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jeudi, 04 juin 2015

Le suaire et le sacré.

On n’approche pas commodément du Saint-Suaire à Turin.  La réservation s’opère par Internet. Des milliers de bénévoles (« les blousons violets ») venus des diverses paroisses de la capitale du Piémont accueillent les visiteurs dans la zone du Dôme, depuis le commencement du parcours liminaire dans les Jardins Royaux jusqu’à la salle des confessionnaux et aux marchands de souvenirs sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean Baptiste, Piazza Castello. On franchit tout d’abord un portique, comme dans les aéroports, ce qui montre à quel point notre civilisation est placée constamment dans une certaine ligne de mire. Il est vrai qu’un fou d’Allah parvenant à s’infiltrer dans les tunnels en toile qui conduisent durant plus de 800 mètres jusqu’à l’entrée de la chapelle serait assuré de faire le buzz sur le champ. Les tunnels d’accès sont donc garnis de caméras. Nous habitons bien au XXIe siècle.

Le pèlerin est ensuite introduit dans une salle où un bref film vidéo lui dépeint ce qu’il s’apprête à voir en détail. Toutes les parties du corps de l’homme au suaire sont successivement zoomés et agrandis. Un commentaire en plusieurs langues insiste sur les traces de coups de fouets, de trous d’épines et de lances. Étrange exhibition mortuaire, devant une assemblée silencieuse où se découvrent toutes sortes de gens.

La question de l’historicité de l’homme dont l’image frontale et l’image dorsale se joignent par la tête n’a ici plus guère d’intérêt. Comme Benoit XVI l’a dit un jour, cet « icône écrite avec le sang » est surtout un émouvant miroir de la Passion. Le sacré, ici comme ailleurs, n’a nullement besoin d’être breveté par l’historicité. Sinon pour les manants.

Elle est d’ailleurs suffisamment présente, l’histoire, la belle et triste histoire humaine, sous la forme de cette poignée de quidams en casquettes et tee-shirts, pantacourts et autres tenues de p.à.p, le smartphone à la main, foule mixte de touristes ou de pèlerins, ou les deux à la fois, mi-pèlerins, mi-touristes, immobilisés dans le noir face à l’image qui se reflète de l’image sacrée offerte à cette foule même qui passe, telle un miroir d’un moment de l’histoire – cet aujourd’hui faits d'eux tous  défilant, profanes, devant lui, le sacré.

Car la voici enfin, entre deux sentinelles en costumes historiques, immobiles comme au musée Grévin. La voici la châsse le portant, puis le suaire lui-même, derrière des glaces de sécurité multicouche ; en rangs, trois rangs, les spectateurs du moment contemplent un instant le tracé d’un corps dans lequel chacun lit ce qu’il peut, ce qu’il veut, ce qu’il sait et ce qu’il ressent de ce qui lui est offert ou non dans le silence de cette confrontation avec un autre Monde. Car c’est bien d’un autre Monde qu’il s’agit, l’Antiquité, le Dénuement, la Mort, la Cruauté des hommes acharnée contre ce corps en ostension, la Religion,  la voici, la Passion. Au-delà du spectacle (car il demeure là encore, le spectacle -  certains même tentent un fois de plus de photographier, [et tu te dis qu’à l’instant de rendre l’âme, tenteront-ils encore, les sots, les stupides, de photographier la mort qui venant à eux leur arrachera des mains leur foutue richesse ? ] ) chacun ne reçoit que ce qu’il amène, dans cette cité terrestre qui, comme le dit Saint-Augustin, prétend tout dominer, et se trouve elle-même soumise par l’esprit de domination (1)

 

A cette image de Dieu dont la Charité ravive jusqu’au cœur de la société du Spectacle ces quelques traces perceptibles du Saint-Golgotha, nous amenons donc un cœur gonflé de sanglots et de peines, et notre honte d’appartenir à cette espèce si vaine et si folle, et notre ferveur aussi, notre espérance et notre Joie toutes deux faites de larmes invisibles et de limon silencieux; et puisqu’ici, chaque sacrement est une réconciliation, nous nous souvenons un instant de Joseph d’Arimathée qui, de Béthanie, emporta le sang du Christ jusqu’en Cornouailles, tel un Ulysse ou un Enée de la Cité de Dieu à bâtir sans cesse, de la Chrétienté dont nous sommes les ultimes et insuffisants rejetons. 

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Extérieur de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin

1 - Saint-Augustin, Cité de Dieu, livre 1

mercredi, 03 juin 2015

Et ron et ron petit patapon...

Qu’un peuple se cherche un avenir de ce côté là :

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Juppé, 1977, 31 ans, alors collaborateur de Chirac

dit mieux que quoi que ce soit l’état de déconfiture, de délabrement, dans lequel ses élites ont plongé notre pays. Un pays vieux au sein duquel la jeunesse est désormais minoritaire et condamnée à la boucler, crise oblige. Je me souviens avoir fait 3 semaines de grève, jadis, contre les projets libéraux de cet homme-là au sujet duquel l’Obs s’interroge désormais : Juppé sera-t-il l’idole des jeunes ? Le pays l’a viré alors sans perte et fracas, lui et ses grotesques jupettes au premier rang desquelles l’inénarrable Corine Lepage qui a toujours une cause à dénoncer, de son ton insupportable de grande bourgeoise taubiresque, qui sait tout et ne peut rien, plus ridicules toutes deux que la Philaminte et la Bélise de Molière .

Juppé ! Un homme que la gauche-bobo semble prête à introniser parmi ses sympathisants dès les primaires des Républicains, persuadée qu’elle en sera débarrassée au bout de cinq ans, au bout d’un mandat mou durant lequel elle aura repris un certain poil de la bête culturel, aujourd’hui bien abîme, pour faire passer de nouveau Hollande ou un de ses successeurs pour un type proche du peuple. Et ron, et ron, petit patapon…  Un homme de droite ouvert, comme il le dit, un collabo europhile de la première heure qui travaillerait ensuite à l’élection d’un Valls ou d’un Macron mâle ou femelle pour assurer sa succession, comme le Mitterrand aura travaillé à l’Election de Chirac, et le Chirac à celle de Hollande. Mais si vous n’aimez pas Sazkozy, rappelez vous que Juppé l’antédiluvien vient encore d’avant lui, et que c’est lui et ses sbires à vocabulaire lisse et crânes d’œufs qui ont fabriqué Sarkozy. La trahison des élites, le vote confisqué, la France rayée de la carte par Maastricht, c’est lui. Quel peuple, qu’un peuple contraint à s’extasier de l’avancée démocratique que représente le droit à l’euthanasie ! dormez, braves gens, votez et mourez, braves gens, et ne dérangez plus l’Empire.

 

Dieu est le grand absent de leur gigantesque foire ; ne parlons pas de l’Eternité, demain, même, ils s’en contre-fichent car la courte vue est le moteur de leur cynisme. Et le Christ – ou du moins la pauvre idée qu’ils s’en font – demeure Celui qu’ils croient pouvoir continuer à ignorer in saecula saeculorum, en nous vendant en guise d’épices des valeurs républicaines dévoyées par des principes d’égalité entre les religions, principes parfaitement irrationnels, parce que jamais fondés sur des arguments théologiques solidement étayés. Le théologie, d’ailleurs, comme la littérature, l’art (autre que contemporain), l’Histoire, qui s’en soucie chez ces élites incultes et renégates ? Avez-vous remarqué comme ces gens qui parlent sans cesse de combattre la haine n’aiment pas, eux, n'ont jamais su aimer, méprisant même quiconque leur oppose la moindre résistance, quitte à avoir recours systématiquement, grâce aux lois iniques qu’ils ont fait voter, au pire des arguments, l’argument judiciaire ? Leurs dieux sont à l’Assemblée, au Temple ou au Panthéon, au stade ou sur les écrans. « De tels dieux nous sont apparus comme incapables de donner même des royaumes terrestres », écrivit Saint-Augustin à propos des ceux des Romains, auxquels notre vue basse n'a rien à envier. Quand je vois le nabot Hollande recevoir à l’Elysée ceux qu’on appelle, non sans ironie, les Grands de ce monde, il me semble que le spectre de Ballanche se penche sur mon épaule pour me murmurer à l’oreille que la France expie son crime de 93. Après Chirac, Sarkozy, Hollande, Juppé ! Une expiation en bonne et due forme, comme seule la Sainte Providence, à laquelle plus personne ne croit, sait arranger le cours…  

20:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ballanche, saint-augustin, sarkozy, juppé, littérature, politique, presidentielle, france, sondages | | |

samedi, 09 mai 2009

Virgile et l'esprit prophétique (Pollio 3)

Le Pollio de Virgile, l’un des textes les plus importants de l’Antiquité ? La question reste pendante, en raison surtout de la double lecture qu’il a occasionnée, presque sitôt qu’il fut connu. La première, romaniste, fait de l’enfant le fils du consul Pollio, Asinius Gallus. Celui-ci, grandissant dans un monde « qu’auront apaisé les vertu de son père », verra au fur et à mesure de sa croissance refleurir sur terre l’âge d’or, placé dès le vers 6 sous le signe de la vierge Thémis, fille de Zeus et déesse de la justice. Les crimes des temps passés, par deux fois évoqués (sceleris vestigia nostri , vers 13 & vestigia fraudis, vers31), se comprennent fort bien comme des allusions aux crimes que représentent aux yeux de Virgile les guerres civiles et le déchainement de cruautés auquel elles ont donné lieu, pour la troisième fois en mois d’un siècle. Quant à la promesse en un âge d’or imminent, il se comprend comme une transposition poétique de l’espoir suscité par la paix de Brindes. L’allusion à la Sibylle de Cumes et à ses prophéties a cependant très tôt nourri une autre lecture, dite orientaliste, car le christianisme antique, puis médiéval, a très vite a reconnu le Christ lui-même dans l’enfant de la quatrième églogue : c’est cette interprétation qu’officialisera en quelque sorte l’empereur Constantin dans son fameux Discours des Saints, vraisemblablement prononcé le 7 avril 323, dans lequel il énumère, parmi les prophètes du Christ, à côté des Saints de l’ancien Testament, les oracles de la Sibylle d’Erythrée et surtout les espérances qui parsèment la quatrième Bucolique de Virgile. Virgile, prophète du Christ, l’idée est reprise par Saint-Augustin dans la Cité de Dieu (livre X, chapitre 27) : «Que Virgile, en effet, ne parle pas ici de son propre chef, c’est ce qui ressort du vers quatrième de l’Eglogue : Voici désormais venu le dernier âge de  l’oracle de Cumes.  Et donc  il saute aux yeux que c’est d’après la sibylle de Cumes qu’il a dit cela. »

Dans cette optique, l’ancienne malice responsable des anciens crimes se lit telle une trace du péché originel, l’antique faute comme celle qui fut commise par les premiers parents dans le Paradis Terrestre, et l’enfant associé, dans une œuvre de circonstance, à la descendance de Pollion, devient une annonce de la venue du Christ, dont Virgile aurait eu vent grâce aux rumeurs issues d’Orient sur l’avènement d’un roi à venir et le rétablissement un nouvel ordre des siècles.

La double lecture de l’églogue de Virgile devint rapidement une controverse au fil des siècles, ce qui explique sans doute que dans l’article Sibylle de son Dictionnaire Philosophique (1764), le déiste Voltaire lui consacre un long développement :

« Enfin ce fut d’un poème de la sibylle de Cumes que l’on tira les principaux dogmes du christianisme. Constantin, dans le beau discours qu’il prononça devant l’assemblée des saints, montre que la quatrième églogue de Virgile n’est qu’une description prophétique du Sauveur, et que s’il n’a pas été l’objet immédiat du poète, il l’a été de la sibylle dont le poète a emprunté ses idées; laquelle, étant remplie de l’esprit de Dieu, avait annoncé la naissance du Rédempteur.  On crut voir dans ce poème le miracle de la naissance de Jésus d’une vierge, l’abolition du péché par la prédication de l’Évangile, l’abolition de la peine par la grâce du Rédempteur. On y crut voir l’ancien serpent terrassé, et le venin mortel dont il a empoisonné la nature humaine entièrement amorti. On y crut voir que la grâce du Seigneur, quelque puissante qu’elle soit, laisserait néanmoins subsister dans les fidèles des restes et des vestiges du péché; en un mot, on y crut voir Jésus-Christ annoncé sons le grand caractère de fils de Dieu. Il y a dans cette églogue quantité d’autres traits qu’on dirait avoir été copiés d’après les prophètes juifs, et qui s’appliquent d’eux-mêmes à Jésus-Christ; c’est du moins le sentiment de l’Église. Saint Augustin en a été persuadé comme les autres, et a prétendu qu’on ne peut appliquer qu’à Jésus-Christ les vers de Virgile. Enfin les plus habiles modernes soutiennent la même opinion. »

Plus tard, dans le « Onzième entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg,(1809) et dans le contexte contre-révolutionnaire, Joseph de Maistre ne peut ignorer la question à son tour : « Remontez aux siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur: à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: L'orient est sur le point de triompher; le vainqueur partira de la Judée; un enfant divin nous est donné, il va paraître, il descend du plus haut des cieux, il ramènera l'âge d'or sur la terre...?  Vous savez le reste. Ces idées étaient universellement répandues; et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes, il était bien digne de la providence d'ordonner que ce cri du genre humain retentît à jamais dans les vers immortels de Virgile. Mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la quatrième églogue de ce poète; et vous ne trouverez pas de nouvelle édition ou traduction de Virgile qui ne contienne quelque noble effort de raisonnement et d'érudition pour embrouiller la chose du monde la plus claire. » Et plus loin :

« Et vous pouvez voir dans plusieurs récits, notamment dans les notes que Pope a jointes à sa traduction en vers du Pollion, que cette pièce pourrait passer pour une version d’Isaïe. Pourquoi voulez-vous qu’il n’en soit pas de même aujourd’hui ? L’univers est dans l’attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion ? et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches ? »

La réception de ce texte, de siècle en siècle, épouse ainsi les contours de l’histoire de la spiritualité en Occident. Le héros de la quatrième bucolique témoigne de la puissance de la littérature : car il fait figure de passeur, de passeur poétique et si l’on veut chimérique, mi païen, mi chrétien, et déjà  humaniste. Héros littéraire, et non idéologique : J’ignore quel avenir lui réserve la société post moderne, bizarre alliance de superstitions malsaines et de rationalisme corrompu : L’enfant de la quatrième bucolique pourra-t-il survivre encore longtemps dans un univers qui traite aussi mal ses rivières, ses hommes et ses livres, et sera-t-il à même, sans parler d’instaurer un nouvel ordre des siècles, de faire rentrer le monde dans  ses gonds ? 

Ci-dessous, suite de la traduction en cours (vers 31 à 47)

 

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