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jeudi, 26 août 2010

Le cimetière marin

Tour de force poétique absolu, chant du virtuose : ici, la métaphore in absentia, Valéry l’esthète a réussi à obtenir d’elle qu’elle se dévoile au regard de tous, redevienne chaque fois qu’un visiteur se présente devant sa propre tombe in praesentia, et du fait de la réalité même, cesse d’être une énigme : « ce toit tranquille où marchent des colombes », dévoilement du référent à jamais recommencé, la mer, en effet.  Je ne connais autre poète pour réussir dans une telle concrétude (celle de sa propre mort), à matérialiser l’Idéal, comme disait Mallarmé, à domestiquer finalement « l’absente de tout bouquet », et  à véritablement « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », tout en invoquant bel et bien l’absence, à convoquer aussi surement la présence.

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Et pas n’importe comment, s’il vous plait.

Et pas n’importe quelle présence, songez-y : celle de la mer, celle de midi, présence qu’il fit à jamais plier devant le monument de sa propre tombe. Geste fou de l’orgueil poétique, du dédain souverain, certainement : Paul Valéry ne devait pas être un vivant bien commode, j’en ai l’intime conviction. Et je me demande en combien de temps fut composé ce chef d-œuvre impeccable, digne d’un Ancien. C’est ce que je ressens à chaque fois que je m’élève jusqu’à ce tombeau des Gassi, et que cette « récompense après une pensée » se mue à la fois en regard et en élucidation, dans la récitation – au sens pur – de la parole – frêle palpitation entre deux silences :

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mercredi, 25 août 2010

Les premiers châteaux de l'automne

Ici, l’automne entame à l’horizon sa chasse, à chaque soir qu’un peu plus vite la lumière brusquement laiteuse éclipse tout rivage du corps liquide au corps sableux. Là, les petits des hommes s’exalteraient encore, criards pires que des mouettes, à la consolidation de leurs châteaux de sable sur lesquels l’écume à foison finalement se déverse. De petites mains tentent un instant de protéger ces frêles acquis, frêles abris d’imaginaire, mais à quoi bon ? On rentre, s’impatientent  les parents, du ton sec de l’hiver, et du pas qui va.

En ce début d’automne, la vague n’est plus la même. Pressent-elle que ces précaires constructions figureront parmi les derniers remparts que la saison touristique tendra à sa routinière marée ? Pourquoi  hésite-t-elle une brève seconde à les abattre ? C’est bien là que l’été s’achève, dans ces ultimes éboulements gracieux et lents, et, sur le sable lourd, à la lisière de ces multiples traces de pas dissociés jusqu’à la route goudronnée, où se profilent  l’hôtel, les commerces, le casino et, un peu derrière, les péages d’autoroute.

 

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Sablier antique (Musée d'horlogerie de La Chaux-de-Fonds)

12:56 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poésie, automne, sète | | |

dimanche, 22 août 2010

Sarkozy, c'est mon ami ...

« Le livre politique fait un retour en force à la rentrée avec plusieurs essais critiques sur Nicolas Sarkozy, un portrait de DSK doublé d'une investigation, une enquête sur Le Pen, un livre de Michel Rocard ou encore deux ouvrages sur la ministre de l'Economie, Christine Lagarde. Tous ces livres paraîtront en septembre ou octobre, au côté des 700 romans de la rentrée... A tout seigneur, tout honneur, c'est le président de la République qui a inspiré le plus d'auteurs, pour la plupart journalistes. » En coup de vent, mes yeux se sont posés sur cette phrase commune de la feuille de chou qu’un homme lisait en terrasse : quel rapport avec la littérature ? Objectivement, aucun. Les 700 romans de la rentrée- quelque intérêt qu’ils aient, tous balancés dans le même sac, afin de servir de contrepoint aux ouvrages merdiques de ces « auteurs-journalistes » (oxymore qui en aurait fait bondir plus d’un il n’y a pas si longtemps) qui s’empileront sur les rayons des centres de distribution d’objets culturels indéterminés de ce pauvre pays (Fnac, Virgin et autres réseaux), pour lesquels la foire électorale a commencé et, avec elle, des promesses de tirage conséquent. Même si on peut penser que la plupart de ces saloperies finiront en carton en pizzas, je ne peux m’empêcher de tiquer devant cette propagande, ce commerce de papier juteux. Détournons le regard : L’air, tout bleu, lui, mêlé à la mer. La ola des gradins, à chaque fois qu’un chevalier blanc tombe dans le canal : Revoici Sète, toute occupée à ses fêtes de la Saint-Louis, Cète et ses fanfarons jouteurs, hantée de fraîcheur du large et d’odeurs pestilentielles, de musique techno jusqu’à l’aube.

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Au Tabary’s, Brel et Brassens qui ont leur banc, comme au Flore, Sartre. La croix qui domine devant nous le port nous rappelle les missionnaires de la Salette. Il suffit de suivre la corniche : Ce lieu, qui ne laisse pénétrer que la couleur bleue et contient d’étranges morsures est ici bel et bien comme un toit tranquille où marchent des colombes : la mer, et me revient à chaque fois en mémoire cette autre phrase que lance l’Annoncier du Soulier de Satin dans une tirade éblouissante, « libre à ce point que les limites du ciel connu s’effacent. »

Il sera toujours temps de retrouver ce pays et ses discordes de politiciens complices. Le papier dont, jadis, on emballait le poisson ou se torchait le cul, en effet, quelle littérature !

12:48 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : sète, fête de la saint-louis, politique, sarkozy, littérature | | |

lundi, 31 août 2009

Chronique du gras, de l'idiotie, de l'oursin et du prolétaire

« J'étais il y a quelques jours sur les plages de Sète, de plus en plus emplies de familles de gros (voire d'obèses), qui ne se déplacent plus sans un attirail littéralement dément (pliants, parasol, crèmes, serviettes, balles, vêtements de rechange, musique, magazines...) et je pensais à Jules Michelet qui ne venait dans ce genre de lieu qu'avec une plume et une page de papier, pas pour y piailler ou y cuire sur le sable, pas pour y draguer ou y mater ses voisin(e)s, mais pour  y comparer par exemple un oursin à un prolétaire (1)ou une baleine (2) à une mère universelle : quels dégâts auront fait, quand même, et la mal-bouffe et cette confusion incessante entre culture et divertissement, me disais-je. »  

Consignant à l’instant cette phrase dans un commentaire laissé sur le blog de Bertrand Redonnet à la suite d’un superbe texte de lui sur sa lecture de l’Histoire de la Révolution Française de Jules Michelet, me sont revenues ces images que la société de consommation a faites peu à peu du littoral maritime, si éloignées de celle du rêveur romantique, seul avec son papier, son esprit. Si humain, lui.

Si humain car pour lui (Jules Michelet) les grands événements de l’histoire (Histoire de la Révolution française), les grands éléments (La Mer) et les grands corps sociaux (Le Peuple) avaient le pouvoir  métaphorique de se signifier les uns les autres : ainsi, dans l’œuvre de l’historien romantique, le Peuple du dix-neuvième siècle est presque au sens propre un océan, dont le cours est aussi inévitable que ne l’est celui du temps, transformant un moyen âge en renaissance. Il y a ainsi chez Michelet une même vision économique et sociale de la marche du monde, qui embrasse et les grands espaces (La Mer) et les grandes périodes historiques (Moyen Age, Renaissance, Révolution) pour acquérir une véritable valeur poétique et spirituelle, fascinante, vraiment.

Mais je ne veux pas développer outre mesure la poétique de Michelet, j’en serais incapable au-delà de ces quelques généralités et surtout, tel n’est pas le propos de ce billet.

Le propos de ce billet est juste de livrer à vous tous une sorte d’étonnement devant ce peuple d’occidentaux abondamment et si universellement gras (y compris les enfants) du XXIème siècle ; ce peuple vautré sur ces plages du XXIème siècle où l’on rencontre à bien y regarder si peu de lecteurs ; ce peuple littéralement noyé (comme aurait dit Jules) dans la mer du divertissement et dans la graisse de la mal-bouffe.

Georges Pompidou, auteur d’une anthologie de la poésie française qui a fait date, aurait dit que les Français ne lisaient pas assez (je crois que c’est Claude, sa veuve, qui rapporte ces propos) et qu’à l’origine, le centre Pompidou était censé n’être « qu’une bibliothèque, avant de s’ouvrir à d’autres champs disciplinaires ». Il est vrai que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été aussi disponible. Il me semble aussi que jamais, dans l’histoire de l’humanité, la culture n’a été autant confondue avec tout et n’importe quoi. Et que jamais, les autorités ou les institutions chargées de la porter aux gens (je pense en premier lieu à l’école) n’ont autant trahi leurs missions.

Ainsi, comme on dit que le design d'une carosserie est poétique, on dit que le très bling bling BEIGDEGGER est un écrivain, ou que la première dame de France est une chanteuse,  et autres terrifiants foutages de gueules, comme le fait que les Français seraient des lecteurs.

Et pourtant je ne peux m’empêcher de constater que de la Mer de Michelet à celle de mes contemporains, un océan, si je puis dire, un véritable abîme, pour reprendre les métaphores romantiques, s’est creusé, se creuse encore…  Qui fait qu’on croise à Sète (voir billet du jour précédent) des prolétaires embourgeoisés, défaits de tous piquants et armés d'un seul barda photographique, sautant hystériquement d’un cimetière à l’autre, de la tombe de Valéry à celle de Vilar ou de Brassens, sans trop savoir qui est qui, au nom de ce sacro-saint divertissement culturel qui engouffre dans l’’idiotie aussi surement que la malbouffe généralisée dans le gras des êtres dont je ne peux m’empêcher de penser, comme Vilar en son temps, qu’ils méritaient autre chose.

Et c'est ansi que Jules et Alexandre sont grands.

 

 

(1)  La Mer, folio 1470 – II, 7, « le piqueur de pierres »

(2)  La Mer, folio 1470 -  II,12, «  la baleines »

dimanche, 30 août 2009

Trompettes de la renommée

Il y a deux choses à voir à Sète. Enfin deux choses parmi d’autres… La mer, diront la plupart, soit. Mais la mer est partout la même et n’est donc ni le plus spécifique ni le meilleur de Sète. Les joutes, diront certains autres. Vrai que la Saint-Louis y est le prétexte à des tournois qui obéissent à la plus stricte tradition. Mais les joutes nautiques sont bien vite répétitives pour le non spécialiste que je suis. Et puis des joutes, n'en déplaise aux sétois, il n'y en a pas qu'à Sète...

Deux choses donc, la chapelle de Notre Dame de La Salette, qui domine la ville et d’où le point de vue est incomparable et, bien sûr, le cimetière marin.

Je ne me suis donc privé ni de l’un ni de l’autre et rapporte, en guise de souvenir quelques propos sur le vif.

Celui d’un curé, tout d’abord, à qui je demandais pourquoi et comment naquit une telle dévotion envers Notre Dame de la Salette, si loin de Corps et de Grenoble, à Sète, quelques années seulement après « l’apparition ». Sa réponse : «la dévotion des sétois à Notre dame de la Salette est due à l’extrême pauvreté des pécheurs de l’époque. Il ne faut pas oublier que l’apparition est contemporaine de la rédaction du manifeste du parti communiste par Marx ! » ( NDLR 1846 et 1847). Devant ce curé sympathique et chaleureux (il m'avoue être en vérité un ch'ti du Nord), je ne peux m'empêcher de penser à Léon Bloy, et à son magnifique Celle qui pleure..., et à son non moins superbe Sang du pauvre...

Ceux de quelques touristes, ensuite. Nous étions quelques-uns, comme en hypnose métaphorique devant « ce toit tranquille où marchent les colombes », la mer surplombant la tombe de Paul Valéry. Passe un premier touriste qui me demande où se trouve la tombe du « poète Brassens » (prononcez avec l’accent anglo-saxon). Lui explique qu’il n’est pas dans le bon cimetière. L’humble troubadour étant, comme nous le rappelle Bertrand en commentaire d’un autre billet, enterré dans un autre lieu que le bon maître. Quelques minutes après, rebelote : deux jeunes filles en quête de Georges. Nous leur montrons la tombe du pauvre Paul. Elles font la moue. La palme (sans jeux de mots) revient à un couple de franchouillards, vers la soixantaine : Brève explication pour leur dire qu’ici c’est le cimetière marin où se trouve inhumé Valéry, mais le type insiste : non, non, n’est-ce pas Brassens qui a écrit le cimetière marin, non ? Nous hésitons à lui expliquer la différence entre un cimetière et une plage, et finissons par lui dire qu’ici, c’est quand même Paul Valéry.

Il zyeute enfin la tombe. Comme les jeunes filles, fait la moue. Et puis du ton du type qui a choisi sa pizza, déclare : « Ah Paul Valéry … non ! »

Je le regarde partir et disparaître sous le toit tranquille ...

Tout cela aurait-il plu à Brassens ?

Pas sûr, pas sûr… Trompettes de la renommée…

La rentrée s'annonce chaude.

 

19:11 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : georges brassens, paul valéry, sète, notre dame de la salette | | |