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mercredi, 24 février 2016

Faustine et le surnaturel

Août 1925. L’été bat son plein. Lorsque Hélène de Glogowiec pose enfin le pied en gare de Varsovie,  elle ne vient pas conquérir l’immortalité de l’âme ni je ne sais quel étrange nirvana ; elle ne vient pas « faire le Jihad » ni venger on ne sait quel honneur perdu ; elle ne songe pas non plus à la Jérusalem terrestre. Son regard erre sur les quais puis les trottoirs bruyants, sans doute effaré. Les visages, les pas, le gestes des passants de toutes les capitales du monde jettent toujours un effroi dans l’âme du villageois fraîchement débarqué, qui n’y connait pas un chat. Pourtant, ni crainte pour soi-même, ni peur du lendemain : voilà Hélène de Glogowiec plus déterminée encore qu’au bal du village la veille, rassérénée même par le tourbillon du monde dont elle devine les profonds rugissements, qui ne l’engloutiront pas. D’un pas ferme, le front haut, tel un chevalier, elle emprunte l’interminable avenue Grojecka dans le quartier d’Ochota, jusqu’à ce qu’elle croise enfin une église, une église monumentale en briques rouges, une église dont elle ignore le nom, dont elle ne connaît pas même le prêtre. Toutes les églises n’appartiennent-elles pas à Marie? Or c’est vers son Fils Unique qu’elle va, son Fils seul qui l’a guidée jusque là. Aussi le père Dabrowski ne s’étonne pas d’entendre cette jeune fille un peu pataude, cette enfant presque, lui murmurer à l’oreille qu’elle aspire à devenir religieuse, qu’elle n’est venue jusqu’à sa sacristie qu’avec ce dessein en tête. Il la recommande auprès d’Aldona Lipszycowa, l’épouse d’un de ses amis. C’est lui qui les a mariés naguère et, ça tombe bien, elle cherche quelqu’un pour l’aider au ménage. Et c’est ainsi que débute l’histoire de sœur Faustine.

« Ô Amour Eternel, Vous me faites peindre votre sainte image, 

Et Vous nous découvrez la source de miséricorde inconcevable »

C’est le commencement du premier cahier. Il y en aura six, dont la rédaction lui fut ordonnée par son confesseur, Michal Sopocko. L’ensemble constitue le Petit Journal de sainte Faustine, alias Héléna Kolwaska. Un livre rare, précieux, parce que, dans tous les sens du terme, un livre merveilleux. A titre d’exemple, ces quelques lignes :

« Je vois souvent l’Enfant Jésus pendant la Sainte Messe. Il est extrêmement beau et paraît avoir à peu près un an. Un jour dans notre chapelle, quand je vis ce même Enfant pendant la Sainte Messe, un désir fou et une envie irrésistible me prirent de m’approcher de l’autel et de Le prendre dans mes bras. Or à ce moment, l’Enfant Jésus vint près de moi, près de mon prie-Dieu. Il appuya des deux petites Mains sur mon épaule, gracieux et joyeux, le regard profond et pénétrant. Cependant, quand le prêtre rompit l’Hostie, Jésus revint sur l’autel et Il fut rompu et consommé par ce prêtre » ( 433)

 En 1959 Sœur Faustine fut mise à l’index par un pape, Jean XXIII, puis canonisée par un autre en 2000, Jean Paul II. « La divine providence, déclara ce dernier dans l’homélie de canonisation, a voulu que la vie de cette humble fille de la Pologne soit totalement liée à l’histoire du vingtième siècle, le siècle que nous venons de quitter. C’est en effet entre la Première et la Seconde Guerre mondiale que le Christ lui a confié son message de miséricorde. Ceux qui se souviennent, qui furent témoins et qui prirent part aux événements de ces années et des atroces souffrances qui en découlèrent pour des millions d'hommes, savent bien combien le message de la miséricorde était nécessaire. »

Faustine fut donc la première sainte du XXIe siècle, avant même Padre Pio, avant Jean Paul II lui-même, évidemment. Elle fut, et Karol Wojtyla l’éprouva dans sa chair plus que nul autre lorsqu’il prononça ces paroles, la sainte d’une génération en effet particulièrement marquée par la violence, le manichéisme, l’implacable dureté de l’histoire. En même temps, aux flux tendus des images produites dans les hangars du lointain Hollywood de ces années trente, l’humble religieuse qui ne quitta jamais l’anonymat de son couvent et ne vécut que d’obéissance, opposa une image, une seule, celle de son Bien-Aimé que le peintre Eugène Kazimirowki réalisa sous ses ordres, auquel elle était venue consacrer sa vie ce jour d’août 25 qu’elle débarquait à  Varsovie. Toutes les images hollywoodiennes de starlettes s’oublieront au fil des siècles sur la pellicule. Celle-ci ne commence que depuis peu à faire le tour du monde : Le Christ de la Miséricorde.

 

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« Seul est vrai le pays des chimères », écrivit Rousseau dans sa Julie, pour dire que s’exprime dans les textes de fiction quelque chose de la vie de l’esprit, et que finalement, seul serait vrai le « pays de l’esprit ».

Mais avec Faustine, dès lors que se manifeste cette forme authentique de surnaturel que notre foi doit accepter comme une donnée du Réel, tout un rapport à la lecture de fictions se trouve questionné, ébranlé. C’est toute la différence entre un texte qui se veut une création, et un autre qui raconte la Création : Dans le cas de sainte Faustine, qui exalte dans son Petit journal un certain « esprit d’enfance » face à Dieu, c’est encore plus confrontant. Car des certitudes obtuses de la raison qui le bride, le broie, le lecteur doit laisser émerger de lui-même une sorte de candeur enfouie pour croire à ce qu’il lit. Croire, et non pas s’identifier. Le paragraphe que je citais plus haut, par exemple, qui chez un poète ne serait que métaphore ou allégorie, et qui s’offre ici telle une vision saisissante et fugace narrée par un vrai écrivain. Qui sait aussi rire d’elle :

« J’ai remarqué que depuis le moment où je suis entrée au couvent, on m’a toujours fait le même reproche, c’est d’être sainte ; mais ce nom était toujours dit de façon ironique. Au début ce me fut très pénible, puis en m’élevant spirituellement, je n’y ai plus fait attention ; mais quand une personne se trouva attaquée à cause de ma sainteté, j’ai éprouvé tant de mal que d’autres puissent avoir des désagréments à cause de moi que je m’en suis plainte auprès du Seigneur Jésus, pourquoi en est-il ainsi, et le Seigneur m’a répondu : Tu t’attristes de cela ? Mais tu es sainte, sous peu je le ferai paraître moi-même en toi et ils prononceront ce même mot « sainte » mais cette fois avec amour. » (1570)

 

Dans le cas de ses conversations avec les agonisants et de ses correspondances avec les âmes du purgatoire, le surnaturel jaillit de toute part. Or ces moments ne doivent pas être lus au premier degré, mais plutôt pris au pied de la lettre, je ne sais pas si je m’exprime correctement. Ainsi, ce passage, cet instant vécu :

« Surtout ici, depuis que je suis dans cet hôpital, j’éprouve un lien avec les agonisants qui, en entrant en agonie, me demandent de prier. Dieu me donne une étrange correspondance avec les mourants. Quand cela arrive, le plus souvent, j’ai même la possibilité de vérifier l’heure.  Aujourd’hui, à onze heures du soir, je fus soudain éveillée et je sentis distinctement qu’il y avait auprès de moi, un esprit qui demandait ma prière ; une force me contraint tout simplement à la prière. Ma vision est purement spirituelle, par une soudaine lumière qu’en cet instant Dieu m’accorde. Je prie jusqu’au moment où je sens la paix en mon âme. La durée n’est pas toujours la même. Il arrive parfois qu’avec un seul Ave Maria je sois tranquillisée, et alors je dis le De profondis. Parfois il arrive que je dise le chapelet tout entier, et seulement alors j’éprouve un apaisement. » (834) 

Ce qui doute du surnaturel en nous, c’est le ricanement rationnel du diable, hérité du scientisme et du positivisme de ce stupide dix-neuvième siècle, que nos avons bus au biberon. Le Surnaturel, pourtant, « l’autre monde,» n’est-il pas une alternative plus crédible que le virtuel peuplé de créations fictives dans lequel baigne l’imaginaire infirme de nos contemporains ?

Face à ce qui fascine les jeunes gens aujourd’hui, l’humanisme sans Dieu, le divertissement et la technologie toute puissante c’est peut-être par sa relation si désarmante d'évidence et de réalisme avec le surnaturel, au milieu des cyborgs des clones et des terroristes, que Faustine sera une sainte vénérée par les enfants encore vivants du vingt-et unième siècle, . « Malgré la méchanceté de Satan la miséricorde divine va triompher sur le monde entier et être adorée par toutes les âmes. », prophétise-t-elle (1711) Lisez son Petit Journal.

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mercredi, 09 décembre 2015

Porte sainte et sainte procession

Rome était hier au cœur du monde. Place saint-Pierre, tout d’abord, lorsque le pape François, l’air grave, ouvrit l’année sainte du Jubilé de la Miséricorde. Place d’Espagne, ensuite, devant la colonne fleurie de l’Immaculée Conception, lorsqu’il assista aux Litanies de la Sainte Vierge et prit le temps de bénir les nombreux malades rassemblés là. Il va comme le monde, le pape : Sa démarche est de plus en plus lourde. Il est objectivement de plus en plus las. Son sourire recèle quelque chose d'indéfiniment triste.

Non loin de François, Benoit, pape émérite, image frêle et saisissante de la vulnérabilité de la vieillesse, venu pénétrer la basilique saint Pierre à sa suite par la porte sainte tout juste ouverte. Deux papes, deux silhouettes, un peu comme les deux formes du rite, l’ordinaire et l’extraordinaire, témoins de l’époque schizophrénique qui fracture l’histoire commune dans laquelle nous voici plongés tous, quels que soient nos idées, nos goûts, nos besoins et nos désirs. Divisés devant l’Incarnation.

« Un mystère qui va au-delà de toutes les capacités de la raison » a dit François en évoquant l’Immaculée Conception. Au-delà de toutes les capacités de la folie également, suis-je tenté de rajouter. Car le catholicisme a fait de la longue histoire du péché des hommes et de sa rémission la colonne vertébrale de toute sa théologie. Une UNIQUE histoire que porta Marie, et qui nous plonge au cœur de son originalité, à l’endroit même où toutes les autres religions apparaissent bien fades et bien simplistes, avec le simple bonheur des individus pour but ou la seule paix du monde pour credo. « Dieu n’est pas Dieu de morts, mais de vivants », asséna le Christ au comble de son propre mystère, à propos de la Résurrection (Matthieu, XII, 32). 

Il y a ainsi dans le catholicisme et sa théologie du Péché & du Salut comme le fondement même de l’espèce humaine et de sa destinée, une trajectoire à la fois singulière et universelle, historique et éternelle, qui fait de lui à mes yeux non pas une religion parmi d’autres, mais au-delà même de toute religion, la seule Vérité qui fût acceptable à la fois par notre raison et par notre folie, parce qu’elle nous transporte bien au-delà des objectifs mesquins du politique ou du sociétal dans lesquels s’engluent irrémédiablement le pacifisme béat ou la violence intrinsèques à toutes les autres. Le Christ et le mystère de sa Venue demeurent à travers notre foi de Son temps et du nôtre, tel est aussi le mystère de l’Avent et celui de la miséricorde : telle est aussi la symbolique du franchissement de cette porte. Le bonheur, la paix viennent de surcroît...

immaculée conception,8 décembre,jubilé de la miséricorde,pape françois,rome,place saint pierre,place d'espagne,catholicisme,miséricorde,procession,lyonL'Immaculée Conception est une fête aussi dans la capitale des Gaules, que l'actualité récente a rendue à sa dimension religieuse. Il faut bien avouer que l
a façade de la primatiale Saint-Jean n’est jamais si belle que lorsqu’elle n’est livrée qu’à l'éclat de sa seule pierre, comme ce fut le cas hier soir, en l’absence de la folie technologique qui la recouvre de pied en cap chaque 8 décembre depuis une quinzaine d’années. Loin des Lumières, Lyon a donc retrouvé ses Illuminations, sa propre fête. Et les Lyonnais que j’ai croisés avaient l’air heureux de déambuler en grappes sur le pavé, de boire du vin chaud en discutant entre amis, sans se voir infligés la foule des touristes béats devant des façades platement colorées, ni surtout cette sinistre musique d'accompagnement de ces piétinements oppressants. Une fête enfin redimensionnée à sa juste échelle, en phase surtout avec la tradition mariale qui est à son origine.

Du coup, j'ai pu sortir de chez moi, ce que j'évitais de faire depuis pas mal d'années. Beaucoup de monde pour la procession jusqu’à Fourvière, sous la présidence du cardinal Barbarin. Derrière la bannière Merci Marie, la montée du Chemin-Neuf et la rue de l’Antiquaille étaient emplies de flambeaux et de chants, de pèlerins méditant en marchant les Mystères joyeux du rosaire. Trop habitué à les réciter seul, ces mystères, ou dans des églises presque désertes, je me suis senti agréablement surpris d'être soudain entouré de tant de monde reprenant même en latin le Gloria Patri. Une présence discrète de policiers et de militaires, jusque sur le parvis de Fourvière. L'air du temps, auquel tout le monde s'habitue. 

Puis une messe en l'église saint-Georges selon la forme extraordinaire du rite romain, comme on dit, c'est-à-dire en latin et en grégorien. Vers vingt-deux heures, un pavé humide et des badauds tranquilles et détendus, un 8 décembre comme je n'en avais plus connu depuis longtemps...