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samedi, 09 janvier 2010

De Lalley à Chichiliane, quand tombe la neige ...

Ce qu’est la couleur de la neige pour Giono : la couleur de l’ennui. Ce qu’est celle du sang : celle du divertissement. Aussi un roi sans divertissement n’est-il plus qu’un roi perdu, dans cette Drôme enneigée où l’on enfonce, comme on dit, parmi ce territoire soudainement sans relief où s’estompe la particularité des individus : un homme égaré dans l’ennui. Aussi, comme le peintre jette la couleur sur sa toile, le criminel n’a-t-il plus qu’à jeter le meurtre sur la neige. Toutes les religions du monde, toutes ses philosophies et toutes ses bonnes intentions n’y pourront rien changer.

Le criminel laisse donc tomber quelque goutte d’un sang, de jeune fille ou d’oie blanche, c’est égal. Et ce afin que le justicier, toujours sur ce tapis immaculé, piste et surprenne, toujours sur ce même tapis qui finit par ressembler à un échiquier lisse, l’empreinte du criminel. Depuis le temps que dure ce jeu on dirait qu’il ne s’en est guère déroulé d’autres sur cette planète, des tout premiers meurtres bibliques aux tout derniers faits-divers. Tel est le sens de l’accord entre M.V., l’assassin d’un Roi sans divertissement, et Langlois, le justicier : ils se sont reconnus, au fond, solidaires d’une même nature.

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Marcher, comme l’écrit Giono, « d’un pas de promenade ». Ce sont les pages de lui que je préfère, cette traque par Frédéric II de l’assassin qu’il vient de surprendre au pied du grand hêtre. Je ne sais comment Giono est parvenu à créer cet effet qui se prolonge durant cette dizaine de pages où rien ne se passe : un homme en suit un autre de Lalley à Chichiliane, sort d’un bois, approche du sommet de l’Archat, va jusqu’au fond d’un val, remonte un torrent, (sans hâte et sans variation) traverse un bois, longe une crête, dans la neige, la brume et le brouillard … « un souvenir renard » tel est le souvenir que Frédéric II gardera de cette poursuite décisive: « La neige était entièrement vierge ; il n’y avait que ces pas tout frais ». Comment, donc, Giono est-il parvenu à créer cet effet ? Sans doute pour l’avoir gratté, son texte, à la main – à la ligne, comme on pêche le poisson -, à l’écoute du mot comme le pêcheur à l’affut de la moindre oscillation du bouchon, quatre pages par jour sur un grand cahier, précise-t-il…

Nous voici ainsi parvenus  à cet instant où, le rythme de cette traque, de cette chasse, de cette marche (qui dure aussi lentement que la neige par ma fenêtre en train de tomber) et celui de ma lecture se rejoignent. La durée lente de la neige est bel et bien comme la durée lente de mes yeux qui se posent sur ces lignes – et cette adéquation m’apporte ce que l’hiver, au-delà de l’ennui, a de plus beau à offrir aux hommes qui lisent : la paix de l’esprit, à bonne température tout comme à bonne vitesse, si j’ose dire.

 

Car songeons bien que dans toute lecture, comme dans toute écriture, il s’agit de trouver le bon rythme, celui qui permet à la fois de désengager l’esprit de la vitesse où le tient l’inutile commerce du monde, et de conserver cependant un certain sens de la durée et du temps qui passe, conscience de ces secondes qui s’écoulent ainsi que s’affaissent des flocons. J’espère vraiment que durera longtemps cette neige, comme on espère, entré par le chapitre d’un bon roman, qu’il ne s’achèvera pas trop vite, et que son auteur saura nous captiver, oui - nous qui à bien des égards, et si Giono est un grand auteur, c’est pour l’avoir compris, ne sommes bel et bien, par temps secs, pas grand-chose de plus (n’en déplaise à la morale humanitaire) que de vagues et inutiles rois sans divertissement.

13:18 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jean giono, chichiliane, écriture, littérature, divertissement | | |

Commentaires

T'ecs oieblancry ! l'enegi resiat-elle un ioucha patélithèque ?
Giono ariatu-li liassé des crates rus l'enegi, totu mocme Snodes il y a de iuqo voutrer lace fondoncant, puerve teupêtre uque lse dangrs xettes tronciarement à nosu, ne donfent sap.
(Ivedemment ej voudècre à l'ansttin trove ubae bellit, ej susi rûse uqe vosu n'en udotez toinp)
Mes iatimés de la prat ud micoté des têfes de La Tacylete et sa gironé.

Écrit par : Frasby | samedi, 09 janvier 2010

@ Frasby : La neige n'est pas télépathique, c'est la lecture de la neige qui l'est.

Écrit par : solko | samedi, 09 janvier 2010

Finirai-je par lire ce roman ?
Temps de neige, temps de lecture, en tout cas. Et cela va durer dit-on.

Écrit par : S. Jobert | samedi, 09 janvier 2010

J'aime beaucoup l'écriture de Giono ,il dit dans son journal au moment de la rédaction de Bataille dans la montagne (1937)le 27 janvier tout spontanément, avec passion ceci :

"Au milieu d'un orage de grêle et de vent et des pluies de charbons qui marchent à travers le soleil,avec le tonnerre et le bouleversement de tout le pays , tout autour, dans une tourmente de fin du monde, j'ai fait onze pages ce matin, sans démarrer , et maintenant deux, et à tout moment bouleversé par des pages qui montent et courent et se plient et filent comme le vent. Je viens de me faire jouer le premier et le quatrième mouvement de la Septième. Tout gonflé de tout ce qui doit sortir tout d'un coup .Qui sait combien ce soir : peut-être 20 pages , en tout cas une tempête d'hommes et de femmes , autour de ce vin qu'ils ont bu à l'aube .Et après il faudra faire jaillir la déclaration d'amour comme l'éclatement de deux flûtes et alors le livre sera arrivé à son sommet ! Depuis que je monte ! que je monte ! Je vois le sommet ! Après il faudra lentement redescendre."
Il est ,on voit bien dans son journal ,émerveillé par la nature .De belles évocations : "Temps aux yeux gris. Mai poussiéreux de poussières célestes . Le ciel comme une route de craie, chaud."

"Fraîcheur , et cette meurtrissure du ciel et des couleurs de la terre qui annoncent l'automne .Le son de la cloche qui sonne midi ondule dans le vent comme des coups de fouet. L'air est succulent à respirer. "

Merci Solko pour ces belles pages de lecture.

Écrit par : soulef | dimanche, 10 janvier 2010

Ce livre, que je viens de sortir de ma bibliothèque à la lecture de votre note, je l'avais acheté dans la collection Folio. Sur la couverture, on y voit Langlois tenir par les pattes une oie blanche décapitée dont le sang, goutte à goutte, abreuve la neige. Il y a entre cet homme noir, la blancheur de la neige et le rouge du sang davantage qu'un accord, une communion, la réalisation de quelque chose qui s'apparente au Grand Oeuvre... Le curieux c'est qu'hier, au moment où vous écriviez cette note j'en rédigeais une intitulée: "Du sang sur la neige"...
Ce qui m'avais frappé dans le texte de Giono, outre le "cheminement" que vous évoquez, c'est la présence du hêtre, dont l'être gouverne la scène: le gerfaut y a fait son nid et traîné ses victime. Cet arbre, tout naturellement, par ce qu'il contient de pouvoir, m'en a rappelé deux autres: le fayard de la fontaine "Jean Page" sous la houppe duquel se balance Hugues de Leuze, et le "Beau May" ou "l'Abre des Dames", dit aussi la "Loge les Dames", sur la pente de certain bois "Chenu", des marches de Lorraine... Mais la fonction cachée du Hêtre et de l'Etre, n'est-elle point de relier le ciel et la terre?

Écrit par : Agaric | dimanche, 10 janvier 2010

@ Soulef : Merci Soulef pour ce long et bel extrait. L'écriture de Giono, oui, respire de cet artisanat manuel. "L'air est succulent à respirer".

Écrit par : solko | lundi, 11 janvier 2010

@ Algaric : La fontaine Jean Page, en effet : une fontaine pour initiés. Et le hêtre de Giono, qui danse, tout empli de la sève des cadavres, est une créature inoubliable quand on a pris le temps de le voir de près.

Écrit par : solko | lundi, 11 janvier 2010

Oh! Très beau! Merci Solko! Tout comme vous la poursuite de l'assassin du Grand Hêtre m'a fasciné, cette lenteur "tragique", ce tragique si anodin... C'est une merveille.

Merci d'avoir fait revivre ces pages!

Écrit par : tanguy | lundi, 11 janvier 2010

A travers la description de la Nature, c'est à une exploration de soi que Giono se livre comme ces mouvements de la Septième qu'il fait jouer et qui fouillent la diversité, la complexité et la profondeur infinies de l'âme humaine. L'évocation de la neige et de la nature me font penser au roman quelque peu oublié de Louis Hémon : Maria Chapdelaine où les intempéries sont le miroir des sentiments tourmentés de l'héroïne.

Écrit par : pier paolo | lundi, 11 janvier 2010

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