lundi, 08 juin 2015
Les deux cités de Turin
Curieuse ambiance, samedi soir, dans les rues de Turin. Les catholiques fêtaient, autour de leur évêque, l’anniversaire du miracle du Saint-Sacrement, avec une messe au sanctuaire della Consolata, puis une procession jusqu’à l’église du Corpus Domini, par les rues peu animées du centre, la plupart des Turinois suivant à la télé la finale retransmise de Berlin de la finale de la Ligue des champions. Ici, un récit fondateur, ce miracle dont on célèbre depuis 1453 le caractère surnaturel et prodigieux; là, une compétition de foot, avec des milliards distribués à la clé. Ici, pour paraphraser saint-Augustin, la cité de Dieu ; là, la cité terrestre.
Vers onze heures, le petit millier de chrétiens rassemblés regagnaient leurs pénates, croisant dans leurs maillots à rayures blanches et noires les supporters revenant, dépités, de l’écran géant où la défaite venait d’être diffusée ; deux mondes, deux temporalités, deux manières d’être et de marcher. Troublant…
Comment leur faire comprendre que, de toute manière, une victoire de leur Juventus n’aurait pas été un miracle - sinon au prix d’une démoniaque analogie, tant le langage est partout dévoyé ? Race de Caïn, race d’Abel mêlées sur les trottoirs secs et dallés de la capitale piémontaise... Car les footballeurs qui se signent avant une partie ne recherchent pas la volonté de Dieu, mais la leur, selon le propre de la cité terrestre. Et les supporters en priant pour la victoire ne cultivent pas l’amour de la sagesse, mais la passion de dominer et la jouissance des faux honneurs. Jamais je n’avais vu à quel point le foot était à sa façon une religion, mais une religion (tout comme la religion républicaine vers laquelle se tournent les politiques qui « croient aux forces de l’esprit») fausse et dévoyée, car elle ne voit pas plus loin que la Cité Terrestre, c'est à dire qu'elle ne voit rien.
Dimanche, au réveil, les journaux titraient sur ce rendez-vous raté de la Juventus avec les dieux du stade, tandis que le saint-Suaire encore exposé jusqu'au 24 juin dans le Dôme continue de témoigner de cette Passion Véritable et Parfaite, qui dit trop à quel point il n'est homme ni femme dont il ne faille se méfier tant nous sommes tous capables de la pire des offenses, et qu'il n'est pas d'offense non plus qui ne puisse être effacée par l'éclat d'un sacrifice aussi complet que celui du Fils de Dieu.
Départ et arrivée de la procession à Turin
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vendredi, 05 juin 2015
Les saints de Turin
Turin partage avec Prague et Lyon la redoutable réputation d’être l’une des portes de l’Enfer. C’est pourquoi, tout comme les deux autres villes, elle bénéficie d’une protection divine spécifique. Lyon fut placée sous la protection de la Vierge par un vœu de ses échevins en 1643, Turin fut en 1453 le théâtre d’un miracle eucharistique dont la ville célébrera demain l’anniversaire, et dont on reparlera ici.
La capitale du Piémont conserve pieusement les corps incorruptibles de nombreux bienheureux ou saints qu’on rencontre dans ses églises en y faisant halte
Maria Mazzarello (basilique di Santa Maria Aussiliatrice)
Valerico ABATTE (Sanctuaire della Consolata) )
Catherine de Sienne (église san Dominico)
Et bien sûr, Don Bosco
Ces saints firent face, de leur temps, à de nombreux maux : épidémies, guerres, ignorance. De leurs vivants, nombreux furent ceux qui entrèrent en conflit avec eux, pour les contester. Mais il semble que le plus inconditionnel des athées gardât en son for intérieur quelque estime pour leurs actes, quelque considération qui rendait possible le dialogue avec eux. Le siècle actuel a produit un mal contre lequel j'ignore quelle aurait été leur recommandation : le divertissement. Car le divertissement ne cherche pas à contrer ni à détruire les saints, ils les laisse dormir, tout simplement, il ignore leurs œuvres pour concentrer sur d'autres énergies et d'autres efforts l'attention de ceux qu'il retient et guide par le bout du nez. Pascal, jadis, écrivit sur le divertissement, mais les libertins à qui il s'adressait pouvaient encore le considérer tel un interlocuteur, car ils parlaient la même langue. Du divertissement qui fait rage & dévaste avec minutie le monde aujourd'hui, que dirait-il ? Et que préconiseraient les beaux saints endormis de Turin ?
vignette de Don Bosco n°13, Turin
22:43 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : turin, catholicisme, religion, maria mazzarello, catherine de sienne, don bosco, salesien, divertissement, pascal, libertins |
jeudi, 04 juin 2015
Le suaire et le sacré.
On n’approche pas commodément du Saint-Suaire à Turin. La réservation s’opère par Internet. Des milliers de bénévoles (« les blousons violets ») venus des diverses paroisses de la capitale du Piémont accueillent les visiteurs dans la zone du Dôme, depuis le commencement du parcours liminaire dans les Jardins Royaux jusqu’à la salle des confessionnaux et aux marchands de souvenirs sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean Baptiste, Piazza Castello. On franchit tout d’abord un portique, comme dans les aéroports, ce qui montre à quel point notre civilisation est placée constamment dans une certaine ligne de mire. Il est vrai qu’un fou d’Allah parvenant à s’infiltrer dans les tunnels en toile qui conduisent durant plus de 800 mètres jusqu’à l’entrée de la chapelle serait assuré de faire le buzz sur le champ. Les tunnels d’accès sont donc garnis de caméras. Nous habitons bien au XXIe siècle.
Le pèlerin est ensuite introduit dans une salle où un bref film vidéo lui dépeint ce qu’il s’apprête à voir en détail. Toutes les parties du corps de l’homme au suaire sont successivement zoomés et agrandis. Un commentaire en plusieurs langues insiste sur les traces de coups de fouets, de trous d’épines et de lances. Étrange exhibition mortuaire, devant une assemblée silencieuse où se découvrent toutes sortes de gens.
La question de l’historicité de l’homme dont l’image frontale et l’image dorsale se joignent par la tête n’a ici plus guère d’intérêt. Comme Benoit XVI l’a dit un jour, cet « icône écrite avec le sang » est surtout un émouvant miroir de la Passion. Le sacré, ici comme ailleurs, n’a nullement besoin d’être breveté par l’historicité. Sinon pour les manants.
Elle est d’ailleurs suffisamment présente, l’histoire, la belle et triste histoire humaine, sous la forme de cette poignée de quidams en casquettes et tee-shirts, pantacourts et autres tenues de p.à.p, le smartphone à la main, foule mixte de touristes ou de pèlerins, ou les deux à la fois, mi-pèlerins, mi-touristes, immobilisés dans le noir face à l’image qui se reflète de l’image sacrée offerte à cette foule même qui passe, telle un miroir d’un moment de l’histoire – cet aujourd’hui faits d'eux tous défilant, profanes, devant lui, le sacré.
Car la voici enfin, entre deux sentinelles en costumes historiques, immobiles comme au musée Grévin. La voici la châsse le portant, puis le suaire lui-même, derrière des glaces de sécurité multicouche ; en rangs, trois rangs, les spectateurs du moment contemplent un instant le tracé d’un corps dans lequel chacun lit ce qu’il peut, ce qu’il veut, ce qu’il sait et ce qu’il ressent de ce qui lui est offert ou non dans le silence de cette confrontation avec un autre Monde. Car c’est bien d’un autre Monde qu’il s’agit, l’Antiquité, le Dénuement, la Mort, la Cruauté des hommes acharnée contre ce corps en ostension, la Religion, la voici, la Passion. Au-delà du spectacle (car il demeure là encore, le spectacle - certains même tentent un fois de plus de photographier, [et tu te dis qu’à l’instant de rendre l’âme, tenteront-ils encore, les sots, les stupides, de photographier la mort qui venant à eux leur arrachera des mains leur foutue richesse ? ] ) chacun ne reçoit que ce qu’il amène, dans cette cité terrestre qui, comme le dit Saint-Augustin, prétend tout dominer, et se trouve elle-même soumise par l’esprit de domination (1)
A cette image de Dieu dont la Charité ravive jusqu’au cœur de la société du Spectacle ces quelques traces perceptibles du Saint-Golgotha, nous amenons donc un cœur gonflé de sanglots et de peines, et notre honte d’appartenir à cette espèce si vaine et si folle, et notre ferveur aussi, notre espérance et notre Joie toutes deux faites de larmes invisibles et de limon silencieux; et puisqu’ici, chaque sacrement est une réconciliation, nous nous souvenons un instant de Joseph d’Arimathée qui, de Béthanie, emporta le sang du Christ jusqu’en Cornouailles, tel un Ulysse ou un Enée de la Cité de Dieu à bâtir sans cesse, de la Chrétienté dont nous sommes les ultimes et insuffisants rejetons.
Extérieur de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin
1 - Saint-Augustin, Cité de Dieu, livre 1
23:26 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christianisme, catholicisme, religion, saint-augustin, saint-suaire, turin, ostension 2015, piazza castello |