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mercredi, 09 décembre 2015

Porte sainte et sainte procession

Rome était hier au cœur du monde. Place saint-Pierre, tout d’abord, lorsque le pape François, l’air grave, ouvrit l’année sainte du Jubilé de la Miséricorde. Place d’Espagne, ensuite, devant la colonne fleurie de l’Immaculée Conception, lorsqu’il assista aux Litanies de la Sainte Vierge et prit le temps de bénir les nombreux malades rassemblés là. Il va comme le monde, le pape : Sa démarche est de plus en plus lourde. Il est objectivement de plus en plus las. Son sourire recèle quelque chose d'indéfiniment triste.

Non loin de François, Benoit, pape émérite, image frêle et saisissante de la vulnérabilité de la vieillesse, venu pénétrer la basilique saint Pierre à sa suite par la porte sainte tout juste ouverte. Deux papes, deux silhouettes, un peu comme les deux formes du rite, l’ordinaire et l’extraordinaire, témoins de l’époque schizophrénique qui fracture l’histoire commune dans laquelle nous voici plongés tous, quels que soient nos idées, nos goûts, nos besoins et nos désirs. Divisés devant l’Incarnation.

« Un mystère qui va au-delà de toutes les capacités de la raison » a dit François en évoquant l’Immaculée Conception. Au-delà de toutes les capacités de la folie également, suis-je tenté de rajouter. Car le catholicisme a fait de la longue histoire du péché des hommes et de sa rémission la colonne vertébrale de toute sa théologie. Une UNIQUE histoire que porta Marie, et qui nous plonge au cœur de son originalité, à l’endroit même où toutes les autres religions apparaissent bien fades et bien simplistes, avec le simple bonheur des individus pour but ou la seule paix du monde pour credo. « Dieu n’est pas Dieu de morts, mais de vivants », asséna le Christ au comble de son propre mystère, à propos de la Résurrection (Matthieu, XII, 32). 

Il y a ainsi dans le catholicisme et sa théologie du Péché & du Salut comme le fondement même de l’espèce humaine et de sa destinée, une trajectoire à la fois singulière et universelle, historique et éternelle, qui fait de lui à mes yeux non pas une religion parmi d’autres, mais au-delà même de toute religion, la seule Vérité qui fût acceptable à la fois par notre raison et par notre folie, parce qu’elle nous transporte bien au-delà des objectifs mesquins du politique ou du sociétal dans lesquels s’engluent irrémédiablement le pacifisme béat ou la violence intrinsèques à toutes les autres. Le Christ et le mystère de sa Venue demeurent à travers notre foi de Son temps et du nôtre, tel est aussi le mystère de l’Avent et celui de la miséricorde : telle est aussi la symbolique du franchissement de cette porte. Le bonheur, la paix viennent de surcroît...

immaculée conception,8 décembre,jubilé de la miséricorde,pape françois,rome,place saint pierre,place d'espagne,catholicisme,miséricorde,procession,lyonL'Immaculée Conception est une fête aussi dans la capitale des Gaules, que l'actualité récente a rendue à sa dimension religieuse. Il faut bien avouer que l
a façade de la primatiale Saint-Jean n’est jamais si belle que lorsqu’elle n’est livrée qu’à l'éclat de sa seule pierre, comme ce fut le cas hier soir, en l’absence de la folie technologique qui la recouvre de pied en cap chaque 8 décembre depuis une quinzaine d’années. Loin des Lumières, Lyon a donc retrouvé ses Illuminations, sa propre fête. Et les Lyonnais que j’ai croisés avaient l’air heureux de déambuler en grappes sur le pavé, de boire du vin chaud en discutant entre amis, sans se voir infligés la foule des touristes béats devant des façades platement colorées, ni surtout cette sinistre musique d'accompagnement de ces piétinements oppressants. Une fête enfin redimensionnée à sa juste échelle, en phase surtout avec la tradition mariale qui est à son origine.

Du coup, j'ai pu sortir de chez moi, ce que j'évitais de faire depuis pas mal d'années. Beaucoup de monde pour la procession jusqu’à Fourvière, sous la présidence du cardinal Barbarin. Derrière la bannière Merci Marie, la montée du Chemin-Neuf et la rue de l’Antiquaille étaient emplies de flambeaux et de chants, de pèlerins méditant en marchant les Mystères joyeux du rosaire. Trop habitué à les réciter seul, ces mystères, ou dans des églises presque désertes, je me suis senti agréablement surpris d'être soudain entouré de tant de monde reprenant même en latin le Gloria Patri. Une présence discrète de policiers et de militaires, jusque sur le parvis de Fourvière. L'air du temps, auquel tout le monde s'habitue. 

Puis une messe en l'église saint-Georges selon la forme extraordinaire du rite romain, comme on dit, c'est-à-dire en latin et en grégorien. Vers vingt-deux heures, un pavé humide et des badauds tranquilles et détendus, un 8 décembre comme je n'en avais plus connu depuis longtemps...

 

lundi, 08 juin 2015

Les deux cités de Turin

Curieuse ambiance, samedi soir, dans les rues de Turin. Les catholiques fêtaient, autour de leur évêque, l’anniversaire du miracle du Saint-Sacrement, avec une messe au sanctuaire della Consolata, puis une procession jusqu’à l’église du Corpus Domini, par les rues peu animées du centre, la plupart des Turinois suivant à la télé la finale retransmise de Berlin de la finale de la Ligue des champions. Ici, un récit fondateur, ce miracle dont on célèbre depuis 1453 le caractère surnaturel et prodigieux; là, une compétition de foot, avec des milliards distribués à la clé. Ici, pour paraphraser saint-Augustin, la cité de Dieu ; là, la cité terrestre.

Vers onze heures, le petit millier de chrétiens rassemblés regagnaient leurs pénates, croisant dans leurs maillots à rayures blanches et noires les supporters revenant, dépités, de l’écran géant où la défaite venait d’être diffusée ;  deux mondes, deux temporalités, deux manières d’être et de marcher. Troublant…

 

Comment leur faire comprendre que, de toute manière, une victoire de leur Juventus n’aurait pas été un miracle - sinon au prix d’une démoniaque analogie, tant le langage est partout dévoyé ?  Race de Caïn, race d’Abel mêlées sur les trottoirs secs et dallés de la capitale piémontaise... Car les footballeurs qui se signent avant une partie ne recherchent pas la volonté de Dieu, mais la leur, selon le propre de la cité terrestre. Et les supporters en priant pour la victoire ne cultivent pas l’amour de la sagesse, mais la passion de dominer et la jouissance des faux honneurs. Jamais je n’avais vu à quel point le foot était à sa façon une religion, mais une religion (tout comme la religion républicaine vers laquelle se tournent les politiques qui « croient aux forces de l’esprit») fausse et dévoyée, car elle ne voit pas plus loin que la Cité Terrestre, c'est à dire qu'elle ne voit rien.

 

Dimanche, au réveil, les journaux titraient sur ce rendez-vous raté de la Juventus avec les dieux du stade, tandis que le saint-Suaire encore exposé jusqu'au 24 juin dans le Dôme continue de témoigner de cette Passion Véritable et Parfaite, qui dit trop à quel point il n'est homme ni femme dont il ne faille se méfier tant nous sommes tous capables de la pire des offenses, et qu'il n'est pas d'offense non plus qui ne puisse être effacée par l'éclat d'un sacrifice aussi complet que celui du Fils de Dieu.

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 Départ et arrivée de la procession à Turin

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lundi, 23 juin 2014

Procession de la Fête Dieu à Lyon

« Le châtiment de tout ce qui veut être beau et n’est pas sincère, c’est le ridicule. C’est ainsi qu’entre le sublime et le ridicule, il n’y a souvent pas l’épaisseur d’un cheveu de vierge. » écrit Nizier de Puitspelu dans son chapitre sur les Processions, dans les Vieilleries Lyonnaises. Tout le monde ne connait pas Nizier du Puitspelu, hélas !  C’est le pseudonyme de Clair Tisseur, un vaillant gaillard, l’auteur du Littré de la Grand ‘côte. Et c’est, comme dirait Guignol, un vrai Yonnais, le patriarche et le père spirituel de tous les vrais Yonnais.  Car le fait est avéré,  il y a des vrais Lyonnais et des faux, ceux qui ont leur Puitspelu bien rangé dans leur bibliothèque, et ceux qui ne savent pas ce que c’est donc... Et c’est à ça qu’on les reconnait.

Revenons donc aux processions. Puitspelu évoque la sublime sévérité de celles de son enfance, alors que, écrit-il non sans humour, les femmes en étaient proscrites parce que « les hommes suffisaient ». Et Puitspelu enchaine :

« Ce grand nombre d’hommes vêtus de noir et portant des cierges, qui marchaient derrière le dais, donnaient à nos processions un caractère grave qui était tout à fait dans nos traditions lyonnaises et gallicanes. Ceux-là ne seront pas étonnés du grand nombre, qui se rappelleront que les courriers de la confrérie du Saint-Sacrement de chaque paroisse avaient accoutumé de parcourir la plupart des maisons, une quinzaine de jours à l’avance, en offrant un flambeau à chacun, que bien peu refusaient. Cet usage s’est perdu, et ce sont les seuls confrères, un petit groupe, qui accompagnent le dais. La plupart des personnes riches, à ce moment de l’année, sont à la campagne, et la grande masse des artisans  est, depuis bien des années déjà, malveillante pour le clergé, dans lequel elle voit, non peut-être sans raison, hélas ! un ennemi des formes de gouvernement qui lui sont chères. » (1)

Je trouve dans un vieil ouvrage de Georges Ribe acquis chez un bouquiniste du boulevard de la Croix-Rousse, L’Opinion publique et la vie politique à Lyon lors des premières années de la Restauration, une chanson datée des années 1830 dont je recopie quelques couplets qui témoignent de cette hostilité au clergé, par ces temps de misère et de révolution industrielle :

« Ah ! Qu’on est heureux à Lyon

Quand on fait une procession

Le peupl’ que le beau temps invite

A voir passer le cortège divin

Est sûr d’avoir de l’eau bénite

S’il ne peut boire du vin 

Ah ! Qu’on est heureux à Lyon

Quand on fait une procession

Que de famille’s à demi nues

Sans pain le jour, sans git' le soir,

S’consol’nt en voyant dans les rues

S’le’ver maint fastueux reposoir

Ah ! Qu’on est heureux à Lyon

Quand on fait une procession

Au pauvr’ que la faim aiguillonne

De station en station

L’curé de la paroisse donne

La sainte bénédiction… »

 

Il faut en effet remonter jusqu’au XVIIIème siècle, avant leur interdiction par le député Chaumette en 1792, pour mieux se figurer l’ordonnance de ces majestueuses processions, comme celles, par exemple, des Rogations. Durant les trois jours, on chantait Matines à quatre heures, Tierce à sept heures, et débutaient les cortèges qui cheminaient par toutes les paroisses de la ville avec des stations devant toutes les églises, chacune emportant leurs bannières jusqu’à la primatiale, chaque corporation occupant sa place.

Nous étions certes loin, très loin, de ces grandes pompes identitaires et spectaculaires de l'Ancien Régime, hier après midi. Loin aussi de la misère et de la détresse des canuts de 1831. J’y pensais toutefois, en cheminant parmi les participants, de Saint Nizier à Saint-Georges, puis de Saint-Georges à Saint-Jean. Quel sens nouveau, autre que spectaculaire, pouvait bien prendre cette tradition, en cet été post-moderne de l'an 2014 ?

Chez eux, devant leurs écrans, les individus sont rangés chacun derrière son équipe, à célébrer l'exploit individuel retransmis partout dans le monde, à sacraliser ce qu’il peut, dans le vide sidérant de ce que l’époque lui propose. Ce qu’il peut, je dis bien, un drapeau, un footballeur ou un leader politique, un club ou un parti, quand derrière le Saint-Sacrement qui traversait majestueusement la ville, nous n’étions que quelques centaines à placer nos pas dans ceux des Anciens, humant comme un parfum d'authentique liberté. Quel sens, en effet, ce cortège religieux donnait à toute la vieille ville, ses pierres, ses pavés, ses tuiles ! Quelle osmose ! Et parfois s’entrouvrait un rideau pour s’étonner de voir et d’écouter un instant ce défilé d’un autre âge cheminer devant chez soi. Il n’y avait heureusement pas besoin du grand nombre derrière le dais pour éviter le ridicule. Au contraire, même. Car en cette Fête Dieu, le sincère seul comptait, oui, comme Puitspelu l'observa finement un jour. Et il se ressentait aisément, vivant de plus en plus simple, de plus en plus soi, à chaque lâcher de pétales, de station en station, et comme à l'unisson, au cœur même de la cité, de la très vieille primatiale que regagnèrent finalement la croix, le dais, le Saint-Sacrement, et tout le cortège.

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Arrivée de la tête de la procession à la primatiale.

 (1) Nizier du Puitspelu, Les Vieilleries Lyonnaises, 1879

 (2) Pierre Masson, L’Opinion publique et la vie politique à Lyon, librairie recueil Sirey, 1957

samedi, 21 juin 2014

La Fête-Dieu

Le hasard est, décidément, parfois très ironique : Le calendrier fait se chevaucher cette année la séculaire Fête-Dieu et la postmoderne fête de la musique. La fête Dieu, c’est la fête de l’élévation de l’hostie, ce geste éminemment culturel, que James Joyce pastiche dès les premières lignes d’Ulysse, et qui fonda la loyauté autour de la Table Ronde à l’image de celle d’Emmaüs et de Béthanie. C’est par ce geste de l’élévation que les chrétiens reconnaissent la transsubstantiation de l’hostie, ce qui fait que ce moment n’est pas pour eux – comme pour les protestants – un simple partage du pain, mais une communion sacrée avec le Corps du Christ – corps glorieux, évidemment, corpus Christi. Ceci n’est pas sans rapport avec le Saint-Graal, c'est-à-dire avec l’un des plus grands mythes fondateurs de l’Occident, ni avec le Saint-sacrement lui-même. Dans une Journée Chrétienne de 1785, je lisais ce matin : « Dieu même est venu se placer parmi les corps en se faisant homme & prenant un corps, pour se rendre visible, et montrer à l’homme un objet qu’il pût voir et aimer, sans crainte de se tromper, & à quoi il pût s’attacher sans se corrompre ». Tout est dit là.

L’adoration du Saint-Sacrement, du Corpus Christi, ne peut advenir que dans le silence, celui-là même que la Fête de la Musique chasse de chaque coin de la ville et de chaque parcelle des corps, terrorisant jusqu’aux pigeons et aux chats de gouttières. Dire si cette Fête-Dieu n’a pas grand-chose à faire avec ce grand geste de dégueulis collectif dans les rues, qui n’a de populaire, comme la coupe du monde, que le nom. Le spectaculaire Jack Lang est à l'origine de l'une, Thomas d'Aquin à l'origine de l'autre, ceci doit expliquer cela. « Dans ce sacrement, consommation de tous les sacrifices, Il demeure, ce Dieu, indéfectiblement avec nous. Il y est jusqu’à la fin des siècles. Il donne aux fils d’adoption le pain des anges et les enivre de l’amour qu’on doit aux enfants », écrivit le saint.

La Fête-Dieu était marquée jadis, dans chaque ville et village de France, par des processions durant lesquelles le Saint-Sacrement était exposé par les rues. La procession aussi (le marcher ensemble) est un geste éminemment culturel, au contraire du brailler ensemble. Cela nous ramène au billet d'hier. D'ailleurs, l’une des premières mesures de la Révolution fut d’abolir les processions, comme les corporations. Pourtant, la République ne craint pas d’encourager ces rassemblements d’humains devant des podiums montés à la hâte, où des rythmes nègres, répétitifs et primaires, s’emparent des corps et désagrègent toute pensée, et qui, bien plus que les processions d’antan, troublent l’ordre public. Dans cette détestation du silence, dans cette massification hystérique, dans cette manipulation évidente des foules, je dirai pour finir qu’il y a bien du satanisme : La République a ses valeurs, comme le disent ses élus.  Et l’Eglise garde les siennes.

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