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vendredi, 05 juin 2015

Les saints de Turin

Turin partage avec Prague et Lyon la redoutable réputation d’être l’une des portes de l’Enfer.  C’est pourquoi, tout comme les deux autres villes, elle bénéficie d’une protection divine spécifique. Lyon fut placée sous la protection de la Vierge par un vœu de ses échevins en 1643, Turin fut en 1453 le théâtre d’un miracle eucharistique dont la ville célébrera demain l’anniversaire, et dont on reparlera ici.

La capitale du Piémont conserve pieusement les corps incorruptibles de nombreux bienheureux ou saints qu’on rencontre dans ses églises en y faisant halte

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Maria Mazzarello (basilique di Santa Maria Aussiliatrice)

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Valerico  ABATTE (Sanctuaire della Consolata) )

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Catherine de Sienne (église san Dominico)

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 Et bien sûr, Don Bosco

 

Ces saints firent face, de leur temps, à de nombreux maux : épidémies, guerres, ignorance. De leurs vivants, nombreux furent ceux qui entrèrent en conflit avec eux, pour les contester. Mais il semble que le plus inconditionnel des athées gardât en son for intérieur quelque estime pour leurs actes, quelque considération qui rendait possible le dialogue avec eux. Le siècle actuel a produit un mal contre lequel j'ignore quelle aurait été leur recommandation : le divertissement. Car le divertissement ne cherche pas à contrer ni à détruire les saints, ils les laisse dormir, tout simplement, il ignore leurs œuvres pour concentrer sur d'autres énergies et d'autres efforts l'attention de ceux qu'il retient et guide par le bout du nez. Pascal, jadis, écrivit sur le divertissement, mais les libertins à qui il s'adressait pouvaient encore le considérer tel un interlocuteur, car ils parlaient la même langue. Du divertissement qui fait rage & dévaste avec minutie le monde aujourd'hui, que dirait-il ? Et que préconiseraient les beaux saints endormis de Turin ?

 

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vignette de Don Bosco n°13, Turin

 

vendredi, 17 février 2012

Leur monnaie, leur parole commune

Dernier jour pour échanger vos francs, lit-on un peu partout dans la presse aujourd’hui. Ce jour, vendredi 17 février 2012, le franc devient donc exclusivement un objet poétique, à quelques semaines d’une élection durant laquelle deux tenants du Oui à la Banque centrale européenne indépendante font mine de s’affronter comme d’autres escrocs politiques le firent avant eux. « Je suis de gauche » souriait à pleines dents, sirupeux, Hollande sur une chaine de télé, tandis qu’à Annecy, Sarkozy le traitait de menteur. La superposition des deux images et des deux propositions était éloquente : si l’on admet en effet que le clivage réel dans les peuples est purement économique, c'est-à-dire qu’il ne distingue en réalité que des pauvres et des riches, on voit bien en effet que ces deux partisans de la Banque centrale européenne autonome ne sont opposants que pour le spectacle.

François Hollande s’opposant à Nicolas Sarkozy sur son bilan est un leurre, le même leurre que François Mitterrand s’opposant à Valéry Giscard d’Estaing sur le sien en 1981 : en guise de changement, Hollande ne rêve que de prendre sa place pour faire la même politique que Sarkozy, tout comme Mitterrand, son modèle, prit la place de Giscard pour faire passer ce foutu euro que le rédacteur de la Constitution européenne avait inventé avec d’autres sous le nom d’écu. D’une certaine façon, le jour d’aujourd’hui qui entérine la confiscation de notre monnaie par une banque mondiale autonome est leur œuvre et leur victoire communes à tous, présidents, ministres, députés, sénateurs et chefs de partis de ces quatre dernières décennies.

Cette bipolarisation de la vie politique place donc en campagne un vrai président de droite contre un faux président de droite, la droite sarkoziste contre la droite socialiste, dans un pays où l’alliance des deux depuis quarante ans est l’unique responsable de l’endettement de l’Etat. Qu’on se souvienne de Jospin, Moscovici, DSK et consorts, volant au secours de Chirac après la dissolution de 1997 pour mener à bien les fameux critères de convergences de Maastricht afin de donner tous les pouvoirs à cette Banque centrale lors de la création de l’euro  (1999 et 2002).

A cette entreprise de confiscation de la monnaie, s’est adjointe une entreprise de confiscation de la parole, dont les deux camps se sont rendus complices sur plusieurs fronts :

        - Celui de l’appauvrissement de la langue qui, au nom de l’égalitarisme, a été mené de mains de maitres aussi bien par la gauche que la droite. Le corollaire de cet appauvrissement fut la progressive infiltration de la culture Mainstream, cette culture qui plait à tout le monde dont Martel se fit récemment le chantre

        - Celui du culte des valeurs, qu’elles soient  nationales  comme le travail et la famille du côté de Sarkozy ou qu’elles relèvent de la bouillie républicaine avec l’anti racisme et la défense indignée des minorités du côté de la sordide gauche plurielle. Sur ce culte campent aussi bien les sbires de Marine que ceux de Hessel.

       - Celui des communicants avec les grands meetings d’une part, dont Le Bourget pour Hollande et Marseille pour Sarkozy sont les plus récents exemples, et la propagande, par les chiens de garde respectifs de chaque parti, des petites phrases des candidats sur les réseaux sociaux ou dans les medias traditionnels.

Pendant ce temps, dans le monde réel, la confiance en l’euro, leur œuvre commune, s’évapore doucement. 

De nombreux spéculateurs ont fait monter le cours de l’or depuis ces derniers  mois, en pariant sur un effondrement progressif de cette monnaie de consommation sans corps ni histoire réels, après que les pays les plus endettés -à commencer par la Grèce- auront dû quitter la zone euro afin de rembourser leur dette avec une monnaie dévaluée. 

Qu’en sera-t-il alors de la dette française, creusée depuis Mitterrand jusqu’à Sarkozy  en passant par Chirac, chacun servant, de la retraite à 60 ans au bouclier fiscal, les intérêts de sa clientèle électorale ? Et qui croira qu’Hollande (qui affirme non sans culot qu’il sera le président de la sortie de crise) plus que Sarkozy aura le pouvoir d’agir sur la BCE, avec les pouvoirs restreints qui sont désormais ceux d’un président français?

Deux mois de mensonges, donc, de petites phrases et d’affrontements stériles gérés par des communicants sur des plateaux, attendent donc le pays de Rabelais et ses citoyens privés de paroles comme ils le furent de leur monnaie. Nous sommes, en effet, sommés d'écouter, de comprendre, d'adhérer puis de voter mais à quel endroit, dites-moi, de parler, de se parler ? 

Le Front de Gauche d’un côté et le Front National de l’autre ne sont là que pour canaliser le ressentiment sur ces fameuses valeurs, un peu comme la cape rouge cherchant l’attention du taureau : avec eux, le monde est simple, il y a les bons d'un côté et les salauds de l'autre, comme en 44, et chacun doit être d'un camp. Mais dès lors que ni l’un ni l’autre n’a les moyens d’accéder au pouvoir au second tour, à quoi sert cette mis een scène, sinon à remplir les caisses des partis (0,60 euros la voix) et gérer les ralliements.

Dès lors, à part occuper la position du spectateur cynique et se marrer devant les Guignols de l’Info en se croyant le plus malin, quel recours demeure-t-il au citoyen miniaturisé que chacun d'entre nous est à son insu ? S’il a compris que son vote (une voix sur plus de 40 millions) n’est plus depuis longtemps qu’un pis aller auquel une éducation citoyenne en papier mâché est seule à conférer une importance tronquée, il peut se désolidariser de ce système : le faire savoir en votant pour n’importe qui, sa belle mère ou son poisson rouge, ou bien en ne votant pas. Prendre soin de lui, de son individu, de sa parole, de ceux qui l’entourent. C’est à cela que dans toutes les dictatures a servi la culture, spécialement livresque. Remettre donc la politique et ses prétentions à sa place. Refuser, au nom de l’estime qu’il a de lui et des autres, de se faire illusionner - on pourrait aussi dire divertir  - d’une aussi piètre façon.

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Pascal sur un ancien billet de 500 francs, l'un des plus mélancoliques de la Banque de France. Malgré l'ironie terrible qu'il y eut à faire figurer le penseur du divertissement  et du pari sur un billet de banque alors que les Trente Glorieuses et la consommation battaient leur plein, j'ai toujours aimé ce visage songeur devant la tour Saint-Jacques, comme s'il était une sorte de gardien du temple, du vrai temple, celui du lecteur solitaire. 

02:36 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, billets français, pascal, tour saint-jacques, divertissement | | |

samedi, 09 janvier 2010

De Lalley à Chichiliane, quand tombe la neige ...

Ce qu’est la couleur de la neige pour Giono : la couleur de l’ennui. Ce qu’est celle du sang : celle du divertissement. Aussi un roi sans divertissement n’est-il plus qu’un roi perdu, dans cette Drôme enneigée où l’on enfonce, comme on dit, parmi ce territoire soudainement sans relief où s’estompe la particularité des individus : un homme égaré dans l’ennui. Aussi, comme le peintre jette la couleur sur sa toile, le criminel n’a-t-il plus qu’à jeter le meurtre sur la neige. Toutes les religions du monde, toutes ses philosophies et toutes ses bonnes intentions n’y pourront rien changer.

Le criminel laisse donc tomber quelque goutte d’un sang, de jeune fille ou d’oie blanche, c’est égal. Et ce afin que le justicier, toujours sur ce tapis immaculé, piste et surprenne, toujours sur ce même tapis qui finit par ressembler à un échiquier lisse, l’empreinte du criminel. Depuis le temps que dure ce jeu on dirait qu’il ne s’en est guère déroulé d’autres sur cette planète, des tout premiers meurtres bibliques aux tout derniers faits-divers. Tel est le sens de l’accord entre M.V., l’assassin d’un Roi sans divertissement, et Langlois, le justicier : ils se sont reconnus, au fond, solidaires d’une même nature.

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Marcher, comme l’écrit Giono, « d’un pas de promenade ». Ce sont les pages de lui que je préfère, cette traque par Frédéric II de l’assassin qu’il vient de surprendre au pied du grand hêtre. Je ne sais comment Giono est parvenu à créer cet effet qui se prolonge durant cette dizaine de pages où rien ne se passe : un homme en suit un autre de Lalley à Chichiliane, sort d’un bois, approche du sommet de l’Archat, va jusqu’au fond d’un val, remonte un torrent, (sans hâte et sans variation) traverse un bois, longe une crête, dans la neige, la brume et le brouillard … « un souvenir renard » tel est le souvenir que Frédéric II gardera de cette poursuite décisive: « La neige était entièrement vierge ; il n’y avait que ces pas tout frais ». Comment, donc, Giono est-il parvenu à créer cet effet ? Sans doute pour l’avoir gratté, son texte, à la main – à la ligne, comme on pêche le poisson -, à l’écoute du mot comme le pêcheur à l’affut de la moindre oscillation du bouchon, quatre pages par jour sur un grand cahier, précise-t-il…

Nous voici ainsi parvenus  à cet instant où, le rythme de cette traque, de cette chasse, de cette marche (qui dure aussi lentement que la neige par ma fenêtre en train de tomber) et celui de ma lecture se rejoignent. La durée lente de la neige est bel et bien comme la durée lente de mes yeux qui se posent sur ces lignes – et cette adéquation m’apporte ce que l’hiver, au-delà de l’ennui, a de plus beau à offrir aux hommes qui lisent : la paix de l’esprit, à bonne température tout comme à bonne vitesse, si j’ose dire.

 

Car songeons bien que dans toute lecture, comme dans toute écriture, il s’agit de trouver le bon rythme, celui qui permet à la fois de désengager l’esprit de la vitesse où le tient l’inutile commerce du monde, et de conserver cependant un certain sens de la durée et du temps qui passe, conscience de ces secondes qui s’écoulent ainsi que s’affaissent des flocons. J’espère vraiment que durera longtemps cette neige, comme on espère, entré par le chapitre d’un bon roman, qu’il ne s’achèvera pas trop vite, et que son auteur saura nous captiver, oui - nous qui à bien des égards, et si Giono est un grand auteur, c’est pour l’avoir compris, ne sommes bel et bien, par temps secs, pas grand-chose de plus (n’en déplaise à la morale humanitaire) que de vagues et inutiles rois sans divertissement.

13:18 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jean giono, chichiliane, écriture, littérature, divertissement | | |

lundi, 31 août 2009

Chronique du gras, de l'idiotie, de l'oursin et du prolétaire

« J'étais il y a quelques jours sur les plages de Sète, de plus en plus emplies de familles de gros (voire d'obèses), qui ne se déplacent plus sans un attirail littéralement dément (pliants, parasol, crèmes, serviettes, balles, vêtements de rechange, musique, magazines...) et je pensais à Jules Michelet qui ne venait dans ce genre de lieu qu'avec une plume et une page de papier, pas pour y piailler ou y cuire sur le sable, pas pour y draguer ou y mater ses voisin(e)s, mais pour  y comparer par exemple un oursin à un prolétaire (1)ou une baleine (2) à une mère universelle : quels dégâts auront fait, quand même, et la mal-bouffe et cette confusion incessante entre culture et divertissement, me disais-je. »  

Consignant à l’instant cette phrase dans un commentaire laissé sur le blog de Bertrand Redonnet à la suite d’un superbe texte de lui sur sa lecture de l’Histoire de la Révolution Française de Jules Michelet, me sont revenues ces images que la société de consommation a faites peu à peu du littoral maritime, si éloignées de celle du rêveur romantique, seul avec son papier, son esprit. Si humain, lui.

Si humain car pour lui (Jules Michelet) les grands événements de l’histoire (Histoire de la Révolution française), les grands éléments (La Mer) et les grands corps sociaux (Le Peuple) avaient le pouvoir  métaphorique de se signifier les uns les autres : ainsi, dans l’œuvre de l’historien romantique, le Peuple du dix-neuvième siècle est presque au sens propre un océan, dont le cours est aussi inévitable que ne l’est celui du temps, transformant un moyen âge en renaissance. Il y a ainsi chez Michelet une même vision économique et sociale de la marche du monde, qui embrasse et les grands espaces (La Mer) et les grandes périodes historiques (Moyen Age, Renaissance, Révolution) pour acquérir une véritable valeur poétique et spirituelle, fascinante, vraiment.

Mais je ne veux pas développer outre mesure la poétique de Michelet, j’en serais incapable au-delà de ces quelques généralités et surtout, tel n’est pas le propos de ce billet.

Le propos de ce billet est juste de livrer à vous tous une sorte d’étonnement devant ce peuple d’occidentaux abondamment et si universellement gras (y compris les enfants) du XXIème siècle ; ce peuple vautré sur ces plages du XXIème siècle où l’on rencontre à bien y regarder si peu de lecteurs ; ce peuple littéralement noyé (comme aurait dit Jules) dans la mer du divertissement et dans la graisse de la mal-bouffe.

Georges Pompidou, auteur d’une anthologie de la poésie française qui a fait date, aurait dit que les Français ne lisaient pas assez (je crois que c’est Claude, sa veuve, qui rapporte ces propos) et qu’à l’origine, le centre Pompidou était censé n’être « qu’une bibliothèque, avant de s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires ». Il est vrai que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été aussi disponible. Il me semble aussi que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été autant confondue avec tout et n’importe quoi. Et que jamais, les autorités ou les institutions chargées de la porter aux gens (je pense en premier lieu à l’école) n’ont autant trahi leurs missions.

Ainsi, comme on dit que le design d'une carosserie est poétique, on dit que le très bling bling BEIGDEGGER est un écrivain, ou que la première dame de France est une chanteuse,  et autres terrifiants foutages de gueules, comme le fait que les Français seraient des lecteurs.

Et pourtant je ne peux m’empêcher de constater que de la Mer de Michelet à celle de mes contemporains, un océan, si je puis dire, un véritable abîme, pour reprendre les métaphores romantiques, s’est creusé, se creuse encore…  Qui fait qu’on croise à Sète (voir billet du jour précédent) des prolétaires embourgeoisés, défaits de tous piquants et armés d'un seul barda photographique, sautant hystériquement d’un cimetière à l’autre, de la tombe de Valéry à celle de Vilar ou de Brassens, sans trop savoir qui est qui, au nom de ce sacro-saint divertissement culturel qui engouffre dans l’’idiotie aussi surement que la malbouffe généralisée dans le gras des êtres dont je ne peux m’empêcher de penser, comme Vilar en son temps, qu’ils méritaient autre chose.

Et c'est ansi que Jules et Alexandre sont grands.

 

 

(1)  La Mer, folio 1470 – II, 7, « le piqueur de pierres »

(2)  La Mer, folio 1470 -  II,12, «  la baleines »

vendredi, 06 février 2009

L'argent du divertissement

Je suis toujours très étonné de la façon dont comiques, sportifs et chanteurs de variétés jouissent auprès du grand public d'une sorte de blanc-seing économique. Les mêmes qui s'insurgent devant les fortunes impunément accumulées par des patrons industriels ou des financiers véreux vont trouver normal qu'une Céline Dion, un Jean-Marie Bigard ou un Thierry Henry fassent en peu de temps des fortunes considérables, créent de véritables dynasties (Dutronc 1, Dutronc 2 - Noah 1 Noah 2 ...), et deviennent les gurus d'une société de plus en plus décervelée, prête à s'extasier devant n'importe quelle nouveauté technologique. Et pour reprendre une remarque évoquée dans le commentaire d'une autre note : « Les mémés à petites retraites qui dansent sur Capri c'est fini se souviennent-elles qu'au pire moment de ce qu'il appelle sa traversée du désert, un type comme Hervé Vilard gagnait 30 000 francs par mois en n'en tirant pas une rame de la journée, grâce à l'industrie délétère du disque ? »

Les arguments qu'on oppose à toute critique de l'argent du divertissement sont toujours les mêmes : d'abord, on élude la question de l'argent du divertissement pour ne retenir que celle du divertissement lui-même : et si vous critiquez le divertissement, vous êtes forcément un peine-à jouir ou un dépressif. Ah bon ? Pourtant le propre du rire, n'est-il pas d'être gratuit ? Ne pouvons-nous plus rire de nous mêmes par nous-mêmes ?  et en quoi avons-nous besoin de la bande à Djammel ou de la bande à Ruquier ? Je préfère rigoler à la terrasse d'un café avec des amis en buvant une tournée que d'aller voir des spécialistes du rire, gens cyniques et malsains comme ces capitaines d'industries dont les salaires et les primes défraient régulièrement la chronique. Pas touche, dit Florent Pagny, à ma liberté de penser. Mais quelle différence entre la liberté de penser de Florent Pagny, celle de Zinedine Zidane, et celle des patrons des banques et des groupes industriels ?

L'autre argument est de faire de ces gens, footballeurs, histrions, et autres suceurs de micros des artistes à part entière ou des acteurs de la vie culturelle. Le monde consacrait hier une page entière à un rugbyman, Thierry Dusautoir, sous un titre à la Libé, Serial Plaqueur. C'est vrai : que serait la France sans Thierry Dusautoir, n'est-ce pas ? Et le monde, sans le bon Yannick Noah ? Non seulement tout ce ramassis d'opportunistes incarne donc la vie culturelle mais de surcroit, « la vie culturelle populaire ». Et donc si vous critiquez cet argent qu'ils accumulent sur finalement ni plus ni moins la connerie du plus grand nombre, vous êtes non seulement un peine à jouir et un dépressif, mais de surcroit un élitiste (avec toutes les connotations négatives que ce beau mot trimballe avec lui désormais) et sans doute un jaloux...

J'en conclus que l'argent du divertissement, comme jadis celui de l'Eglise, est devenu un tabou. En dénoncer le trafic scandaleux relève du sacrilège, dans cette société du spectacle où la duplicité est parvenue à s'ériger en morale absolue et en syntaxe universelle. Continuons donc à dénoncer les salaires de Sarkozy et ceux des grands patrons de la société du spectacle en nous régalant des exploits des sportifs et des histrions médiatisés par ses soins. Qui a dit (et redit)  qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères ?