délabrées, à cette Eglise et à ce pape décriés par tant d’imbéciles incultes ou de mauvaise foi ; je suis lié à ces siècles d’histoires qui firent la chrétienté sur un plan artistique et culturel autant que spirituel, je suis lié à cette Croix qui fit du Christ ce qu’il est, bien au-delà de tout ce que les uns et les autres murmurent de lui.

Lorsqu’on est un intellectuel dans cette France protestante, maçonnique, républicaine, révolutionnaire, bref, sur ce territoire qui s’est autoproclamé depuis deux siècles  le pays des Droits de l’Homme après avoir été la fille ainée de l’Eglise pendant de nombreux autres, on a pris l’habitude de considérer la naissance et la Résurrection du Christ comme des événements dont on ne peut accepter qu’une lecture métaphorique, tant la réalité d’une conception sans rapports sexuels et d’une résurrection des corps heurte la raison. Cette France a pris goût - depuis Renan - à ne considérer le Christ que dans sa réalité historique, parce qu’elle ne parle plus que cette langue qui méconnait le symbolique et ignore le merveilleux. Partant de là, si l’on concède encore à Dieu d’agir sur la dimension spirituelle ou intellectuelle, il lui est refusé d’agir sur la dimension matérielle, sur laquelle la science seule est autorisée à se prononcer. Pas de naissance miraculeuse, donc, et pas de résurrection.

C’est pourtant de cette action miraculeuse seule qu’il s’agit. Dans le monde fermé où nous vivons, croire à du croyable n’a ni sens ni intérêt, vraiment : dans ce monde fermé, croire n’a de sens et d’intérêt qu’à partir de l’incroyable, afin de conserver ouverte, dans ce monde de la mort, la capacité de croire, telle une (re)naissance, toujours reconduite; voilà pourquoi nier ou remettre en cause la virginité de Marie comme la résurrection du Christ ne relève ni du blasphème ni de l’hérésie, mais plus simplement d’une inutile finitude imposée à la foi, qui est par nature d’aspect infini. Autant, comme le dit Don Juan, croire que 2 et 2 font 4, plutôt que de croire à la façon des protestants ! D’ailleurs avec ma raison, je crois que 2 et 2 font 4, et avec mon cœur, que le Christ est ressuscité. Car il en va de la foi comme de la raison : toutes deux ont besoin de ce qui leur ressemble.

Et puis, si l’on tient à demeurer dans l’histoire des hommes, comment dire le simple émoi que me procure la vision du prêtre consacrant l’hostie ? Joyce, à sa manière burlesque, en fit l’ouverture de son magnifique Ulysse : Buck Mulligan, porteur de son bol de mousse à raser, l’élève dans « l’air suave du matin » de Dublin, en chantant Introïbo ab altare Dei. Ce geste parodique a beau se vouloir évidemment dérisoire, voire blasphématoire, sa présence en ce début d'opus demeure la preuve de son importance fondamentale dans l’histoire occidentale, que l'irlandais Joyce était bien placé pour connaître.

 « Vous ferez cela en mémoire de moi » : La transsubstantiation de l’hostie est l’unique raison d’être de la messe, la pierre sur laquelle s’est construite l’Eglise. On ne demande rien d’autre à un curé, pas même son sermon.  Ce geste m’unit à l’assemblée des fidèles morts et vivants dans le brouhaha de qui chaque communion me plonge, et qui murmurèrent comme moi qu’ils n’étaient pas dignes de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri… Qu’on me cite un autre rite dans la société occidentale qui – les quelques discutables interprétations apportées par Vatican II mises à part – ait subi si peu de modifications qu’il puisse comme lui me transporter au temps de la Cène et faire que la Cène et sa pierre de Béthanie vienne à moi ? Ce rite est le geste le plus parfaitement poétique que je connaisse. Et c’est en homme de théâtre que je parle, étant entendu que le théâtre n’est pas art de fiction comme le roman, mais de représentation.

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Nicolas Poussin, L'Eucharistie

Alors d’accord pour le ridicule des chants d’entrée, les voix de faussets  débitant des lieux communs à la louche, d’accord pour les paroissiennes à l’enthousiasme forcé, et pour l’autosatisfaction bien pensante des familles se congratulant, d’accord pour l’égoïsme petit-bourgeois des heureux, d’accord aussi pour les errances de l’Eglise, errances parmi d’autres errances; je dis simplement que ce geste venu du monde antique et apporté par le Sauveur transcende tout cela, comme la croyance en sa naissance et sa Résurrection donne sens à la frontière entre foi et raison. Faute de comprendre tout ce que ce geste signifie, je sens alors tout ce qu’il vaut.  Il m’est souvent arrivé, en allant communier, de penser à cette mère de Villon qui ne savait pas lire, et pour qui il composa sa Ballade pour prier Notre Dame, tout comme à cette messe de Pentecôte par laquelle commence le roman de Jaufré, tout comme à cette phrase du Journal de Bloy : « J’entends l’appel des lieux profonds » (1)

Sur ce il convient que je me taise. L’histoire sainte comme la moins sainte nous enseignent qu’en terme de foi, rien n’est acquis. Tout comme, d’ailleurs, en terme de raison. Ces quelques arguments, j’avais juste envie de les coucher sur écran, comme on dirait aujourd’hui, de retour de la messe de Noël, pour quelques amis athées.

 

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Godefroy, La Cène, musée de Chambéry

1 Bloy Quatre ans de captivité, 10 juillet 1902


Commentaires

C'est un très beau texte, Solko.

Mais, pour ma part, je pense qu'il est bien plus difficile d'être tout simplement chrétien que catholique, protestant, orthodoxe... Vous voyez où je veux en venir ? Ma fameuse idée sur le message du Christ ; message dans lequel je ne trouve ni trace du Pape, ou du baptême avant l'âge de raison, entre autres choses.

Cela dit, je vous souhaite de bonnes fêtes. Peut-être aurons-nous l'occasion de nous rencontrer en 2013.

P.S.: J'avais acheté La vie de Jésus de Renan. Il fait partie des nombreux ouvrages non lus dans ma bibliothèque. Je mets donc sur la liste, quand j'aurai fini la biographie de Thatcher par Jean-Louis Thiériot !

Écrit par : Jérémie S. | mardi, 25 décembre 2012

Renan, oui, c'est intéressant.Moins que Béraud ...

Écrit par : solko | mardi, 25 décembre 2012

Solko,
J'irai jeter un œil sur ce Béraud. Brasillach n'a pas eu sa chance... Cela me fait penser que j'ai aussi Comme le temps passe, à lire.

Écrit par : Jérémie S. | mardi, 25 décembre 2012

Vous vous livrez avec un très beau texte, bien construit et érudit comme à l'habitude. Il est riche par son humilité. L'allusion aux "imbéciles" contredit votre propos ,dommage!
Je suis, plutôt, apathéiste pour ce me concerne exclusivement...Sceptique, mais ne désespérant, jamais, j'ai tendance à penser que l'humanité ferait un fameux virage si l'humain commençait à mettre de la transcendance, besoin existentielle, dans son prochain...Notre société matérialiste et individualiste crève de n'avoir plus ni foi ni loi en et pour elle même....L'esprit guerrier est développé à toutes les sauces au détriment des valeurs d’ascèse, de sacrifice, d'altruisme . Bien sur, les porteurs de sagesse peuvent trouver des refuges méditatifs et transcendantaux pourvu qu'ils ne dérangent pas la bien-pensance et le politiquement correct...

Écrit par : patrick verroust | mardi, 25 décembre 2012

"Imbéciles", oui, c'est le mot de Bernanos.
Il ne contredit pas tant que ça mon propos si l'on entend bien que je ne l'adresse pas aux athées ni aux croyants d'autres confessions. Je ne me permettrais pas pour deux raisons : d'une part parce que je ne fais pas du fait d'être catholique une posture qui relèverait de l'intelligence, d'autre part parce que je connais beaucoup d'imbéciles parmi les catholiques. Pour moi, un imbécile est quelqu'un qui raisonne les choses et le monde selon son désir, sans tenir compte de ce que les choses et le monde sont indépendamment de lui, dans l'histoire et la culture des hommes. Les procès faits au pape et au catholicisme dans le monde moderne relèvent vraiment de cette imbécillité, quand on voudrait qu'ils s'adaptent aux modes et aux fluctuations des idéologies.
Un exemple ? La prêtrise des femmes. Elle est demandée au nom de ce fameux concept de parité qui n'a aucun sens, appliqué à l'Eglise, quand on a compris que l'Eglise est une femme dont le Christ est l'époux.
A moins qu'avec le mariage homosexuel...
Mais je plaisante.
Merci de votre commentaire, Patrick et bon Noël

Écrit par : solko | mardi, 25 décembre 2012

Si vous ressentez cette nécessité de transcendance, vous êtes tout sauf apathéiste, non ?
PS : vous me faites découvrir ce mot valise !

Écrit par : solko | mardi, 25 décembre 2012

Joyeux Noël, Roland. Merci pour ce beau texte. "Prenez et mangez en tous, ceci est mon corps, livré pour vous.", "Prenez et buvez-en tous, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu en faveur de la multitude, en rémission des péchés." Voilà avec : "Vous ferez cela en mémoire de moi", que vous avez citée, les phrases que j'aime le plus entendre durant la Messe.
A bientôt.

Écrit par : tanguy | mardi, 25 décembre 2012

Très beau texte.
Amitiés, dans la joie de Noël.

Écrit par : Elisabeth | mardi, 25 décembre 2012

La question d'un Dieu ne se pose pas pour moi. Mes agissements sont indépendants de son éventuelle existence. J'ai, fortement,conscience de mon insignifiance. Elle ne trouve sens que dans une transcendance quelquefois heureuse, plus souvent douloureuse face à l'absurdité des événements et des comportements humains . Je suis, en outre doté d'un humour qui me met à distance des vicissitudes. c'est un bon bouclier ou un paravent, je ne sais trop. Je conçois que cette transcendance nécessaire peut s'exprimer à travers une déification...Le fait religieux est trop répandu dans toutes les civilisations pour ne pas reconnaître le caractère opératoire des croyances. Les religions évoluent à travers l'histoire, elles sont, de moins en moins sacrificielles. C'est bien, assumons nos péchés contre nous-mêmes, plutôt que nous en décharger sur un bouc émissaire. dans une transcendance qui resterait à échelle humaine, les responsabilités seraient collectives et non plus individuelles... La transcendance a les arts, la musique, la peinture, au premier chef, comme moyen d'expression naturelle. Je ne sais pas si cela à quelque chose avoir avec mes propos , mais il s’avère que j'incarne,assez bien, le personnage du saint, ce que je ne suis pas,bien entendu!
Je suis heureux de vous avoir fait découvrir un mot , même si c'est un mot valise, je souhaite que celui là voyage beaucoup et fasse interroger comment "vis t-on?" . Il restera quand je me serai fait la malle.

Écrit par : patrick verroust | mardi, 25 décembre 2012

Haha ! Oui, certes, parpaillote et non pratiquante, mais agnostique et pas athée (il y a aussi de l'orgueil dans l'athéisme, autant que dans le religieux chez certains), je me reconnais dans les valeurs chrétiennes, malgré les dérives de nos religions. Je suis ellulienne, au fond. M'étant nourrie jadis des paraboles, qui me restent gravées, et sur lesquelles je réfléchis toujours, l'important pour moi est l'acte, et donc l'acteur (celui qui agit, ou qui pratique le non-agir), alors je rejoins un peu le théâtre aussi, peut-être, à ma manière... :)

Bien à toi, en tout cas, Solko, et mes pensées chaleureuses à ceux qui te lisent, à travers le ramdam spectaculaire qu'est devenu Noël. ;)

Écrit par : Sophie K. | mercredi, 26 décembre 2012

On est toujours l'imbécile d'un autre. Et si être imbécile c'est "raisonner le monde et les choses selon son désir", alors toute religion est imbécile!

Écrit par : Sarah. S. | jeudi, 27 décembre 2012

Un exemple d’imbécillité, c'est l'exclusivité que prétend avoir le Vatican (métonymie) sur le Christianisme... Alors qu'il n'en est qu'un dévoiement. Une duperie.

Les Lumières nous enseignent que la vraie religion, c'est celle du coeur, pas celle des gestes mille fois répétés. Le Christ ne disait pas autre chose, d'ailleurs, quand il critiquait les Pharisiens.

Jésus doit bien rire (?) s'il voit tous ce gestes momifiés, ces Conciles ridicules, ces électeurs du Vicaire du Christ (sic), les dogmes, la théologie...

Écrit par : Jérémie S. | jeudi, 27 décembre 2012

Du reste je suis convaincue que foi et religion ne vont pas nécessairement de pair. On peut vivre l'une sans avoir besoin de l'autre, et inversement...

Écrit par : Sarah. S. | jeudi, 27 décembre 2012

Jérémie tu confonds foi, religion et culte. Voilà un débat intéressant!

Écrit par : Sarah. S. | vendredi, 28 décembre 2012

Débattre de la religion ? Encore une fois je crois que ça ne sert à rien, sinon se prendre au piège du politicien. On peut témoigner de sa foi, de sa non foin de son scepticisme. Mais débattre ? Cette "culture démocratique" nous a flanqué la manie du débat. Mais le meilleur usage qu'on puisse faire des mots, surtout en "littérature", surtout quand il s'agit de ressenti, c'est encore un usage littéraire, non ?

Écrit par : solko | samedi, 29 décembre 2012

Non, Sarah, je ne confonds pas religion, église, et foi... Comme moi, beaucoup ont la chance ne pas avoir été baptisés et de réfléchir plus tard, en toute connaissance de cause.

Jésus a existé : c'est un fait historique. Personnellement, je pense qu'il est le fruit d'une union parfaitement charnelle et qu'il a ensuite été habité par un l'esprit divin. Je me sens chrétien ; en tous cas, je m'efforce de l'être.

Mais, l'Eglise catholique n'a que très peu de chose à voir avec le message du Christ. Et, il en est de même avec le Protestantisme, l'Orthodoxisme... etc. C'était le sens de mon commentaire ! Il y a des éléments positifs dans l'action des Eglises, mais aussi beaucoup de gâchis.

Écrit par : Jérémie S. | samedi, 29 décembre 2012

tss tss, jérémie, il n'existe aucune preuve digne de ce nom qu'un dénommé jésus ait réellement existé au niveau historique (les seules sources qui y font référence sont celles des religions chrétiennes, donc forcément partiales en la matière).
les seuls écrits "historiques" sur cette période sont ceux de flavius josèphe qui ne cite en aucun cas le nom de jésus, il se contente de relever des troubles en palestine à cette époque donnée.

Écrit par : gmc | dimanche, 30 décembre 2012

Distinguer la foi de la religion me paraît nécessaire, le monde à toujours été plein de faux dévots. Des gens qui se réfugient dans les rites et les lois, pour calmer une angoisse ou satisfaire un besoin de reconnaissance sociale, mais qui n'ont pas la foi bien ancrée dans le cœur... Aussi l'état de moine me paraît être la seule façon sensée de vivre la religion.

Écrit par : Sarah. S. | samedi, 29 décembre 2012

je ne me sens pas concernée ; comme l'écrit Solko il s'agit de témoignages… je les écoute en tant qu'humain, mais cela ne me parle pas. Bonne année

Écrit par : FOurs | samedi, 05 janvier 2013

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