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mercredi, 06 juillet 2016

Yves Bonnefoy est mort. Il portait bien son nom.

De retour d'Ars sur Formant, j'apprends la disparition d'Yves Bonnefoy en lisant ce billet d'Off Shore. Toute disparition, toute mort est évidemment à déplorer, et ce dont il est question ici, pas de contresens, c'est du traitement de l'information concernant des hommes publics et ce qu'ils valent dans une sphère sociétale conditionnée par les médias dans un pays dont la vie intellectuelle parait avoir été anéantie par une quarantaine d'années de culture pour tous au ras des pissenlits. J'avais été mis au courant de celle d'Elie Wiesel, bien sûr, le pape des philosémites et l'un des boutiquiers des élites mondialisées,  et de celle de Rocard, "l'autre gauche" comme disaient certains, ha ha !  L'incroyable manque d'humilité du premier, qui se prenait ni plus ni moins pour la conscience du monde et contemplait chacun de ce trône aussi imaginaire qu'inquiétant, la roublardise politicienne de l'autre font, je l'avoue, de leurs disparitions quelque chose qui ne me touche pas plus que ça,non. Pas davantage que l'une de ces anonymes dont les faire-parts emplissent les journaux. J'ai beau y repenser, les années Rocard, qui furent celles du second septennat de Mitterrand, furent le signe d'une décomposition si avancée du politique que, non, ça ne me fait rien. Rien. Nous en payons avec Hollande et ses sbires suffisamment le prix. Et puis, pourquoi serions-nous tenus d'honorer un mort connu qui nous est indifférent davantage que n'importe quel quidam qui a passé l'arme à gauche au fond d'un hôpital et que ne regretteront qu'une poignée de gens ? Pourquoi ? C'est quoi, ce culte des morts médiatiques ?  Rien de plus que de la propagande ordinaire. Mieux vaut, finalement, s'en allé inaperçu.

Car Yves Bonnefoy, c'est tout autre chose. Je me souviens avec émotion de ce professeur du Collège de France délivrant à des salles combles ses réflexions sur le personnage d'Hamlet dans la littérature du XIXe siècle, et comment on est passé de l'admiration pour une figure intellectuelle à la raillerie et la dérision en fin de siècle, de Hugo à Laforgue en passant par Baudelaire et tant d'autres. Hamlet, le clown qui pense encore, quand tout le monde y a renoncé... Funeste trajectoire amorcée sous Napoléon pour nous conduire au vide abyssal où nous nous trouvons aujourd'hui : le déclin vient de loin et est sans aucun doute en lien, en effet, avec les conceptions moderne puis post-moderne du fait démocratique, le dévoiement des concepts de nation et de république au profit de la zone, comme d'élégants économistes le disent, économistes dont le jargon à pleurer n'est plus capable que de trouvaille dans le genre Grexit ou Brexit, un humour qui leur ressemble.

Bonnefoy donc. La dernière fois que nos chemins s'étaient croisés, ce fut au salon du livre à Bron. Le vieux monsieur était sourd comme un pot et j'avais dû lui répéter trois fois mon nom pour qu'il parvînt à me dédicacer une édition originale de Du mouvement et de l'immobilité de Douve. Nous étions en 2011. Entre, il y avait eu cette année où Les planches courbes avaient été au programme de Lettres des terminales L, et j'avais eu le plaisir de l'écouter parler du recueil aux Chartreux, un lycée privé de Lyon qui l'avait reçu. Oui, incontestablement, cette perte est une perte plus grande et plus affligeante que celle de Rocard et Wiesel et, comme le dit Nauher, "l'hermétisme n'est bon désormais que pour les cénacles économiques qui nous chassent de la maison commune" et " Le poète est relégué au rayon des fantaisies". C'est peut-être mieux ainsi, car à quoi conduit la célébrité dans un pareil monde ? A quoi bon se bagarrer contre l'ignorance des masses, quand la culture n'a jamais concerné en propre que des individus. Yves Bonnefoy est mort. Il portait bien son nom. Son œuvre demeurera dans la littérature française du XXe siècle toujours vivante pour les exigeants,les amateurs de bons crus. Les autres auront Prévert et Trénet, et c'est ainsi. On ne peut que le constater, le déplorer ou non : ce qui était censé permettre à la culture de gagner les consciences, l'école républicaine, le livre de poche, le prix unique du livre, et j'en passe, tous ces efforts lui auront peu à peu ôté toute autorité, toute crédibilité, tout intérêt aux yeux du béotien. Qu'il reste béotien. Freud avait raison : ce qui a de la valeur doit coûter un prix et si la littérature ne vaut plus rien, c'est qu'on a voulu la donner à tous, alors que la plupart n'en veulent pas. Bonnefoy est mort : nous ne serons que quelques uns à le pleurer, comme nous n'aurons été en réalité que quelques uns à le lire...

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samedi, 09 juillet 2011

A la voix de Kathleen Ferrier

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Toute douceur toute ironie se rassemblaient

Pour un adieu de cristal et de brume

Les coups profonds du fer faisaient presque silence,

La lumière du glaive s’était voilée

 

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise

Qui hésite au lointain du chant qui s’est perdu

Comme si au-delà de toute forme pure

Tremblât un autre chant et le seul absolu

 

O lumière et néant de la lumière ô larmes

Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir

O cygne, lieu réel dans l’irréelle  eau sombre

O source, quand ce fut profondément le soir !

 

Il semble que tu connaisses les deux rives,

L’extrême joie et  l’extrême douleur.

Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,

Il semble que tu puises de l’éternel.

 

(Yves Bonnefoy  Hier régnant désert, 1958)

Video : Kathleen Ferrier (1912 - 1953),   “Che faro senza Eurydice”, Gluck  


22:42 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : yves bonnefoy, poésie, littérature, gluck, musique, kathleen ferrier | | |

mercredi, 01 décembre 2010

Au commencement était la neige

Si Jean Giono est le romancier de la neige, Yves Bonnefoy en est bien le poète.  Le titre du recueil qu’il publie en 1991 (Début et fin de la neige) l’annonce comme une évidence : avec son commencement, sa durée, sa disparition, la neige possède bien, comme les mots, une histoire dont l'incarnation éclipse toute autre que la sienne. En quinze poèmes, Bonnefoy s'aventure à la déchiffrer 


Première neige tôt ce matin. L'ocre, le vert

Se réfugient sous les arbres

Seconde vers midi. Ne demeure

De la couleur

Que les aiguilles de pin 


C’est bien cela, tout d'abord, la première sensation de la neige : cet effacement progressif qui prend la forme d'une restriction du visible, immobilisant, dit le poète, le fléau de la lumière. Mais en même temps sa blancheur, qui  rend le miroir vide donne à nos gestes, nos pas, nos paroles, une nouvelle lisibilité. L’enfant, dit Bonnefoy « a toute la maison pour lui », puisque les temps de neige permettent une exploration de l’instant différenciée de celle des jours ordinaires :

 

A ce flocon

Qui sur ma main se pose, j’ai désir

D’assurer l’éternel 

En faisant de ma vie, de ma chaleur,

De mon passé, de ces jours d'à présent,

Un instant simplement : cet instant-ci, sans bornes

 

Illusion fugace, bien sûr. Mais illusion ô combien légitime ! Car elle assure la venue, concomitante à la sienne, de l’expérience poétique. Voilà pourquoi, en lieu et place de la construction d’un conventionnel bonhomme de neige, qui signerait une action humaine, l’enfant préfère s’enchanter de l’image qu’il saisit du manteau d’une « Vierge de Miséricorde » de neige :

 

« Contre ton corps

Dorment, nus,

Les êtres et les choses et tes doigts

Voilent de leur clarté ces paupières closes. »

 

Le monde est comme re-dit par cette neige. Le moindre accroc au silence de celui qui marche briserait la sérénité de cette comparaison. « J’avance », dit plusieurs fois le poète ; et « on dirait ». Voilà que cet enneigement du monde semble, à celui qui en écoute la chute,  un art poétique. Moment de dévoilement  :

 

« On dirait beaucoup d’e muets dans une phrase.

On sent qu’on ne leur doit

Que des ombres de métaphores. »

 

La neige sur laquelle nous avons avec le poète cheminé est ainsi devenue l'incarnation même du langage poétique. Sa matière visible. Nous voici à l’avant-dernier poème, à l’arrivée de la lumière. Soudainement christique, la neige, dont la présence pareille au verbe eut un commencement, va gouter dans sa chair l’expérience de la fin. Nous en serons le spectateur. Ou, plus poétiquement, l'auditeur : 

 

« Et c’est comme entrerait au jardin celle qui

Avait bien dû rêver ce qui pourrait être,

Ce regard, ce dieu simple, sans souvenir

Du tombeau, sans pensée que le bonheur,

Sans avenir

Que sa dissipation dans le bleu du monde.

 

Non ne me touche pas, lui dirait-il,

 

Mais même dire non serait de la lumière. »

 

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09:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : yves bonnefoy, poésie, neige, littérature | | |

samedi, 18 avril 2009

A l'ombre des forêts

Je crois n'avoir vu qu'une seule fois - c'était à l'église Sainte Eustache à Paris -  une représentation de Phèdre vraiment sereine et enthousiasmante, en tous points réussie, une représentation qui visait à rendre le spectateur heureux. Mais pour une réussite, combien d'horreurs, combien d'impostures ? La pire Phèdre que j'ai vue, c'était dans une petite salle de Bobigny, il y a pas mal d'années de ça. L'actrice entrait nue, accrochée comme un morceau de viande à des esses de boucher qui coulissaient, en hurlant  Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! Mise en scène d'un certain Jean Michel Rabeux... Pouah !

Or, hier soir, j'ai relu le premier acte de Phèdre, et puis ces deux beaux textes à son sujet, le magnifique poème en prose d'Yves Bonnefoy, et ce court extrait de Roger Caillois. Et finalement, j'ai un peu mieux compris Musset, et son théâtre dans un fauteuil...

 

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00:39 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : phèdre, roger caillois, yves bonnefoy | | |

dimanche, 07 décembre 2008

Ce qui fut sans lumière

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Je dois me délivrer de ces images

Je m’éveille et me lève et marche. Et j’entre

Dans le jardin de quand j’avais dix ans,

Qui ne fut qu’une allée, bien courte entre deux masses

De terre mal remuée, où les averses

Laissent longtemps des flaques où se prirent

Les premières  lumières que j’ai aimées.

Yves Bonnefoy - "L'agitation du rêve"  (Ce qui fut sans lumière)

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05:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : yves bonnefoy, littérature, poésie, poèmes, fête des lumières, lyon | | |