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lundi, 25 mai 2015

Que sacrifions-nous ? (1)

Toute l’Antiquité s’est construite et a vécu à partir du sacrifice du tragos, le bouc émissaire innocent appelé à contenter les dieux. Ici, c’est Iphigénie, sauvée in extremis par Artémis,  là c’est Isaac, dont le  « cruel Dieu des Juifs », comme s’exclame Athalie, feint d’exiger la vie. L’incontestable génie du christianisme fut de rendre caduque et d’abolir le rite antique du sacrifice humain – et même animal, Dieu présentant à l’humanité incrédule le sacrifice de son propre fils – celui-ci mené à terme de manière consentante à travers la Passion. Le Dieu chrétien, ce faisant, révèle à quel point son amour est plus grand que l’amour humain, parce qu’il est Père, Fils et Saint-Esprit à la fois, quand la créature n’est qu’elle-même. Ce faisant, il renvoie l’homme aux bornes de sa raison qui sont ses propres limites, sa cruauté, sa superstition, sa stupidité. Il rend caduque l’observation de l’ancienne Loi  reposant sur des sacrifices. « Si vous vous faites circonscrire, le Christ ne vous servira de rien, lance Paul aux Galates trop soumis aux judaïsants. Vous tous qui cherchez  justification dans la Loi, vous êtes déchus de la Grâce. Nous, c’est de la foi, par l’Esprit que nous attendons l’Espérance de la justice.»

Cette insoumission à la Loi du sacrifice, tant juive que romaine, les premiers Chrétiens la payèrent de leur vie ; en réalité, ils furent persécutés non pas parce qu’ils étaient chrétiens, mais parce qu’étant chrétiens, ils ne reconnaissaient de juste que le sacrifice du Christ et refusaient de pratiquer ceux exigés par l’Empereur. D’une certaine façon, les temps modernes commencent avec Constantin. Et nous sentons tous que ce sont ceux-là même que l’Islam radical, par ses égorgements ritualisés, tente d’abolir dans les terres chrétiennes du Proche Orient.

L’Occident, lui, s’est construit à partir d’un autre sacrifice, un sacrifice saint, celui de la messe, que le fourbe Luther détesta tellement qu’il l’abolit de son nouveau Temple. Notre guerre de Troie, c'est la Queste del Saint Graal, que nous ne savons aujourd'hui que caricaturer lamentablement. « Le nombre est infini des prétendus catholiques qui ne savent pas que la communion quotidienne est une suite rigoureuse de l’Oraison dominicale : Panem Quotidianum. Les chrétiens qui n’en veulent pas sont forcés de recommencer à leur insu l’effrayante Méchanceté de Bethléem :- J’étais étranger, dit le sage, et vous ne m’avez pas donner l’hospitalité. », nota Bloy un jour de mars 1901. C’est Bloy qui,  il y a environ cinq ans de cela, me ramena durant quelques mois quotidiennement à l’autel. J’étais victime des préjugés de mon temps, au premier lieu duquel celui du ressenti comme gage de la sincérité. Bloy me rappela les vertus de la simple obéissance au Christ. Vous ferez ceci en mémoire de moi. Pour ce qui est du ressenti, je renvoie mon lecteur à la citation de Green ci-dessous (1), qui dit assez à quel point le sacré et le sentiment sont choses profondément antagonistes, et à quel point vouloir les réunir comme un certain œcuménisme angélique cherche à le faire relève de l’imposture. La sainte messe n’est sacrée que parce qu'elle dépasse et la raison et le sentiment de la créature, inutile de chercher autre cause. Et là encore, elle dépasse la simple prière ou la méditation que proposent en effet toutes les autres religions, lesquelles ne sont que des activités humaines.

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L'Européen le plus moderne, c'est vous, empereur Constantin

[1] Les personnes qui viennent à la Messe parlent et rient ; elles croient qu'elles n'ont rien vu d'extraordinaire. Elles ne se sont doutées de rien parce qu'elles n'ont pas pris la peine de voir. On dirait qu'elles viennent d'assister à quelque chose de simple et de naturel, et cette chose, si elle ne s'était produite qu'une fois, suffirait à ravir en extase un monde passionné. Elles reviennent du Golgotha et elles parlent de la température. Si on leur disait que Jean et Marie descendirent du Calvaire en parlant de choses frivoles, elles diraient que c'est impossible. Cependant elles-mêmes n'agissent pas autrement. On dirait que ce que les yeux ne voient point n'a pas d'importance ; en réalité il n'y a que cela qui est et il n'y a que cela qui existe. Elles ont été 25 minutes dans une église sans comprendre ce qui se passait. Elles entendent la Messe tranquillement, sans larmes, sans commotion intérieure. Si elles pouvaient s'étonner, elles seraient sauvées, mais elles font de leur religion une de leurs habitudes, c'est-à-dire quelque chose de vil et de naturel. C'est l'habitude qui damne le monde.

Julien Green (1900-1998), sous le pseudonyme de Théophile Delaporte, Pamphlet contre les catholiques de France, paru dans les Cahiers du Rhône, 15 (54), Neuchâtel, 1944.

samedi, 21 juin 2014

La Fête-Dieu

Le hasard est, décidément, parfois très ironique : Le calendrier fait se chevaucher cette année la séculaire Fête-Dieu et la postmoderne fête de la musique. La fête Dieu, c’est la fête de l’élévation de l’hostie, ce geste éminemment culturel, que James Joyce pastiche dès les premières lignes d’Ulysse, et qui fonda la loyauté autour de la Table Ronde à l’image de celle d’Emmaüs et de Béthanie. C’est par ce geste de l’élévation que les chrétiens reconnaissent la transsubstantiation de l’hostie, ce qui fait que ce moment n’est pas pour eux – comme pour les protestants – un simple partage du pain, mais une communion sacrée avec le Corps du Christ – corps glorieux, évidemment, corpus Christi. Ceci n’est pas sans rapport avec le Saint-Graal, c'est-à-dire avec l’un des plus grands mythes fondateurs de l’Occident, ni avec le Saint-sacrement lui-même. Dans une Journée Chrétienne de 1785, je lisais ce matin : « Dieu même est venu se placer parmi les corps en se faisant homme & prenant un corps, pour se rendre visible, et montrer à l’homme un objet qu’il pût voir et aimer, sans crainte de se tromper, & à quoi il pût s’attacher sans se corrompre ». Tout est dit là.

L’adoration du Saint-Sacrement, du Corpus Christi, ne peut advenir que dans le silence, celui-là même que la Fête de la Musique chasse de chaque coin de la ville et de chaque parcelle des corps, terrorisant jusqu’aux pigeons et aux chats de gouttières. Dire si cette Fête-Dieu n’a pas grand-chose à faire avec ce grand geste de dégueulis collectif dans les rues, qui n’a de populaire, comme la coupe du monde, que le nom. Le spectaculaire Jack Lang est à l'origine de l'une, Thomas d'Aquin à l'origine de l'autre, ceci doit expliquer cela. « Dans ce sacrement, consommation de tous les sacrifices, Il demeure, ce Dieu, indéfectiblement avec nous. Il y est jusqu’à la fin des siècles. Il donne aux fils d’adoption le pain des anges et les enivre de l’amour qu’on doit aux enfants », écrivit le saint.

La Fête-Dieu était marquée jadis, dans chaque ville et village de France, par des processions durant lesquelles le Saint-Sacrement était exposé par les rues. La procession aussi (le marcher ensemble) est un geste éminemment culturel, au contraire du brailler ensemble. Cela nous ramène au billet d'hier. D'ailleurs, l’une des premières mesures de la Révolution fut d’abolir les processions, comme les corporations. Pourtant, la République ne craint pas d’encourager ces rassemblements d’humains devant des podiums montés à la hâte, où des rythmes nègres, répétitifs et primaires, s’emparent des corps et désagrègent toute pensée, et qui, bien plus que les processions d’antan, troublent l’ordre public. Dans cette détestation du silence, dans cette massification hystérique, dans cette manipulation évidente des foules, je dirai pour finir qu’il y a bien du satanisme : La République a ses valeurs, comme le disent ses élus.  Et l’Eglise garde les siennes.

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samedi, 31 mai 2014

Une élection du temps de Merlin

Jusqu’à quel point peut se détériorer une image politique ? Rues barrées par les CRS, agriculteurs et métallurgistes en colère, conseiller du président pris en otage… Et pendant ce temps-là, cet idiot rondouillard à l’air bonhomme fait des petites blagues avec cet autre imposteur qu’est Pierre Soulages au musée de Rodez - Où se perd l’argent public ?… (Salut, au passage, à Monsieur Toublanc, dont j’ai d’abord cru qu’il me faisait un blague, qui laissa hier un joli commentaire en bas de ce billet)

Il est assez savoureux, pendant ce temps-là, de se plonger dans le Merlin. Et notamment dans le chapitre titré « Une succession difficile », qui narre l’accession au pouvoir et l’élection du roi Arthur. En ces temps pré-Googolien (Pré-Googolesque ?),  « on échangea  à cette occasion, dit le conte,  bien des paroles qui ne méritaient pas d’être conservées et retenues ». Rien n’a trop changé, direz-vous, sinon qu’à présent, le web veille.

Autre chose : ce n’était point alors des conseillers en communication qui assuraient l’élection des dirigeants, mais bien plutôt de véritables enchanteurs. Celle d’Arthur fut ainsi prévue de longue date par Merlin : ce dernier usa de ses sortilèges pour prêter un instant au roi Uter les traits du mari d’Ygerne pour lui permettre de coucher avec elle, à condition qu’il s’engageât à lui confier l’enfant dès sa naissance. Puis Merlin porta Arthur à Antor, à qui il demanda de l’élever comme son propre fils. On peut se demander un instant à quoi servit ce tour de passe-passe, puisqu’il semblait davantage desservir la légitimité du futur roi de Logres qu’autre chose. Mais on s’aperçoit très vite, quelques pages plus tard, que le subterfuge s’apparente en fait à une géniale opération de communication médiévale. Il permit en effet à Merlin d’octroyer une double légitimité à son candidat, lorsqu’il le présenta au peuple, seize années plus tard.

Une première fois en tant que prétendant normal (peut-on oser ce mot ?) à la fameuse épreuve de l’épée dans l’enclume que tout le monde tentait de réussir. Lorsque Antor pria l’archevêque de « faire essayer cette épée » à son fils, au même titre que n’importe quel autre sujet du royaume, ce dernier la retira avec une facilité qui déconcerta les spectateurs. « Notre Seigneur, dira l’homme d’église et lui ouvrant les bras, connaît mieux que nous l’identité de chacun !» Mais comme la plupart des barons et le peuple eurent besoin de voir le miracle pour le croire, il fallut le renouveler. De Noël à Pentecôte, (le temps que dure une campagne électorale), Arthur n’eut donc de cesse d’ôter puis de ficher à nouveau dans son socle la fameuse Excalibur, puis de la retirer à nouveau. On testa par ailleurs son programme : On lui fit apporter des joyaux et des bijoux, afin de s’assurer si le futur roi serait ou non « plein de convoitise et d’avidité ». On put juger de sa prodigalité, lorsqu’il redistribua tous ces présents.  Finalement, tous durent se rendre à l’évidence : le jeune homme avait toutes les qualités d’un chef.  Mais les barons les plus récalcitrants refusaient encore qu’un enfant de basse extraction qui n’était même pas chevalier devînt ainsi leur roi.

Il fallut alors que Merlin révèlât la supercherie et la réelle nature des parents d’Arthur. Du coup, il asseyait par un autre moyen la légitimité de son roi : Et par son propre mérite (il était le seul à avoir ôté l’épée et donc à être élu par le Ciel, là où de plus nobles avaient failli), et par la naissance (il était quand même fils de Roi). Au final, les barons les plus récalcitrants eurent beau alléguer que ce n’était qu’un coup monté, ils se retrouvèrent minoritaires, et leurs troupes bien vite décimées par  Excalibur, « dont le nom signifie en hébreu Tranche fer, et acier et bois », qui se révéla quasi miraculeuse dès les premiers combats du roi Arthur. Au vu de ces événements peuvent se comprendre la ruse initiale de Merlin, ainsi que sa grande sagesse. Mais tout le monde n'a pas, c’est vrai, le talent d'enchanteur.

En lisant le Joseph d’Arimathie, puis ce Merlin, je pensais aux grands récits fondateurs que furent L’Eneide pour Rome, l’Iliade pour la Grèce, et ces récits de chevalerie pour la Chrétienté. S’unir dans un mariage de raison et de monnaie à des fins seulement pragmatiques, comme on le propose aux peuples d’Europe aujourd’hui, cela ne suffit pas. On y entend comme un déficit de culture, de grandeur, de rêve, d’histoire même, malgré les images en boucles de commémorations. L’aura du fondateur de la Cinquième République qui maintient ses institutions, quant à elle, suffira-t-elle à compenser dans l’hexagone la médiocrité de l’actuel président français ? Tiendra-t-elle debout trois ans de plus cet ectoplasme, de petites blagues en petites blagues ? Je ne sais. Auguste en personne eut recours à Virgile pour asseoir son empire. Alors je me dis que ce n’est pas de grands hommes que nous manquons le plus, aujourd’hui, mais de grands récits. « Et je voel que tu saces que ma coustume est tel que je repaire volentiers em bois par la nature de celui de qui je fui engendrés »  (Et je désire que vous sachiez, dit Merlin, que je suis fait ainsi que je hante volontiers les forets, en raison de la nature de celui qui m’a engendré)…

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Arthur ôte l'épée de l'enclume, iconographie du Merlin, Paris, BNF

vendredi, 30 mai 2014

Fin de course

Tout respire la fin de course. Les éléments de langage ressassés par les politiciens véreux, la morosité d’événements sportifs qui s’enchaînent, les milliardaires cannois qui s’entre-congratulent à l'occasion d’un palmarès dont tout le monde se fout. Ce n’est pas de l’Europe que les gens sont lassés, mais de la sous culture – ou plutôt du déni de sa propre culture – que les économistes ont engendrée ; pendant ce temps, l’inexorable déclin des moyens de production se poursuit. Depuis l’arrivée du président Plan-Plan, un président d’un autre siècle, vraiment, une sorte de contre-sens, c’est l’équivalent d’une ville comme Lyon qui a été jetée au chômage. Crise, courbe, impôts, euros, impôts, violence, guerre : les infos répètent en boucle les mots d’ordre démonétisés de ce paysage dévasté.

On peut, certes, fermer les écoutilles et se plonger dans son monde à soi. Depuis quelques semaines, quand mon boulot m’en laisse le temps, je vis ainsi au rythme des aventures de Merlin et de Uter, après celles de Joseph d'Arimathie. La Table Ronde tout juste fondée, le duc de Tintagel est mort et Uter s’est empressé d’ensemencer, comme on le disait alors, la noble Ygerne . Le roi Arthur vient donc de  naître, grâce à un divin ou diabolique malentendu sur les apparences, et Merlin vient de le confier, nourrisson, à Antor. Le Graal pour tout salut : Se ressourcer à d’anciens mythes collectifs ; dans la débandade narcissique qui s’est saisie de chacun pour la plus grande joie des marchés et des actionnaires repus, cela ne peut pourtant être qu’un ressourcement individuel, loin, bien loin d’une véritable fête collective, réparatrice. Mais c’est au moins ça. Comme disait les gens d’autrefois, « ça que les Boches n’auront pas ». Ce qui est tout dire...

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Ygerne abusée par Merlin et Uter, iconographie du Merlin, BNF Paris

 

lundi, 05 mai 2014

Graal, merveilles et déconvenues

J’ai eu l’occasion de voir dernièrement le Perceval de Florence Delay et Jacques Roubaud, monté par Christian Schiaretti au TNP, que je n’ai pas du tout aimé. Aussi, plutôt que de me demander si cela tenait de la faiblesse de l'adaptation pour le moins immodeste ou des effets trop visiblement distanciés par rapport à la matière médiévale et chrétienne de la mise en scène, je suis revenu au texte et me suis replongé dans le premier tome de cet incroyable Livre du Graal, « dont le format n’excelle pas la paume » (1), et qui tisse avec subtilité le lien entre l’Histoire Sainte et la légende arthurienne, en se revendiquant à la fois de l' évangile apocryphe, de l’hagiographie et du roman de chevalerie.

Son premier volume, Le Joseph d’Arimathie, s’offre comme ordonné par la manifestation même de la Sainte Trinité (« d’une chose trois et de trois une »). Son auteur, qui demeure anonyme et se donne comme « le plus pécheur des pécheurs » (p 4), coud un lien inédit entre un objet trivial et prosaïque, « l’écuelle où le Fils de Dieu avait mangé » (p 23) et le Graal d’origine celtique, dont Chrétien de Troyes s’était inspiré avant lui. Ce lien, c’est la Passion qui l’opère puisque l’écuelle ordinaire - en recueillant le sang du Christ, un sang versé par amour pour la destruction de la mort- devient au fil des paragraphes une relique et un symbole eucharistique.

Le transfert de l’une (l'écuelle) à l’autre (le symbole) trouve sa matérialité dramatique dans l’odyssée merveilleuse que Joseph  accomplit avec son fils Joséphé, de Béthanie et Sarras en Terre Sainte vers l’Angleterre. Voyage qui n’est pas sans rappeler d’autres voyages mythiques : - celui qui mena Enée de Troie à Lavinium, en ce sens que comme l’un fondait Rome, l’autre fonda la Chrétienté – mais aussi celui de Moïse et de son peuple élu à travers la mer Rouge, par son aspect miraculeux, la traversée des « chevaliers » se faisant sur le pan de la chemise de Joséphé, qui ne cesse de s’élargir au fur et à mesure que les compagnons de voyage s’y pressent.  «Si lor avint si bien que ançois que li jours apparut, furent il tout arrivé en la Grant Bretaigne, et virent la terre et le païs qui tous estoit puéplés de sarrazins et de mescreans » (ce que Gérard Gros, le traducteur traduit par : « leur grande chance voulut qu’avant le point du jour ils avaient tous accosté en Grande Bretagne, et découvrirent le territoire, le pays entièrement peuplé de Sarrasins et de mécréants » - p 419). Une voix aussitôt assure à Joséphé que la Grande Bretagne est promise à son lignage « pour l’accroître et la faire prospérer par un peuple qui tiendra mieux parole que le peuple actuel. », à condition qu’il y propage « le nom de Jésus-Christ et la vérité de l’Evangile » partout où il ira. Aventure qu’il est impossible de mener à bien sans la force du Graal lui-même, qui multiplie les pains et œuvre comme un cœur commun : « Cele nuit jut li pueples en un bois, es fuelles et es ramees qui furent el bois meïsmes. Au matin, quant li jours aparut, et ils furent venu devant le saint Graal, la oùil orent faites lor proiieres et lor orisons, si se misent en lor chemin, et errerent tant qu’il vinrent a ore de prime au chastel de Galafort » (Le peuple, cette nuit-là, coucha dans un bois, à même les feuilles et les ramées. Au matin, quand le jour fut levé, ils vinrent devant le saint Graal faire leurs prières et leurs oraisons, puis ils se mirent en route et cheminèrent pour atteindre à l’heure de prime le château de Galafort ». (p 428)

Le livre du Graal comprend trois tomes dans la Pléiade : je n’en suis nullement spécialiste. Mais à retrouver le tissu médiéval du commencement de ces aventures – tissu duquel notre rationalité nous prive de sentir grand-chose,à mon avis - j’ai compris pourquoi je n’avais pas aimé cette mise en scène et peut-être même -au-delà d’elle- ce texte prétentieux de Delay de Roubaud : par leurs choix et leurs prises de position a posteriori, tous deux gomment la force spirituelle et le propos sacré de l'oeuvre initiale pour n'en garder que la trame visuelle et verser vers le feuilleton - voire la bande dessinée parfois assez grossière, comme dans le dernier tableau du Perceval qui sert de bande annonce à la suite censée venir l'an prochain (2). Par leurs anachronismes, ils transpirent de ce souci constant de distanciation critique toute moderne, de cette volonté, au fond, de se croire plus malin que la merveille plutôt que de se laisser envoûter par son charme, sa poésie, sa tradition historique, et de servir son enchantement..  

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Joseph d'Arimathie et le saint-Graal

 

(1)Livre du Graal tome 1, Pléiade, page 6. Toutes les pages citées dans le billet renvoient à ce même volume et au premier récit, Joseph d'Arimathie.

 (2) La totalité des mises en scènes du Graal fiction va courir encore sur de nombreuses années puisque nous n'en sommes qu'à la quatrième pièce sur une dizaine, coproduites par le TNP et le TNS